Quelle place accorder à la réalité virtuelle dans la médecine ? À Rennes, au centre de lutte contre le cancer Eugène Marquis, des infirmières et des aides-soignantes utilisent depuis quelques mois ce moyen pour se former.
Par Hélène Pédech
La scène se déroule dans une salle de réunion quasiment vide. Trois tables, quelques chaises et un ordinateur portable. Au centre de la pièce, une jeune-femme seule tourne sur elle-même, se penche pour regarder… dans le vide. Elle tient une manette et porte un casque à réalité virtuelle.
Morgane Outin, manipulatrice radio au centre de lutte contre le cancer Eugène Marquis, à Rennes, est en pleine séance de formation. Une formation obligatoire, qui s’adresse principalement aux infirmières et aides-soignantes, portant sur l’hygiène et la sécurité des patients. Habituellement, cette formation est dispensée sous la forme de cours théoriques ou de mises en situation dans une chambre d’hôpital. « Une formule somme toute assez rébarbative. Souvent, le soignant n’en retenait pas grand-chose », note le Dr Vincent-Dozhwal Bagot, interne en médecine et spécialisé en Santé publique. D’où l’idée d’introduire une part de jeu dans cette formation.
Six minutes de réalité virtuelle
Depuis fin 2018, des personnels soignants du centre testent une plateforme de réalité virtuelle pour apprendre. La chambre d’hôpital a été modélisée. Tout y est, y compris l’avatar du patient. Des erreurs y ont été glissées. Le stagiaire dispose de 6 minutes pour les relever.
Télécommande en main, Morgane s’immerge immédiatement dans l’univers virtuel. En quelques secondes, elle note qu’un papier indiquant le code d’accès au dossier informatique du patient a été oublié au vu et su de tous. Une allergie médicamenteuse non signalée, un flacon de gel hydro-alcoolique périmé, un personnel soignant qui porte une bague (les bijoux sont interdits car sources de contamination) mais aussi des barrières installées sur le lit sans ordonnance médicale, ce qui constitue une privation de liberté… Les cas de figure sont très réalistes ; surtout, ils peuvent être variés à l’infini ce qui n’est pas le cas dans le cadre d’une formation classique.
À l’issue de l’exercice, Morgane semble convaincue par l’exercice. « C’est un outil très intéressant. On est vraiment acteur dans cette formation. » La jeune manipulatrice radio imagine même un autre scénario qui serait davantage adapté à son poste en axant l’exercice sur les gestes d’urgence, « notamment si le patient fait un choc anaphylactique après l’injection d’un produit de contraste. Heureusement, cela n’arrive pas souvent. Mais, du coup, j’aimerais pouvoir m’entraîner à réagir en situation de stress… pour de faux. »
Un médecin féru de jeux vidéo
Comme elle, 180 salariés du centre Eugène Marquis ont bénéficié de cette nouvelle formation continue, avec des résultats plutôt concluants. Le Dr Vincent-Dozhwal Bagot est à l’origine de cette expérience. En plus d’être médecin, c’est aussi un joueur invétéré. « Je m’apprête à soutenir une thèse portant sur l’usage de la réalité virtuelle en médecine. Je voulais montrer comment un établissement de santé et le personnel abordent ce nouvel outil. »
Le Dr Bagot a d’ailleurs déjà été approché par d’autres CHU, dont ceux de Grenoble et Rennes, ainsi que par le service de santé des armées pour lequel il compte développer un scénario qui permettra aux militaires de s’entraîner à enfiler des combinaisons anti-nucléaires. Non seulement les possibilités d’adaptation sont infinies, mais le coût reste relativement abordable : 40.000 € pour développer un programme puis près de 2.500€ pour acquérir le matériel.
La médecine et la réalité virtuelle
Utilisé depuis les années 70 par la Nasa américaine, la réalité virtuelle a commencé à intéresser la médecine il y a une dizaine d’années. Initialement utilisée pour aider des diagnostiques, elle peut donc aider les soignants à se former, y compris pour effectuer des gestes très techniques (et donc potentiellement risqués) sur les patients : la transfusion sanguine, des gestes chirurgicaux. « S’entraîner pour de faux plutôt que démarrer sur les patients », commente le Dr Sophie Guillermet, chirurgien sénologue au Centre Eugène Marquis.
Les limites de l’exercice ? « Le côté déshumanisé, note le Dr Guillermet. D’un autre côté, si l’outil permet au soignant de s’entraîner sur l’aspect technique, il lui sera plus facile de s’émanciper ensuite de ces contraintes techniques pour se consacrer davantage aux relations avec le patient ».
Outre cette visée pédagogique, la réalité virtuelle peut s’appliquer aussi directement aux patients. « Avant une intervention, il peut être intéressant d’immerger le patient stressé dans un univers agréable, apaisant pour l’aider à aborder ce moment de façon plus sereine », explique encore le Dr Guillermet.
Les chercheurs et psychiatres s’intéressent également aux vertus thérapeutiques de la réalité virtuelle pour soigner des phobies et certains traumatismes psychologiques.
Reportage : Hélène Pédech, Christophe Rousseau, David Mérieux.
Intervenants : Mégane OUTIN (Manipulatrice radio – Centre Eugène Marquis), Dr Vincent-Dozhwal BAGOT (Interne en Santé Publique et développeur du programme), Dr Sophie Guillermet (Chirurgien sénologue – Centre Eugène Marquis).