Le mouvement #MeToo inquiète les hommes et c’est une très bonne chose

 

On l’appelle « l’affaire Weinstein et ses conséquences ». Improbable tentative de requalifier en fait-divers buzzant ce qui n’est pas une affaire à effet boule de neige mais un authentique mouvement sororal de femmes du monde entier qui veulent en finir avec les violences sexuelles ordinaires. Un mouvement historique, de nature à donner un coup d’accélérateur sans équivalent à l’égalité entre les femmes et les hommes.

 

200Ce n’est pas la première fois que des femmes font massivement porter leur voix sans frontière pour exiger le changement de société qui passera par l’égalité en même temps qu’il la concrétisera. Le mouvement des suffragettes aux XIXe et XXe siècles est de ces dynamiques qui ont inscrit durablement les droits des femmes comme un fondamental des droits humains. Dans une autre mesure, les mouvements pour le droit à contrôler les naissances dans les années 1960-1970 comptent aussi parmi ces moments de l’histoire où les femmes ont fait sororité pour s’affirmer en sujettes libres de leur destinée. Mais le mouvement #MeToo de dénonciation massive du fait systémique de harcèlement et agressions sexuels n’est pas qu’une troisième vague. Car il contient plusieurs éléments distinctifs de tous les précédentes mobilisations de femmes pour leur liberté et l’égalité.

 

giphy-5Le premier d’entre ces éléments qui font de #MeToo un mouvement inédit, c’est que les femmes ne demandent pas : ni l’autorisation de parler ni des droits que les hommes voudraient bien leur concéder selon leur agenda et leurs conditions, comme ce fut le cas pour un droit de vote réclamé pendant des décennies avant qu’il soit magnanimement accordé quand on décida que la société (tel que des hommes, alors écrasante majorité aux commandes, la voulaient) était prête ; comme ce fut le cas pour la contraception et l’IVG dont il fallut qu’on supplie de les obtenir en exposant plein fard nos utérus charcutés par des aiguilles à tricoter et dont il faut encore aujourd’hui qu’on nous fasse leçon de bon usage. Cette fois-ci, les femmes ne demandent pas. Elles prennent. Elles prennent la parole. Et elles la prennent comme elles veulent, où elles veulent, quand elles veulent.

 

200-1C’est d’ailleurs bien ce qui en fait hoqueter, pour ne pas dire s’étrangler, certain.es : d’où que ces femmes prennent si facilement et si rapidement la parole alors que tout a été fait pour que leur voix sur les violences sexuelles soient si difficile à exprimer et à se faire entendre? On nous enjoint à fermer la fenêtre du réseau social et à la place, de filer porter plainte au commissariat. Ben, tiens! C’est tellement plus sécurisant pour les hommes agresseurs et pour leurs complices, cette démarche inconfortable, longue et éprouvante pour les femmes qu’est la procédure judiciaire qui n'aboutira à une condamnation qu'exceptionnellement, pourvu pour commencer que le délai de prescription ne soit pas échu ! Ça décourage la majorité, et celles qui persistent peuvent se préparer à un interminable parcours de la combattante qui verra chirurgicalement auscultés leur personnalité, leur comportement, leur tenue, leur passé de « victime présumée » (curieuse invention du langage ordinaire – sans existence légale – qui déplace le principe de présomption d’innocence des mis·es en cause vers un principe prétendument symétrique de présomption d’accusation calomnieuse de la part des plaignant·es).

 

will-you-listen-to-meNon seulement les femmes prennent aujourd’hui à leur guise la parole, mais elles la prennent d’abord pour exiger qu’on les écoute. Elles ne viennent pas avec une solution à leur problème dont on pourrait discuter de la pertinence, de la faisabilité et du calendrier d'application en contexte établi. Elles viennent avec une parole sur un problème qui n’est pas que le leur, mais qui interpelle et interroge tout le monde. À commencer par les hommes, bien obligés de se questionner sur leur propre attitude.

Comme plusieurs de mes amies féministes, j’ai vu ces dernières semaines, des hommes venir me demander discrètement et humblement ce que je pensais de telle ou telle situation dans laquelle ils avaient été impliqués : si de mon point de vue, cette fois où l’un avait été insistant dans un bar, par SMS ou sur un site de rencontres relevait du harcèlement ; si d’après moi, tel autre qui avait lâché sans penser à mal une grosse blague scabreuse avait pu mettre en grand embarras les femmes de l’assistance ; si d’après mon vécu, les avances qu’un troisième avait fait à une collègue avaient pu être reçues comme intrusives et déplacées ; si c’est dans les clous ou pas de demander son 06 à une nana dans la rue ; ce qu’il en est de mater assidûment les seins de sa collègue, de lui faire des compliments sur son décolleté, et qu'en penser s’il s’agit d’une personne sur qui on a autorité ; si pour un banquier, draguer une cliente venue solliciter un financement, ça craint ; s’il faudra faire signer une décharge administrative de 10 pages avant de prendre rendez-vous pour un verre etc.

tenor-1Le mouvement #MeToo inquiète les hommes, et c’est une très bonne chose. Il y a ceux qui ripostent crétinement en brandissant le fantasme de l’émasculation programmée des mâles par le féminisme hystérique. Il y a ceux qui ressortent d’on ne sait où le fameux hoax des eighties sur l’accusatrice américaine dans l’ascenseur. Et puis il y a ceux, dont on espère qu’ils sont les plus nombreux et que leur nombre ira encore croissant, qui se posent des questions. Sur leur comportement et ce qu’il peut inspirer (de crainte, de dégoût, de sentiment d’agression... mais aussi de désir) chez les femmes.

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Alors, ils développent une empathie envers l’autre moitié du genre humain à laquelle leur situation dans la société ne les a pas forcément habitués. Les hommes se trouvent aujourd’hui obligés de penser la réception de leurs signaux de désir chez les femmes auxquelles ils s’adressent avant d’appréhender leur envie propre. Ils ne peuvent plus considérer qu’ils ont un droit de tirage légitimant qu’ils « tentent leur chance », plus exiger qu’on la leur donne au nom de leur « besoin » (coucou, nous aussi, les femmes, on a des besoins sexuels!) et de leurs « pulsions » réputées irrépressibles (coucou, nous aussi, parfois on trouve hyper frustrant qu'un·e partenaire potentiel·le ne soit pas dispos·e à nous satisfaire), ils ne peuvent plus trouver d’excuses à ceux qui volent ce qu'on leur a refusé.

Il leur faut à tous accepter que la rue comme les lieux de travail, de divertissement et même les sites de rencontre ne sont pas des réserves de chasse, que les femmes n’y sont pas lâchées (de salopes, comme dirait l’autre) comme des proies, et que la drague n’est pas une partie de chasse à courre à l’issue de laquelle on décroche un trophée ou bien l’on rentre bredouille, la queue entre les jambes et la fierté en berne.

 

FUUcR0aNe me dites pas qu’il y a quand même des hommes bien qui n’ont jamais emmerdé une femme et ne le feront jamais. On le sait tou.te.s, mais ce n’est pas la question. La question, c’est celle de la séduction. Voilà ce que le mouvement #MeToo met sur la table, les pieds dans le plat. Qu’est-ce que séduire ? Peut-on penser une forme de continuum entre séduction, drague (plus ou moins lourde), harcèlement (plus ou moins conscient) et agression (plus ou moins attribuée à une intention de la part de qui la perpètre) ? C’est cela qu’on nous raconte depuis plusieurs semaines, à grands renforts de discours sur le risque de société tristement puritaine (parce que vous croyez vraiment que les femmes ont envie de ça? Coucou, nous aussi on aime le sexe!!) et de quiz ludiques sur la qualification (en droit ou en perception collective) de tel ou tel fait : que tout ça, séduction, drague, harcèlement, agressions sexuelles, serait d’une même nature s’étalant seulement sur un nuancier qui va du désirable à l’intolérable. Mais c’est une erreur ontologique : la séduction et le harcèlement sexuel n’ont rien à voir. Comme l’amour et la passion n’ont rien à voir avec les violences conjugales et les féminicides.

giphy-6La séduction est une relation, faite de la rencontre entre individus qui construisent un rapport singulier reposant sur l’excitation mutuelle du désir. Elle s’exerce dans l’échange de signes qui autorisent une montée en intimité, laquelle s’infuse de confiance. Elle est traversée par des sublimations qui convoquent l’imaginaire de chacun·e et par la découverte de la réalité de l’autre, objet de curiosité et sujet à part entière de la relation. C’est-à-dire en capacité à tout instant d’accepter, refuser, inviter à accélérer ou ralentir la montée en intimité. On appelle ça le consentement et pour cela, on ne signe jamais un chèque en blanc : à tout instant, on est en droit de dire oui ou non, de poursuivre l’échange ou de se retirer du jeu.

anigif_enhanced-buzz-16253-1412093257-4Le harcèlement et les agressions sexuelles sont tout le contraire de cette forme relationnelle : ils ne posent pas l’adresse à autrui comme un partage du désir montant, mais comme l’expression d’un désir individuel qui vise ses propres objectifs (d’apaisement de frustration, de conquête, de possession, de domination…) ; il ne tient pas compte de la qualité de sujet désirant de l’autre mais l’utilise égoïstement comme objet de désir ; il ne considère le consentement que comme un frein à son entreprise. Quant à l’agression sexuelle, elle n’est qu’effraction et vol en bonne et due forme. C’est un cambriolage sans vergogne et il est bien surprenant (et révoltant) que l’on se demande encore si ça procède du comportement ambigu de la victime et/ou de l’esprit libertin de l’auteur·e des faits quand on sait se refuser de poser la question de l’irrépressibilité de l’appétence de celui qui braque pour du fric, un smartphone ou une bagnole.