Et si la « domination masculine » était contre-nature ?

Gloups. C'est l'effet que m'a fait ce titre.

La domination masculine n'existe pas. Le genre d'affirmation qui provoque immédiatement chez la féministe lambda que je suis le réflexe de dégainer le bottin des chiffres des inégalités et autres discriminations et/ou de lancer un wiki de témoignages d'agressions sexistes.

pavlov3C'est quasi-pavlovien. Mais je ne suis pas un chien (ni une cloche). On ne me donne ni su-sucre ni os à ronger.

On me donne des livres à lire. Et de trois choses, la preums : quand j'achète un livre, rien que par souci de rapport qualité/prix, je veux en lire plus que le titre (18 balles, ça fait cher les 6 mots). La deuze : j'ai beau être forcément hystérique (en tant que féministe), je suis suffisamment robuste pour ne pas tomber raide d'une attaque urtico-panico-cardiaque à la lecture de 6 mots (même si je dois bien reconnaître une petite dermite). La troize : ça fait un moment que je suis les travaux et interventions de Peggy Sastre et sans être toujours d'accord avec ses positions (voire parfois franchement en désaccord), ce qu'elle écrit m'a presque toujours intéressée et très souvent amenée à ré-interroger mes convictions et à défier mes façons de penser (dans mon job de consultante, on appelle ça "être challengé-e". C'est indispensable si tu veux pas devenir un-e gros-se con-ne, sachant que c'est une affection professionnelle à laquelle le job prédispose).

 

Capture d’écran 2015-10-30 à 11.04.17Bref, j'ai lu le livre de Peggy Sastre. Pas que le titre.

Et aloooooooooors? Alors, l'idée générale, c'est qu'à force de prendre la nature pour ce qu'elle n'est pas, soit une divinité qui fait bien les choses tout comme il faut (ce dont toute femme qui a été enceinte et a eu les chevilles comme des tonneaux, le dos en marmelade et tous les organes vitaux déménagés a tout de même de sérieuses raisons de douter), soit un quasi-détail que l'humain, cette créature génialement supérieure, peut transcender à sa guise par la culture ; on se retrouverait pris-es au piège de logiciels intellectuels stériles. Dont "l'idée" de la domination masculine serait un exemple typique. Cette "domination" serait, sinon une vue de l'esprit, à tout le moins une construction culturo-idéologique aux fondations scientifiques discutables.

 

6a00e5500b4a64883301b8d07a22fa970cPeggy Sastre, qui annonce page 13 écrire un "livre foncièrement féministe" s'explique : elle fait une lecture des rapports entre les sexes inspirée par Darwin (un Darwin correctement lu, hein, pas le Darwin qu'invoquent suppôts du racisme et autres théoriciens d'une prétendue "loi" du plus fort) et prend pour matrice de sa réflexion les comportements "socio-sexuels" des humains. Comprenez : même quand nous n'y pensons pas, nous ne pensons qu'à ça, c'est plus fort que nous, et ça va chercher dans le fin fond de notre inconsciente et primaire préoccupation de perpétuer l'espèce. Et dans ce champ, c'est la compèt' permanente. Pour les femelles fertiles, avant tout, évidemment. Et qui dit compèt' dit sélection.

Ceci expliquant... Expliquant quoi, au fait?

maxstockworld308499Que les hommes préfèrent les femmes jeunes, admettons, mais aussi par exemple, que le harcèlement sexuel ne serait pas volonté de nuire, intimider, dominer, cloîtrer les femmes, les décourager d'investir l'espace public mais seulement une façon pour l'homme qui fait "pssssttt....pssssttt... Très charmante" de "tester" l'opportunité d'avoir un coït. Voilà qui fait écho à la rhétorique des "pick-up artists" : qui ne tente rien n'a rien et si tu fais bien la roue, mon petit paon, t'augmentes statistiquement  tes chances de baiser une grue.

Sastre est malgré tout plus fine et plus cultivée que ça, qui rappelle quand même, à toutes fins utiles, que du côté des femmes, ce n'est pas forcément que plaisir d'être ainsi "convoitées" même si ça ne devrait peut-être pas, toujours selon elle, être nécessairement vécu comme un traumatisme et moins encore les installer continuellement dans un rôle de victime. La solution, ce serait de se parler un peu plus, de se dire les choses en face ("oui, oui, j'ai envie de coucher avec toi, parce que tu me parais une bonne femelle" ; "non, non, ça me dit rien, tu me parais pas le bon mâle". Sans toutefois que soit expliqué pourquoi ce refus de copuler là tout de suite, à la terrasse d'un café, entraîne un déchaînement de "pour qui tu te prends, salope, d'ailleurs, t'es même pas belle"). Il faudrait donc se faire savoir plus directement la vérité sur nos désirs et pulsions sexuelles, parce que la situation "dite" de harcèlement procèderait le plus souvent de "malentendus".

 

vfwfnwxjSauf, que le problème avec ce livre, c'est qu'une lecture rapide et un peu molle de l'esprit critique aurait vite fait de créer d'autres malentendus. Comme par exemple, quand l'auteure, analysant les comportements des grands singes pour donner à lire autrement ceux des humains, distingue différents types de viol : le viol pathologique (perpétré par le psychopathe, une "anomalie" de l'espèce), le "viol simiesque" (qui adresse un message de domination non pas aux femelles mais aux autres mâles : "Regardez, c'est moi qui les baise toutes, de gré ou de force, alors, c'est qui le boss?"), la coercition sexuelle par le conjoint (qui est néanmoins une mauvaise idée du point de vue de l 'intérêt socio-sexuel du mâle, parce que les blessures et traumatismes d'une agression sexuelle diminuent les capacités reproductives de la femelle, selon une étude américaine citée page 164). C'est un peu flippant, en fait, ces sous-catégories du viol, qui pourraient volontiers apporter de l'eau au moulin de ceux qui ont en tête d'instaurer un barème de plus ou moins grande clémence selon les situations d'agression sexuelle, voire carrément de renoncer à qualifier certains rapports forcés de viol (voir par exemple, les brillantes propositions du blogueur masculiniste Roosh V.)

 

Alors, à quoi joue Peggy Sastre, sur la corde raide d'une intégrité scientiste qui ne veut rien sacrifier du (potentiellement) prouvé par l'étude (essentiellement en biologie) aux logiciels intellectuels stérilisés par l'idéologie féministe dominante? Je ne connais pas ses intentions ni celles de ses lecteurs (autres que moi-même), alors je propose une interprétation et je prends un pari.

47070b499e_grand-blanc-carcharodon-carcharias_hermanusbackpackers-FlickrMon interprétation, c'est que le livre de Peggy Sastre est bien un livre féministe. Voire féministe radical. Qui nous raconte que la nature n'appartient pas plus à un sexe qu'à l'autre, et que tout ne prédestine pas les femmes à être dominées. Qu'il serait donc temps qu'elles arrêtent de ne compter que sur la "culture" et la société (en l'occurrence organisée par les hommes et pour les hommes) pour les protéger et compenser ce dont la "nature" les aurait à jamais privées. Elles ont en fait bien plus de ressources "naturelles" qu'elles le croient : un corps pas si faible, loin de là, un cerveau pas si gauche, des hormones pas si vaches, et de formidables capacités de s'adapter (au sens darwinien du terme) pour se durcir le cuir (comme ces femelles requins blancs qui ont la peau du dos particulièrement coriace pour se protéger des morsures du mâle pendant la copulation) et se défendre (ici, on pense au passage du livre de Despentes, King Kong Théorie, dans lequel elle dit sa rage envers elle-même de n'avoir pas utilisé le couteau qu'elle avait sur elle le jour précis où elle s'est fait violer). Si c'est bien là où Sastre veut en venir, celles et ceux qui auront acheté son livre en espérant y trouver, en plus d'un réquisitoire contre le féminisme mainstream, des arguments pour nourrir leur conviction que c'est la sacro-sainte nature qui a fait le sexe fort et le sexe faible et qu'on n'y peut rien changer, risquent une douloureuse déception!

413B9w1iihL._SX337_BO1,204,203,200_Et c'est là, le pari, philosophe, que je prends. Celui que le lecteur, qui qu'il soit, ne sera pas plus con que moi-même (même s'il est consultant). Que donc, tous ces raccourcis que j'ai eu si peur de le voir prendre en plusieurs passages du livre, il les évitera ou rebroussera chemin en comprenant de lui-même que ce sont des impasses (ou pas). Ce pari, je l'ai concrètement pris hier dans le train : le voyageur en face de moi m'a dit "C'est bien ce que vous lisez? En tout cas, le titre (ndlr : ce titre, vindieu, ce foutu titre!), ben, ça change des discours féministes, y en a marre, pas vrai?". Je lui ai répondu "Euh... Ben... Bon... Ce qu'on va faire, c'est quand je l'ai fini, je vous le prête." Ce que j'ai fait, en inscrivant mon adresse sur la page de garde. Pour qu'il puisse me le renvoyer. Par la Poste, institution civilisationnelle, si l'en est. Pas pour qu'il croit que je l'invite à venir me baiser. Telle une créature socio-sexuelle équipée d'un GPS.