Ce que vous sacrifiez en ayant des enfants

Quand j'étais enceinte de mon premier enfant, les "adultes" me répétaient : "La vie ne sera plus jamais pareille après." J'étais assez d'accord. Une fois le marmot sorti, je pourrai de nouveau boire de l'alcool, voilà ce qui allait changer.

C'est l'époque où on se dit que la bête va faire à peu près 50 cm et que 50 cm ça ne devrait pas prendre trop de place à la maison. Vous mesurez cinquante centimètres entre vos deux mains et vous dites : "Je pourrais le mettre là, ou là, ou là" en montrant des coins de la pièce.

Sept ans plus tard, je me demande surtout quelle place mes enfants n'ont pas prise. Dans l'introduction de son dernier livre, Marlène Schiappa demande : "Qu'avez-vous sacrifié pour vos enfants ?" Et là, j'ai une liste intarissable qui me vient à l'esprit. La musique (j'écoute deux nouveaux albums par an maximum), le cinéma (s'enthousiasmer du dernier film diffusé sur NT1 n'a pas beaucoup de charme pour mes hipsters de collègues), les bouquins...

Mais si les funérailles n'étaient que culturelles, finalement, j'aurais encore de la chance. J'ai aussi renoncé aux grasses mat', au silence, à la curiosité, aux rêveries, aux parties de jambes en l'air dans la journée, à glander, à l'ennui.

kingoorooOù l'on découvre que la vie est pleine d'une course perpétuelle. Et quand il nous reste du temps, on en profite pour faire tourner une machine. A la fin de la journée, vous ramassez mentalement dans une pelle les poussière de minutes que vous avez eues à vous. Il vous reste un peu plus d'une heure avant d'aller se doucher, se coucher, préparer la journée de demain...

A mesure que les enfants grandissent, je retrouve certaines zones de libertés. Ils jouent ensemble et j'ai une heure pour écrire, on sort au parc et je zone sur mon smartphone. Dimanche dernier, on est allé à l'Acrochat, sorte de mini parc d'attractions avec parcours du combattant. Les enfants s'épuisent dans les jeux et les parents se calent dans un fauteuil, écouteurs aux oreilles, téléphone ou bouquin à la main. De temps en temps, un enfant revient en pleurs parce qu'il s'est fait mal, on fait un bisou et il repart. On gagne trois heures de tranquillité. Enfin, tranquillité... Si un volume moyen de 120 décibels ne vous gène pas. Si vous ne vous formalisez pas du fait que les enfants des autres vous escaladent comme un vulgaire cheval d'arçon parce que le chemin est visiblement plus court quand il passe par vous. Si vous vous baissez assez rapidement pour éviter de vous prendre la piñata dans la gueule au moment de l'anniversaire des voisins.

La voila donc la tranquillité des parents. Qu'ai-je donc sacrifié à mes enfants ? La possibilité de se concentrer plus de 10 minutes.

© Emma Defaud

Pourquoi lire un livre à un enfant, c'est relou

Lire des histoires, c'est cool. Le goût des livres, la transmission, les émotions, tout ça... C'est une idée qui me plaisait bien avant d'avoir des enfants.

Aujourd'hui, lire des histoires, c'est chaque parent son jour et ça suffit bien comme ça. Pourquoi ?

Parce que j'ai lu mille fois "Petit Ours Brun a une babysitter"

Vous me direz, ça l'a plutôt bien préparé à son quotidien. Mais mille fois, c'est trop. A peu près 975 fois de trop. J'ai mis le ton, j'ai vibré, mais non. Quand mon 2e enfant a été assez âgée pour ce livre, j'ai éliminé Petit Ours Brun. Je sais, je n'ai pas de cœur, mais il vallait mieux que je m'en prenne à l'ours qu'à l'enfant.

Parce que les enfants coupent toujours la parole pour poser des questions débiles

Pas la peine de penser aller au-delà de la première phrase. "Pourquoi il dit 'caca boudin' le lapin ?" "Ben, c'est l'histoire, mon chéri, il n'arrête pas de dire ce gros mot. Tu en connais aussi des enfants qui disent des gros mots. Allez, je continue." "Mais c'est pas bien, il ne faut pas dire caca boudin." "C'est vrai... Je continue ?" "Oui." "C'est l'heure du repas et..." "Mais quand même, pourquoi, il dit caca boudin ?"

Parce qu'ils scotchent sur des détails débiles

Une mauvaise coloration du dessin ? Un détail que les enfants ne comprennent pas ? Impossible de continuer à lire avant de débriefer. Exemples. Dans notre livre de Tarzan, le pouce de Tarzan est un peu plus jaune que le reste de sa peau sur cette image. Ma fille doit systématiquement le mentionner. Et je dois lui dire qu'il a dû y avoir un problème quand le livre a été imprimé. Des fois, je lui réponds : "Ben, je ne sais pas, qu'est-ce que tu en penses?" Une fois sur deux, elle ne sait pas, l'autre fois, elle répond : "il a dû y avoir un problème quand le livre a été imprimé."

photo (17)

 

Sur cette deuxième image, elle me dit : "Il a six doigts." "Non, c'est juste qu'il a une main devant l'autre." Et je dois lui montrer avec mes mains comment sont positionnées les doigts du garçon.

photo (20)

Idem sur cette troisième image, elle ne comprend pas la partie gris clair. "Mais qu'est-ce que c'est, ça ?" "C'est le ventre du singe." Et je tourne les pages pour lui montrer que le ventre est aussi dessiné en plus clair sur les autres singes. Mais, dernière petite perversion, un petit autocollant carré a longtemps été collé sur ce ventre. Avant elle me faisait remarquer : "Il y a une gommette là." Un jour, l'autocollant s'est détaché. Mais à chaque fois, quand je m'apprête à tourner la page, elle me rappelle : "Il y avait une gommette là."

photo (18)

 

Autant vous dire que j'aurais zigouillé Tarzan sans aucun scrupule si j'avais eu un troisième enfant et subit la menace de me taper ce bouquin avec un autre morveux.

Parce que ma fille a une forte capacité d'identification

"Là, c'est moi." "Là, c'est moi, et là, c'est toi, et là, c'est mon frère." "Là, c'est moi parce que j'ai les cheveux longs, mais ils sont marrons sur le dessin." Ma fille ressent le besoin urgent de me dire qu'elle vit l'histoire de l'intérieur. A toutes les pages, dès qu'il y a une robe rose, ou juste une robe, ou même juste une fillette, j'ai le droit à : "Là, c'est moi."

Parce que les enfants ne comprennent pas les chutes

Quand vous avez mis 25 minutes à lire un livre de dix pages à cause des questions, vous arrivez à la fin de l'aventure où le lapin décide de dire "Prout". "Pourquoi il dit prout maintenant le lapin?" "Ben, on pensait qu'il était guéri des gros mots, mais en fait non, dès le lendemain, il trouve un nouveau gros mot qu'il va sans doute répéter. C'est censé être drôle." "Pourquoi c'est drôle ?" "Parce que finalement, il ne s'arrête pas de dire des gros mots. Et c'est un peu drôle de dire des gros mots." "Pourquoi, c'est drôle ?"

Les prochaines fois, vous allez avoir besoin d'expliquer ça à la fin de l'histoire. Puis l'enfant se met à rire à la dernière page du livre. Mais parfois, il continue de demander : "Pourquoi c'est drôle ?"

 

 

Et puis, ce matin, mon grand a pris un nouveau livre et l'a lu entièrement à sa petite sœur. Miracle du CP. Et tout à coup, j'ai fondu et je me suis mise à espérer qu'ils allaient encore longtemps se coller contre moi (et me défoncer les côtes à coups de coude) pour m'écouter lire des histoires.

 

© FLICKR / SHANON MORRELUS

La brioche

Chères lectrices, aujourd'hui, je suis obligée de vous faire une révélation. La franchise est l'un des fondements de ce blog et je ne voudrais pas transiger, même si cela risque de vous choquer un peu. Voila : je suis la plus belle femme du monde. La plus jolie maman. Mes enfants me le répètent souvent et je ne démens jamais. Je suis aussi "super forte", parce que je parviens à ouvrir un bocal de confiture, mais c'est une autre histoire.

La plus belle femme du monde a parfois des cheveux blancs aux racines, des poils aux jambes et se ronge régulièrement les ongles. Ça ne suffit pas à faire douter ses enfants. La plus belle femme du monde a pris six kilos depuis qu'elle a arrêté de fumer (les soirées alcoolisées, ça ne compte pas). Les yeux de l'amour ne l'ont pas noté. Le plus belle femme du monde n'a d'ailleurs pas repris le sport, parce qu'elle a quand même plus intéressant à faire.

Mais ces derniers temps, ces cellules graisseuses accumulées en quelques mois se sont dit que ce serait vraiment sympa de se pelotonner les unes aux autres pour se tenir bien chaud, l'hiver est si long. Elles se sont données rendez-vous quelque part entre mon nombril et la ceinture de mon jean pour faire un bel ensemble. Un amas que l'on appelle communément la brioche.

© flickr / timlewisnm

Cette évolution de ma silhouette n'a pas échappé à mes enfants. A califourchon sur mes jambes, mon fils saisit le pli entre ses mains comme un accessoire tout à fait incongru. "C'est quoi, ça ?" "C'est mon ventre, mon cœur." "Ça fait une boule." "Ben oui, je vieillis et je commence à avoir du ventre." "Ah non, non, maman. Essaie de rentrer plus ton ventre, et de le rentrer tout le temps." Si toi aussi, tu cherches un conseil beauté, arrête d'acheter ELLE, demande à mon fils, je lui fais suivre.

Ma fille, elle, préfère appuyer dessus à deux mains, un peu comme un massage cardiaque, ou une boîte à ressort dans laquelle on essaie désespérément de faire rentrer un clown cassé. Elle fronce les sourcils, ne comprend pas pourquoi cette excroissance disgracieuse persiste à rester visible. Bref, si la brioche a elle seule ne m'avait pas ruiné le moral, mes enfants étaient là pour m'enfoncer la tête sous l'eau.

Heureusement, parallèlement, dans leur monde imaginaire, je continue d'être la plus belle des mamans. Mais j'ai gardé en favori cet article intitulé "sept minutes d'exercice qui vont remplacer vos interminables footings". Pour le jour où je j'aurai le courage de faire la peau à ma brioche.