Je n'ai toujours pas lu le livre de Marcela Iacub.
Sois plouc et tais-toi
Comme les quatre pages indispensables qui faisaient l'ouverture de Libération hier le laissaient très justement entendre, je fais partie de ces ploucs qui ne sont pas inscrit-es à la liste privilège du service de presse de l'éditeur.
Jusqu'à la sortie officielle du livre en librairie, je n'ai donc pour alternative que de me taire (après tout, je ne fais que partie du web "gueulard" comme dit l'un des journalistes) ou de parler sans savoir (et de passer pour une conne qui ne sait pas et n'aura le droit de savoir que plus tard, après ceux qui savent a priori, ceux qui sont pré-qualifiés pour savoir).
Ni Foucault, ni Leiris, ni Guibert, ni les cochons n'ont demandé ça...
Car ce qu'on me recommande, c'est bien de parler après. Après eux, après les brillants journalistes du quotidien qui eux, ont lu Belle et Bête (oooooh! la chaaaance!!!) et m'invitent à la plus grande prudence quand j'aurai à mon tour le loisir de l'acheter (ou pas), de le lire (ou pas). Prudence, en effet, car si je n'ai pas la bonne grille de lecture, je risquerais de ne pas saisir que Marcela Iacub est un génie.
Ce qui signifierait soit que je suis coincée du derche, soit pétrie de morale petite bourgeoise, soit incapable de comprendre Foucault et sa... Descendance (la poilade!). Ou tout à la fois. Bref, si je n'adhère pas à la formidablement subversive théorie du mi-homme mi-cochon, c'est, m'ont bien fait comprendre les éditorialistes et critiques littéraires de Libé, que je suis une inculte doublée d'une pudibonde.
Tout est bon dans l'anti-politiquement correct... Comme dans le cochon
Ce que j'ai aussi compris à la lecture du grand quotidien de gôôôôôôche progressiste, c'est que le fantasme machiste de la femme à talons qui se fait lécher le mascara par un cochon (et qui aime ça à en glousser) a de beaux jours devant lui tant il crée de vrais petits séismes dans les caleçons des anti-politiquement corrects parisiannistes.
Comme ils ont l'air heureux, ces messieurs, d'avoir tout à coup le droit de se comporter en porcs sans que ce soit considéré comme un manque crasse d'éducation. Mieux, cela devient par la grâce du livre qu'ils adorent un aboutissement philosophico-artistique impliquant sans qu'ils n'aient rien demandé des Leiris et des Guibert et des Foucault.
De l'art et du cochon
Ca, c'est une vraie joie. Ils vont pouvoir à l'aise roter et péter en public, ce sera de l'art. De l'art cochon, mais de l'art quand même. De l'art parce que du cochon.
Ils vont pouvoir croire que la collègue ou la femme de service dont ils ont envie de pincer les fesses dans l'ascenseur ou de trousser sur la moquette d'une chambre d'hôtel a le même désir, même si elle n'ose pas le dire (car elle est coincée, à l'inverse de l'égérie Marcela). Ce sera de l'art, toujours.
Ils vont pouvoir sans complexe relativiser toutes les théories du savoir-être entre les genres et partant de l'égal accès des femmes et des hommes à la sphère publique. Ce sera le summum de l'art.
Ils vont pouvoir se vautrer sans complexe dans l'anti-féminisme primaire : ce ne sera pas de la beauferie frustrée, non, ce sera de l'art majeur. Ils seront des cochons et ce sera beau. Ce sera brillant. Ce sera sublime, forcément sublime.
Laissez les porcs, les vrais, en dehors de tout ça...
J'ai le pénible souvenir d'avoir brièvement croisé dans ma vie professionnelle un porc assumé. Un homme sans savoir-vivre qui humiliait sa compagne en public, qui traitait les femmes sous son autorité comme de la chair qu'il menaçait de croquer, qui avait plaisir à se tenir les jambes largement ouvertes et le cigare patronal aux lèvres en riant de ses propres blagues salaces. Il disait de lui-même qu'il était un porc. Ca le préservait, pensait-il, d'être qualifié plus sévèrement. A l'époque, j'avais pensé : "les cochons ne méritent pas ça".
Hier, en lisant un journal que je ne lirai plus, je me suis fait la même réflexion. Les cochons ne méritent pas que l'on compare les hommes les moins bien élevés à eux. Ils ne méritent pas que les hommes qui ont le fantasme de se vautrer dans la fange les prennent pour modèles. Et ce n'est pas d'être renvoyés à la fine fleur des lettres subversives des trente dernières années qui consolera les cochons, les vrais, de ça.
Merci à mon amie Ch. qui m'a donnée le courage et la confiance d'écrire ce billet.
Ndla : On lira utilement dans Le Monde, la réponse de Christine Angot, mise malgré elle dans le sac des auteur-es subversif-ves supposé-es appuyer la fameuse audace de Marcela Iacub : "Non, non, non et non".