Je veux bien parier que même les moins féministes d'entre nous vont, pour le coup, trouver cette campagne de communication vulgaire, a minima. Elle est sordide, en fait, sexiste et macabre, cette affiche du Conseil Général de la Moselle qui veut sensibiliser la population à la réduction des déchets.
Pas besoin de loupe sociologique pour voir ce qui s'étale grossièrement de clichés sur les femmes dans ce visuel aussi peu raffiné dans son message que dans sa réalisation graphique : la métaphore du régime évidemment associée à la femme, donc indispensablement intégrée dans un décor rose girly souligné par une police de caractère inspirée des codes de la presse dite féminine.
J'y vois aussi, sans chercher midi à quatorze heures une femme sans tête (les femmes ont-elles de toute façon une tête?) ni jambes qu'on a emballée dans un sac poubelle. Et c'est étrange, ça me provoque un horrible frisson, ça m'évoque immanquablement la violence, le meurtre, ces femmes de la rubrique fait-divers qui font la une quand on les retrouve en morceaux, après qu'un prédateur les a massacrées...
Quant à l'analogie primitive entre la femme et le déchet, je ne saurais rien ajouter. Le mauvais goût est à son comble.
On a tout vu en matière de pub sexiste. Les "une femme, une pipe, un pull", les "Babette, je la lie, je la fouette et parfois, elle passe à la casserole", les "il a l'argent, il a le pouvoir, il a une Audi, il aura la femme"... J'en passe, des blogs entiers sont consacrés au sujet.
Quand ce sont des marques, nous avons la possibilité de les boycotter (il existe même désormais une appli comme #notbuyingit qui permet de vérifier en un touch que le produit que nous nous apprêtons à acheter n'a pas fait l'objet d'une communication sexiste ou dégradante pour les femmes).
Mais quand c'est la campagne d'une collectivité, le "produit", nous l'avons déjà en quelque sorte "acheté". Une campagne comme celle du Conseil Général de la Moselle, les femmes et les hommes du département l'ont déjà payée. En s'acquittant de leurs impôts.
Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit, ne me prenez pas pour celle qui saisira l'occasion d'une pub ignoble pour servir indirectement le discours ambiant contre les prélèvements obligatoires. Je compte au contraire parmi celles et ceux qui considèrent que l'impôt est le cordon ombilical de la citoyenneté et qu'il faut à l'Etat et aux collectivités publiques les moyens de leur action... En faveur de l'intérêt général!
Nous y voilà : la vraie question en matière de dépense publique, c'est celle-là. C'est celle qui fait de l'argent que nous, contribuables, confions aux élu-es pour qu'ils réalisent ce que le marché ne sait pas faire, ce que le privé délaisse parfois (et encore, c'est de moins en moins vrai aujourd'hui quand de très nombreuses entreprises s'engagent, parce qu'elles savent que c'est dans leur intérêt, dans des politiques de responsabilité sociétale intégrant pour la plupart les questions d'égalité femmes/hommes). Nous n'avons non seulement pas besoin que nos collectivités fassent, comme ici, des campagnes de communication pires que celles de certaines marques commerciales ; mais nous sommes encore en droit d'exiger qu'elles fassent mieux. Qu'elles portent des messages d'utilité publique. Celui qui, au prétexte, et seulement au prétexte de promouvoir le respect de l'environnement, insulte les femmes sans complexe, répond-il à cet impératif-là?
En un mot, ce qui est à jeter, sans hésitation ni scrupule, c'est cette pub nauséabonde, dont de surcroît, strictement rien ne pourra être recyclé. Du gâchis, de la pollution à l'état pur.
Actualisation du 6 mars 2014, 10 heures : des lecteurs et lectrices attentif-ves m'ont signalé qu'une affiche "en miroir", mettant en scène un corps d'homme (sur fond bleu cette fois-ci, les codes stéréotypés devant être respectés) emballé lui aussi dans un sac-poubelle avait également été réalisée.
Cela signifie-t-il pour autant que la campagne n'est pas sexiste? Je crois au contraire qu'elle l'est deux fois plus! Le sexisme, c'est effectivement traiter un genre différemment de l'autre (et souvent en effet, cela s'adresse plutôt aux femmes, présentées de façon dégradante). De façon plus générale, le sexisme consiste à attribuer à chaque genre des caractéristiques stéréotypales qui désignent le féminin et le masculin par des critères réducteurs, simplistes et caricaturaux en vue d'opposer les sexes et d'entretenir l'idée selon laquelle femmes et hommes appartiendraient à des espèces différentes, viendraient de planètes différentes, comme le clame un best-seller d'une niaiserie déconcertante. Le sexisme a encore ceci de troublant qu'il est alternativement malveillant (renvoyant de l'injure : "les hommes ne pensent qu'au cul", "les blondes sont connes") ou bienveillant (s'annonçant flatteur : "les hommes ont de l'autorité naturelle", "les femmes sont douces"). Aussi, sous des dehors de juste répartition des punitions, le sexisme s'exprime en réalité de façon assez asymétrique : le stéréotype malveillant du masculin renvoie volontiers à la maladresse attendrissante ("ils ne savent pas faire deux choses à la fois"), à la puissance sexuelle ("ils pensent qu'au cul" bis repetita), à l'humour potache ( "le lâcher de salopes de Bigard, c'est con, mais c'est drôle") quand le stéréotype malveillant du féminin renvoie quand même plus volontiers à la bêtise (les blondes, les dindes), à la superficialité ("elles sont obsédées par leur ligne"), au fantasme de l'hystérie ("elle est de mauvais poil, elle doit avoir ses lunes qui la travaillent"). Reste qu'hommes comme femmes, avons, j'en suis convaincue, tout intérêt, à nous battre ensemble contre le sexisme, qui ne réussit au fond à personne.
Un dernier mot encore, pour revenir à cette fichue campagne du CG27 : il est à mon sens, une manoeuvre grossière chez celles et ceux qui produisent un message dégradant pour les femmes, de tenter de désamorcer la critique en produisant son équivalent "au masculin", en miroir. Cette astuce lourdaude n'annule pas selon moi la violence du message adressé comme ici, aux femmes. Il vient au contraire, je crois, le renforcer, en prétendant précisément nier l'asymétrie entre le traitement réservé au masculin et celui réservé au féminin. On ne se dédouane pas si facilement de ses intentions bouffies de préjugés...