© Daughter of the sun

Double peine pour la maman yogi qui allaitait nue

On l'appelle la "breastfeeding yoga mom" (la maman yogi allaitant au sein) et c'est sans doute l'une des photos les plus virales de l'été. Le cliché a été pris bien plus tôt, en avril 2011, vraisemblablement. On y voit une jeune femme nue de profil en train de faire "la posture sur la tête", une figure de yoga qui sert à se déployer en scorpion (oui, j'ai fait du yoga ado, je kiffe). Jusqu'ici, pas de chat qui fait du piano, pas de célébrité à la mine dépitée, bref rien de fou qui fasse le casse-croûte quotidien d'internet. Ah si, une petite fille d'un an environ tète le sein offert de sa maman. Etrange impression.

L'image a circulé tranquillement en 2011 dans les milieux communautaires adeptes du yoga, au point que la jeune femme, Amy Woodruff, prenne le temps sur son blog d'en préciser les circonstances, touchée de voir que la photo suscitait des questions. Elle raconte qu'elle faisait sa séance quotidienne de yoga, qu'elle vit "dans une petite communauté à Hawaii dans laquelle les habits sont optionnels et le yoga une nécessité" et que la petite s'est approchée quand elle a vu son garde-manger à portée de lèvres.

Début août, une journaliste du Baby Center Blog (qui semble faire un peu autorité mais que je ne connais pas personnellement) fait une interview d'Amy dont elle avait vu la photo circuler, en mode "Raconte-moi ton allaitement jusqu'aux 3 ans de ta fille". Un article dont les commentaires sont vite devenus violents, mais la photo est reprise par plusieurs sites. Le compte Instagram de la jeune femme enfle de 4000 abonnés.

Deux semaines plus tard, Instagram, le réseau social de photos vintage, ferme le compte de la maman yogi sans avertissement. La photo mise en cause n'y figurerait pas. Mais d'autres auraient choqué des internautes, avance le Huffington Post américain"Dans la charte d'utilisation, ce qui est toléré et ce qui ne l'est pas est clair. Nous encourageons tous nos utilisateurs à nous signaler tous les contenus qui les mettraient mal à l'aise", assure le réseau social au site.

Réactions en chaîne, les mères allaitantes se mobilisent, créent un hashtag, et la photo devient deux fois plus virale.

"C'est pour un pauvre compte Instagram suspendu que je viens de perdre cinq minutes de ma vie à lire ces lignes ?" allez-vous me dire. Pas tout à fait. La suspension du compte de photos n'est que la plus douce des deux punitions. Ce qui a retenu mon attention, c'est en fait les insultes auxquelles Amy se sent obligée de répondre sur son blog. Après les néo-cool, ce sont tous les aigris du web qui ont débarqué sur son blog, monté il y a quelques années pour rester en contact avec sa famille en Californie. "Et qu'est-ce que vous faites comme métier ?" "Vous devez être bourrés aux as ou vivre aux crochets de l'Etat !" "Vous êtes une exhibitionniste qui ne s'intéresse qu'à elle-même." "Elle a probablement accouché tous frais payés par l'Etat." "Vous êtes juste une bande de hippies !"

Et voilà qu'une nana un brin illuminée se retrouve à se justifier sur internet en répétant : "Nous payons nos impôts, nous payons nos impôts !" J'essaie d'imaginer, de l'autre côté de la souris, ces détracteurs aigris aux enfants loin d'être parfaits (ont-ils seulement des enfants ?) cracher leur bile en souhaitant que des personnes comme Amy Woodruff n'existent pas. Parfois les gens me désespèrent. Et pourquoi ai-je l'impression que les mères sont une cible facile pour ceux qui devraient se détendre un peu ?

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© Emma Defaud

Allaiter l'enfant d'une autre : ça vous choque ?

C'est bien la première fois que je vois un journal de droite ne pas faire l'apologie de l'allaitement maternel. Vendredi, le Figaro a publié un article qui soulignait que donner le sein pouvait provoquer "staphylocoques, streptocoques notamment, avec risques de septicémie ou encore de méningite chez le nouveau-né". Pourquoi ce message soudain alarmiste alors qu'on vante si souvent les vertus quasi magiques du lait maternel ? Parce qu'il s'agit de dissuader les femmes d'allaiter les enfants des autres.

Il faut dire que la petite annonce à l'origine de l'article du Figaro est assez inhabituelle : une jeune mère y met ses boobs en location pour la modique somme de 100 euros par jour.

Je suis une jeune maman en pleine santé, infirmière de formation, 29 ans, et loue mes seins pour l'allaitement de nourrissons. Je suis sur la région parisienne, me déplace. Et en une journée je propose jusqu'à une dizaine de prises pour votre bébé. Les couples d'hommes homosexuels n'ont pas la chance de pouvoir allaiter leur bébé, or l'allaitement permet aux bébés d'être en meilleure santé. En effet le lait maternel fournit des nutriments complets.

Ne nous arrêtons pas sur cette histoire de "couple d'hommes homosexuels" (les papas homos ou hétéros sont généralement très heureux de pouvoir nourrir leur enfant grâce au biberon, oui, oui, madame). C'est tellement énorme que je me demande même si ce n'est pas une fausse annonce mise en ligne par les tenants de la Manif pour tous.

Il faut dire que moi même...

Pour autant, la proposition fait écho à une histoire personnelle. Pour mon premier enfant, j'ai accouché, à une semaine près, en même temps qu'une copine et voisine. On passait pas mal de temps ensemble après la naissance des monstres. Et je me souviens avoir imaginé d'échanger les bébés au moment à l'allaitement. Comme ça. Pour voir leur réaction. Oui, j'ai toujours eu un côté petit chimiste. Finalement, j'ai fermé ma gueule, j'ai eu peur de me faire mettre à la porte. Et après va trouver quelqu'un d'autre pour la sortie poussette en plein mois de juin.

Mais c'est vrai que je trouvais l'expérience assez tentante.

But lucratif

Au fond, ce qui me marque davantage dans cette petite annonce en ligne, c'est qu'il a fallu attendre 2013 pour donner un second souffle au métier de nourrice. Il ne s'agit pas uniquement de donner le sein à un enfant, mais d'être payée pour le faire. Tous ces efforts vers le progrès pour de nouveau louer notre corps.

Pourtant la loi a bien prévu que "la collecte, la préparation, la qualification, le traitement, la conservation, la distribution et la délivrance sur prescription médicale du lait maternel mentionné au 8° de l'article L. 5311-1 sont assurés par des lactariums" gérés "sans but lucratif", mais l'allaitement direct entre-t-il dans ce cas de figure ? Pas sûr.

Mise à jour : J'ai reçu ce lundi la réponse de l'auteure de la petite annonce :

Bjr, Je ne voulais pas faire polémique ni communiquer sur ça, mais juste rendre service a des bébés. J'ai reçu pas mal de demandes, plus d'une dizaine. Personne n'a critiqué ma démarche pour l'instant. Bonne journée

A lire aussi : sur le sujet, je vous recommande le très chouette article d'une blogueuse canadienne qui raconte l'expérience de mères allaitant d'autres enfants, moins alarmiste que Le Figaro.

Mon homme et son fils dans un moment "un peu compliqué". © Emma Defaud

Congé parental et couches : j'ai demandé à un père s'il préférait s'occuper "de problèmes plus compliqués"

Attention, une loi sur l'égalité homme-femme arrive sur le devant de la scène, on va encore prendre cher. La loi remanie entre autres le congé parental, le scindant en une période de deux ans et demi pour le deuxième enfant au lieu de trois. Seul le deuxième parent (les regards se tournent vers les messieurs) pourra prendre les six mois restants. De quoi compliquer le mode de garde jusqu'à l'école maternelle, souligne Valérie Pécresse dans une interview au site internet Le Journal des femmes. Elle n'a pas tort. Si le deuxième parent ne veut/peut pas prendre de congé parental, trouver une nounou pour six mois, c'est bien relou.

Mais ce n'est pas ce qu'on retiendra des propos de l'ancienne ministre de droite. Parce que la dame a aussi longuement expliqué : "Pensez-vous que le plus grand nombre sont les pères qui ont envie de changer des couches ? Si on veut rééquilibrer les responsabilités des pères et des mères dans l'éducation, il faut certes inciter les pères à prendre un congé, mais ils le prendront d'autant plus volontiers avec un enfant un peu plus âgé, et cela sera socialement mieux vécu par les entreprises de voir les pères s'impliquer dans des problèmes un peu plus compliqués."

Cette sortie est une insulte à plusieurs égards. Penser que je dois sacrifier mon vernis dans la merde de mon bébé et pas son papa (d'autant qu'il ne porte pas de vernis, donc c'est moins gênant), c'est une insulte. Penser que seule une femme est indiquée pour la garde d'un bébé, c'est une insulte. Penser qu'un homme est plus légitime à s'occuper de choses compliquées est une insulte. Et penser qu'une entreprise comprendra qu'un papa prenne un congé parental parce que son fils est "en décrochage scolaire ou en crise d'adolescence" est aussi bien naïf.

Soyons clairs : j'ai pris un congé parental de trois mois pour mon deuxième enfant, afin de faire la soudure avec la rentrée car c'était trop compliqué de trouver une nounou en juin. Ça m'arrangeait bien aussi, parce que je voulais changer de travail. Je n'avais plus beaucoup de crédibilité dans ma boîte : trois mois d'arrêt maladie + le congé maternité + le congé parental, je suis passée pour une bonne glandeuse. J'ai encore aujourd'hui des collègues qui sont persuadés que mon arrêt maladie était un arrêt de travail de complaisance. Mais de là à dire que "les femmes souhaitent en général prendre un peu de recul pour s'occuper de [leurs enfants après la deuxième naissance]", il y a un pas que je ne franchirai pas.

Alors j'ai voulu avoir l'avis d'un homme. J'ai appelé Benjamin, alias Till The Cat, Père au Foyer et jolie plume du web.

Bonjour Benjamin. Est-ce que tu as changé beaucoup de couches ?

En fait, j'ai commencé à m'occuper de mes filles dès la naissance de la première. Elle a désormais 8 ans. L'autre a 6 ans. Je n'ai pas pris de congé parental : on venait de changer de région et je n'avais pas encore trouvé de job. Comme aides de la CAF, on touchait seulement le complément de libre choix d'activité.

Donc oui, j'ai changé beaucoup de couches. S'occuper d'un bébé, c'est toute une part de travail nécessaire et pas épanouissant. Mais pour moi, le truc le plus difficile, ce sont les nuits hachées. Quand tu en as deux en bas âge, c'est vraiment compliqué. Bref, c'est difficile mais c'est aussi des moments top : faire en sorte que l'enfant s'éveille. Clairement, j'ai aimé le fait d'être là à chaque petite étape de leur évolution, chaque petit truc qui fait qu'on s'émerveille, qu'on se dit "le bébé est capable de faire ça, c'est fou".

Mais maintenant que tes filles ont grandi, tu t'occupes de "problèmes un peu plus compliqués" j'imagine ?

Aujourd'hui, la journée est rythmée par l'école. J'habite un village. Je les récupère le midi, je leur fais à manger. Je les récupère à 16h30. Donc c'est beaucoup d'allers-retours. Je les aide le matin à choisir les bons vêtements quand elles veulent mettre une robe alors qu'il fait dix degrés. Je suis là pour les devoirs, répondre à leurs questions, leurs besoins, ou simplement quand elles ont envie d'un câlin, de moments de jeu. Elles ont encore besoin d'une présence. Elles pourraient gérer si on bossait, mais elles kiffent autant que moi.

Est-ce que tu as eu l'impression qu'on te jugeait mal, du fait que tu fasses une chose aussi simple que "garder des enfants" ?

Moi, je n'en ai jamais souffert. Même, comme il y a peu d'hommes qui le font, il y a un côté "pionnier", "wahou", alors qu'on dit souvent aux femmes au foyer qu'elles ne font "rien".

Et puis, le monde de l'entreprise est revenu vers moi grâce à cette période-là. Parce que j'ai parlé de mon expérience sur mon blog, ça m'a ouvert les voies de l'écriture sur le web. J'écris désormais pour plusieurs sites. Je suis donc en légère reprise. C'est une période de transition: la balance va s'équilibrer, voire s'inverser à un moment. Mais je suis certainement un peu une exception.

Pour autant, les quelques témoignages que j'ai de pères au foyer prouvent qu'ils ont réintégré le monde du travail. Ça n'a pas été compliqué, en fait. L'un a lancé sa boîte. L'autre a réintégré son poste après son congé parental (qu'il aurait bien aimé prolonger, mais bon).