Comme ça, au premier abord, le réseau social Facebook n'a pas l'air très prude : conçu pour l'étalement désinhibé de la vie privée, il est un terreau hautement fertile pour le foisonnement de la potacherie décomplexée, l'expression débarrassée de surmoi et le commentaire grossier... En revanche, il observe une politique très stricte en matière de nudité. Ce qui fait que jusqu'il y a peu, le règlement du site interdisait la diffusion de toute image montrant "les parties intimes nues, incluant les fesses ou les tétons féminins". "Les tétons masculins", eux, étaient "autorisés". C'est clair : le torse nu d'un homme n'envoie pas le même message que celui d'une femme. Dans un cas, c'est anodin, dans l'autre, de nature pornographique.
Sauf que... les seins des femmes, ce n'est pas qu'un objet d'excitation sexuelle.
C'est aussi une partie du corps féminin à part entière. Et les associations de lutte contre le cancer s'étaient déjà indignées, à raison, en 2012, quand le réseau social avait censuré une campagne de dépistage au motif que les tétons d'une actrice n'étaient pas chastement cryptés sur le visuel. Dans le même ordre d'idée, le quotidien La Voix du Nord s'était fait retoquer une publication informative sur la mammographie pour cause de photo réaliste de néné. En résumé : prière de ne pas montrer un sein tel qu'il est, quitte à ne pas appeler un cancer un cancer, voire à ne pas parler du tout de santé féminine sur le troisième site Internet le plus consulté de par le monde.
Plus récemment, ce sont les défenseur-es de l'allaitement maternel qui se sont ému-es de la politique no-nibs de la Zuckerberg Company qui, du fait de sa pudibonderie de principe, interdisait que l'on montre une femme donnant le sein à son enfant, des fois qu'un bout de téton soit amené à dépasser. La très médiatisée campagne #freethenipple, engagée par des féministes pro-allaitement, a porté ses fruits : le partage d'images de mamans allaitant est désormais admis sur le réseau social. Dans la rubrique "aide" du site, on peut à présent lire : "Nous reconnaissons la beauté et le caractère naturel de l’allaitement, et nous sommes ravis de savoir qu’il est important pour les mères de partager leurs expériences avec autrui sur Facebook. La plupart de ces photos respectent nos règlements." On notera au passage que les photos post-mastectomies sont également permises : "Nous sommes conscients que la mastectomie est un évènement très important dans une vie et que le fait de partager des photos peut contribuer à sensibiliser le public à la question du cancer du sein et à soutenir les hommes et femmes ayant été diagnostiqués, suivant un traitement ou ayant des séquelles de leur cancer. La plupart des photos de ce type respectent nos règlements." (Notez qu'on parle ici de raisons médicales "classiques" à la mastectomie, mais que l'éventualité d'une opération transgenre est soigneusement passée sous silence).
En d'autres termes, le sein féminin a désormais droit de cité sur Facebook à condition qu'il soit utile et moral de le montrer. Ça a l'air d'une avancée pour le droit des femmes à disposer de leur corps et de l'image de celui-ci, mais ce n'est quand même pas du ressort de chacune d'en décider. Si, comme la Leche League, tu fais du nichon un parangon de vertu maternelle, c'est bon ; mais si, comme les Femen, tu fais de ton nibard un étendard pour ton discours militant, c'est out (en principe).
Et si tu ne surinvestis pas tes lolos, comme votre servitrice, que tu ne les considères ni comme l'incarnation de ta générosité maternante, ni comme le lieu de ton affirmation politique, ni même comme un signal sexuel absolu, ton cas n'est tout simplement pas prévu. Il n'est pas envisagé que tu sois seins nus parce que c'est joli (sans être forcément destiné à être directement bandant) ni parce que tu es plus à l'aise comme ça, sur la plage par exemple, qu'avec un soutien-gorge et un tee-shirt. Tu remballes donc tes seins qui ne servent à rien d'autre qu'à ton propre plaisir de les dénuder quand ça te chante et de les montrer si ça te tente.
Laisse donc aux tétons des hommes la liberté de s'exposer sans que ça fasse jaser et à ceux des femmes qui ont de justes raisons le droit de se dévoiler... Et le principe du contrôle sur le corps des femmes (avec exceptions à la règle par la "nature", la morale ou la médecine justifiées et par l'autorité décidées) sera bien gardé.