Décantage et carafage, est-ce utile ?

Antti

Décanter un vin, en quoi cela consiste-t-il ?

Le décantage du vin est une pratique très ancienne qui consiste à séparer le vin limpide de son dépôt. Opération indispensable dans le passé car tous les vins déposaient abondamment, les procédés de clarification n'étaient pas maîtrisés comme aujourd'hui. De plus les vins rouges étaient bus vieux car trop tanniques lorsqu'ils étaient jeunes. Il y avait au fond de la bouteille « à boire et à manger » comme le disaient certains et même les vins blancs présentaient des « voltigeurs ». Ces bouteilles ne pouvaient être servies sans être décantées.

La formation de dépôt est un phénomène naturel pour les vins rouges, c'est un signe de vieillissement. Ce dépôt peut se former au bout de six à huit ans. Si le dépôt est mélangé au vin ou entraîné dans les derniers verres servis, le vin se goûte mal, le dépôt modifie sa structure, atténue l'arôme de bouche et peut le rendre amer. La bouteille qui présente un dépôt doit donc être décantée. Par contre, de nos jours, vins rouges et vins blancs jeunes ne présentent en général plus de dépôt, le décantage perd donc son utilité.

Faut-il décanter les vins vieux à l'avance ou au dernier moment ?

Les décanter plusieurs heures à l'avance est une faute car leur bouquet, résultat du processus de réduction acquis lentement à l'abri de l'air peut s'atténuer, voire disparaître à la suite d'une aération même légère. S'il y a nécessité de décanter, on le fera toujours au dernier moment, juste avant de passer à table ou juste avant le service. De nombreuses expériences dans ce domaine l'ont démontré.

Comment procède-t-on au décantage ?

Pour cela il faut prévoir un berceau pour la bouteille, une carafe et une bougie. La bouteille couchée en cave depuis longtemps est déposée dans le berceau quelques heures en avance pour faire glisser le dépôt vers le fond. Au dernier moment il faut la déboucher délicatement, sans la remuer, pour ne pas remettre le dépôt en suspension. Une fois débouchée il faut tenir la bouteille en maintenant le goulot au-dessus de la flamme de la bougie pour bien l'éclairer et verser le vin doucement dans la carafe en penchant celle-ci de façon à ce que le vin coule le long du col pour qu'il s'aère le moins possible. Dès que le dépôt commence à arriver dans le goulot il faut arrêter l'opération.

Que dire des bouteilles de vins plus jeunes ?

Doit-on les déboucher longtemps à l'avance, comme certains le recommandent, ou au moment de servir, ce qui est plus simple et plus logique ?

Autrefois certains pensaient que le temps de débouchage avant de servir dépendait de l'âge du vin. Pour les vins de cinq à six ans, les déboucher une demi-heure avant de les boire leur semblait suffisant. Pour les plus vieux il faut compter deux à trois heures. C'étaient des opinions auxquelles personne n'a apporté de justification. Peut-être pensait-on que le rafraîchissement ou le chambrage étaient plus efficaces quand la bouteille était ouverte ? Peut-être était-ce justifié à une époque où, par manque de technique, les vins « travaillaient » plus ou moins dans les bouteilles d'où un excès de CO2 (gaz carbonique).

En réalité, aujourd'hui, il est indifférent de déboucher une bouteille à l'avance ou au dernier moment car en deux ou trois heures il ne peut y avoir d'évaporation et l'oxydation est infime (les analyses le prouvent). Il suffit donc de l'ouvrir juste avant de passer à table, cela permet au maître de maison de contrôler le vin ou au sommelier d'ouvrir la bouteille devant les convives.

Le « carafage » 

Il s’agit d’une notion très récente mise à la mode par certains professionnels et prise en compte par bon nombre d'amateurs de vins à entendre certaines de leurs réflexions comme : « c'est un vin jeune, il faudra le carafer » ou « ce vin aurait mérité d'être carafé » ou encore « j'ai apporté une bouteille, il faudra la carafer ». Je ne suis pas persuadé que tout le monde ait conscience que le fait de carafer un vin lui apporte une quelconque amélioration. Déjà ces termes « carafage » et « carafer » semblent avoir été inventés, ils ne figurent pas en tous cas dans le Petit Larousse illustré de 2015.

En quoi consiste le carafage ?

Il s'agit de transvaser un vin de la bouteille dans une carafe. A en croire les adeptes cette opération va oxygéner le vin et ainsi révéler davantage sa capacité aromatique et sa structure, autrement dit, transformer un vin « fermé » en un vin « ouvert ». Là encore rien n'a été justifié. Un vin, s'il est « fermé », cela est dû au terroir riche et complexe dans lequel est plantée la vigne dont il est issu et ce ne sont que quelques années de vieillissement qui lui permettront de s' « ouvrir » et non le peu d'oxygénation d'un carafage.

J'ai une expérience personnelle dans ce domaine : en plus de mon activité, j'ai été dans les neuf dernières années de ma carrière, formateur à l’École Hôtelière de la CCI du Morbihan à Vannes. J'ai fait le test avec tous mes stagiaires, à savoir une dégustation à l'aveugle de deux vins identiques, l'un servi juste après débouchage de la bouteille et l'autre carafé au préalable. Les résultats ont toujours été très partagés donc pas de reconnaissance flagrante du vin «carafé ».

En réalité, le carafage a son utilité dans deux cas bien précis : lorsque le vin présente un excès de CO2 (gaz carbonique), ou un léger défaut olfactif comme une odeur de réduction, par exemple. Dans les deux cas l'aération peut résoudre le problème.

J'ai conscience que mes propos risquent de heurter certaines convictions, mais ils sont basés sur les expériences et les analyses, donc sur des faits scientifiques.