Anne Sinclair, Vanessa Paradis, Ségolène Royal : femme battante" de l'année = femme trompée ou femme plaquée?

"Dis, Marie, tu as vu, il y a un sondage sur les femmes battantes de l'année qui vient de sortir..."

Alertée par un copain, je file au kiosque. En chemin, je fais mes petits paris à part moi : dans le palmarès, je verrais bien Marissa Mayer, la nouvelle PDG de Yahoo, engagée alors qu'elle était enceinte ; Joyce Banda, la première Présidente de la république du Malawi, Aung San Suu Kyi, entrée au parlement de Birmanie, Anne-Sophie Pic, toujours seule femme triplement étoilée au Guide Michelin et qui vient d'ouvrir la Dame de Pic à Paris, Najat Vallaud-Belkacem qui a ressuscité le Ministère des Droits des Femmes et proposé un plan très prometteur pour une "troisième génération de droits des femmes", Mireille Ballestrazzi, nommée à la tête d'Interpol...

Je cherche du côté de la presse magazine généraliste. Nada. De la presse économique. Nothing. Des revues de management. Chou blanc. De la presse féminine. Pas mieux. Et soudain, les femmes battantes sont là sous mes yeux. Dans Closer. Ok, c'est bon, j'ai fait fausse route. Ce n'est pas de la presse people que j'attends une vision valorisante des femmes. Je vais passer mon chemin. Enfin, euh, juste après avoir jeté un petit coup d'oeil à l'article sur le polichinelle royal de Kate Middleton et sur la fascinante vie sexuelle de Céline Dion. Ben, quoi, chez le marchand de journaux un dimanche matin, on est presque aussi bien que chez le coiffeur ou dans la salle d'attente du dentiste,les bigoudis et la fraise en moins, la baguette sous le bras en plus.

Allez, tant que j'y suis, j'ouvre la page sur les "femmes battantes". Le palmarès établi par le journal résulte d'un sondage de l'Institut Harris Interactive, réalisé très sérieusement auprès d'un échantillon représentatif de la population française âgée de plus de 15 ans.

And the winner are : médaille d'or à Anne Sinclair (28% des votes), argent à Vanessa Paradis (18%) et bronze à Ségolène Royal (12%). Et le magazine de commenter que la première a su rester tellement "digne" et "calme" pendant l'affaire DSK, la seconde tellement discrète sur sa séparation avec Johnny Depp, la troisième tellement maîtresse d'elle-même tandis que d'aucune lui chiait des tweets sur la tête.

On retiendra donc que les conditions à réunir pour être une "femme battante" sont les suivantes :
1. Se séparer de son conjoint, de préférence en se faisant larguer ou en étant abondamment trompée.
2. Avoir le plaisir renouvelé de voir son ex en photo avec sa nouvelle conquête tous les matins dans le journal.
3. Etre quotidiennement poursuivie par des paparazzis et des rédacteurs peoples qui traquent le mascara coulé, la cerne creusée ou la ride du lion incrustée.

Une fois ces conditions remplies, merci de rester "calme" et "digne", de garder son sang-froid, de ne pas chialer, de ne pas gueuler, de ne pas répondre sur Twitter "et ta soeur, elle suce des ours" à sa "rivale", de ne pas publier sur facebook de clichés de l'ex avec le sexe flasque, de ne surtout pas manifester sa peine ou sa colère...

La "femme battante" est ainsi : c'est une mater dolorosa sans larme, sans cri, sans voix. C'est la femme qui souffre en silence, qui attend que ça passe sans emmerder le monde avec ses états d'âme. C'est aussi une femme renvoyée à l'adversité dans sa sphère privée. Une femme dont on aime à imaginer qu'elle pleure toute seule le nez enfoui dans son oreiller et dont on interprète le sourire en société comme un signe de politesse bienvenu (et jamais comme le signe qu'elle pourrait, par exemple, être secrètement soulagée d'être débarrassée de l'autre boulet).

Pourtant, pour moi, une "femme battante", ce n'est pas une femme qui retient ses larmes au sein de l'alcôve, à l'abri des regards. Pour moi, une "femme battante", ce serait plutôt une femme dans la lumière, une femme qui conquiert le monde et investit la sphère publique en entreprenant, en donnant de la voix, en osant s'accomplir, en entraînant les autres dans son élan, dans ses projets, dans ses ambitions. Une "femme battante", c'est une personne "battante" tout court. Une personne engagée, une personne énergique, une personne qui innove, une personne qui convainc, une personne qui suscite l'enthousiasme et réveille chez tous et toutes l'envie d'agir.

Si vous admirez Anne Sinclair, admirez-la pour son travail de journaliste! Si vous admirez Vanessa Paradis, admirez-la pour sa capacité à bien s'entourer pour faire de la musique! Si vous admirez Ségolène Royal, admirez-la pour sa ténacité en politique. Admirez-les pour leur travail, pour leur talent, pour leur influence, mais pas parce que ce sont des femmes trompées ou quittées.