Les profs travaillent beaucoup et sont peu absents, qu’on se le dise !

AFP

Et c'est reparti pour un tour. Il aura suffi d'un énième rapport de la Cour des comptes, toujours soucieuse de faire des économies sur le dos des services publics et piètre connaisseuse des réalités de l'école, pour générer une vague de désinformation aussi ridicule qu’enrageante. Alors on va le redire : non, un prof ne travaille pas moins qu'un salarié lambda. Non, il n'est pas plus absent, et il le serait même moins...

La Cour des comptes remet une pièce dans la machine

Quand on a appris que la Cour des comptes allait rendre un rapport explosif sur l’absentéisme des profs, son cout, et donner des idées pour y remédier, on a poussé un long soupir. Parce qu’on connait bien l’avis de la Cour des comptes, cela fait des années qu’elle communique régulièrement sur ce sujet, on sait ce qu’elle propose, on craignait donc de ne pas être surpris, et on avait raison, il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Sauf que la campagne présidentielle s’accélère ces derniers jours, et on craint que l’effet d’agenda ne contribue à monter ce sujet en épingle (il y a quelques dossiers prioritaires avant...).

Que dit exactement ce rapport, intitulé « La gestion des absences des enseignants » ? D’abord, et c’est ça qui intéresse la Cour des comptes, que ces absences coutent chaque année 4 milliards d’euros, et qu’il s’agit de les récupérer.

Ensuite, qu’il faut distinguer le primaire du secondaire : « le remplacement des professeurs des écoles est assuré dans près de 80 % des cas dans le premier degré dès le premier jour d’absence et l’accueil des élèves garanti ». Mais dans le secondaire les absences de moins de 15 jours sont peu remplacées (1/5ème des 2,5 millions d’heures) et la Cour des comptes estime que 10% des heures de cours ont été perdues en 2018-2019. « Plus du tiers (34 %) s’explique par des absences pour des raisons individuelles, les deux tiers restants provenant du fonctionnement même de l’éducation nationale ». On le voit, la Cour des comptes met un peu d’eau dans son vin par rapport à ses précédentes publications en allégeant les épaules des enseignants pour charger celles de l’institution. Mais c’est pour mieux proposer d’en changer les règles…

En effet pour remédier à ces « absences institutionnelles » la Cour des comptes, après avoir benoitement souhaité que la gestion administrative des absences s’améliore (saisie, suivi), ressort ses bonnes vieilles solutions habituelles :

- annualisation des heures de service des enseignants (la bivalence est également à nouveau invoquée) ;

- intégration d’un forfait annuel d’heures de remplacement dans les obligations de service et renforcement des prérogatives du chef d’établissement ;

- organisation des examens et des réunions pédagogiques hors du temps d’enseignement (bon, c'est 2% des absences, hein).

On comprend que ce rapport sur l’absence des profs est surtout l’occasion, pour la Cour des comptes, à l’orée de la campagne présidentielle, de proposer une nouvelle gestion des professeurs, laquelle cadre d’ailleurs assez bien avec la vision blanquerienne et les conclusions de son Grenelle de l’éducation.

Au détour d’un paragraphe on croise cette phrase, qui dit tout : « De façon générale, l’écart entre les obligations réglementaires de service et le temps de travail annuel dû par les enseignants en tant que fonctionnaires (1607 heures annuelles) laisse des plages horaires suffisantes pour que les absences dues à l’institution ne s’imputent pas sur les temps d’enseignement ».

On lit très bien : les profs ne travaillent pas 1607 heures par an.

Il n’a pas fallu beaucoup de temps avant que les chroniqueurs les plus ignorants des choses de l’école étalent leur incompétence sur les plateaux des chaines infos.

Les profs travaillent (au moins) autant que vous, si si

Comme d’autres, Pascal Perri sur LCI se garde bien de comparer ce qu’il présente comme le temps de travail des profs avec celui de leurs collègues européens (le principe des comparaisons, on le rappelle, c’est qu’on compare avec ce qu’on veut, surtout si ça nous arrange) ; dommage, il aurait suffi de parcourir le dernier opus d’un organisme que ce monsieur doit pourtant bien connaitre, l’OCDE, dans lequel on peut lire que la moyenne de l’OCDE est de 791 heures en primaire (et même 738 en Europe), 723 heures au collège (660 en Europe) et 685 heures au lycée (629 en Europe). En primaire, seuls 3 pays sur 36 ont un nombre d’heures supérieur (Chili, Costa Rica et Etats-Unis)… Alors, les profs du monde entier seraient-ils aussi tire-au-flanc que les français ? Bien sûr que non, et c’est là que l’infographie de Pascal Perri est scandaleuse : les 972 heures affichées pour le primaire, les 540 h d’un agrégé, ne sont pas les heures de travail comme indiqué, mais les heures d’enseignement, ce qui n’est pas du tout la même chose, sauf à considérer qu’un prof se pointe chaque matin devant ses élèves la bouche en cœur en se demandant bien ce qu’il va pouvoir faire, sans corriger aucun cahier, aucune copie, ne jamais rien préparer dans sa classe, ne jamais rencontrer de parents, n’avoir aucune réunion, ne jamais remplir de livret, etc.

Manifestement Pascal Perri n’est pas le seul à continuer, en 2021, à nourrir une pensée archaïque et totalement hors-sol sur les profs (un peu comme si on se limitait à penser que lui-même ne travaille que 242 heures par an, quand il est à l'antenne), car ceux-là même qui sont censés se pencher sur eux le font tout autant : la Cour des compte, donc, qui estime que l’écart entre ce que fait un prof et les 1607 heures des autres travailleurs laisse « des plages horaires suffisantes » pour faire autre chose, mais aussi le Sénat, notamment sous la plume et par la voix de Gérard Longuet, haut pourfendeur du sieur professeur (Longuet vient étonnamment de pondre un rapport pour le Sénat disant combien le prof français est mal payé, allez comprendre…). On se souvient notamment qu’en 2016, Longuet avait rédigé un rapport sur les heures supplémentaires dans le second degré, prétexte à faire sur le temps de travail des enseignants des propositions qu’on retrouve peu ou prou dans le rapport de la Cour des comptes. On s’était amusés, avec un brin d’ironie, à compter les heures de travail des profs en se fondant sur les études disponibles, et on avait montré que les 1607 heures, on les fait largement, et beaucoup de profs sont nettement au-dessus. (Je vous invite à relire ce billet, je le fais parfois, juste pour le plaisir de m’adresser à M. Longuet en pensée, big up Gégé).

Les profs sont moins absents que la moyenne des salariés, ben si

Reste cette histoire d’absentéisme. On le voit en bandeau sur LCI, « les profs absents sont un fléau pour l’éducation nationale », on l’entend sur Europe 1 (« à cause de l’absentéisme des professeurs les collégiens et les lycéens perdraient 10% d'heures de cours »), on le lit sur Le Figaro, c’est bien l’absentéisme des professeurs qui pose problème. Et bien sûr, cela résonne particulièrement en ce moment où de nombreux enseignants sont contaminés par le Covid-19 et ne sont pas remplacés.

Cet absentéisme des profs est un vieux serpent de mer auquel on avait également, il y a quelques temps, consacré un billet de blog. L’examen de deux études nous avait permis de battre en brèche cette idée reçue vivace.

Une étude de la DGAFP (la Direction générale de la fonction publique) y établissait à 7,1 jours la moyenne annuelle des congés maladie ordinaire chez les agents de la fonction publique. A l’Éducation nationale, on est à 6,7 jours de congé maladie par agent et par an. Un rapport sur l’état de la fonction publique établissait même que la proportion de salariés absents au moins un jour pour raison de santé au cours d’une semaine est, tous secteurs confondus, de 3,7% au niveau national. Elle est de 3,6% dans le secteur privé, de 3,8% dans la fonction publique, et de… 2,3% chez les enseignants.

Conclusion 1 : les profs sont moins absents que la moyenne des fonctionnaires.

Une autre étude, de la DARES (Direction des statistiques) portant sur les absences au travail des salariés, tous domaines confondus, établissait quelques années plus tôt que le taux d’absentéisme pour raisons de santé, tous secteurs confondus, est en moyenne de 3,7 % et qu'il est de 3,2 % dans l’enseignement.

Conclusion 2 : les profs sont moins absents que la moyenne des travailleurs.

Et encore, une note de la DEPP (Direction de l’évaluation, de la Prospective et de la Performance) venait expliquer comment les chiffres de l’absentéisme des enseignants étaient gonflés par la forte féminisation du métier (68%), notamment dans le primaire (82%), en raison des absences pour cause de maternité, souvent accompagnées d’arrêt maladie.

Citant le rapport de la Cour des comptes (tout n'est pas à jeter, elle donne des chiffres intéressants, mais ces chiffres ne sont pas repris par les chroniqueurs éco…), le Café pédagogique résume : « En 2019 on comptait 2.6% d'absents sur une semaine type chez les enseignants, 3.2% chez les fonctionnaires de l'Etat, 5.1 dans la territoriale, 4.6 chez les hospitaliers et 3.9 dans le secteur privé. Pour les seuls congés maladie, la moitié des enseignants n'en prend pas sur une année. Un quart en prend un une fois ».

La question du supposé absentéisme des profs, chimérique, est l’arbre qui cache la forêt : le non-remplacement des professeurs absents est le véritable problème. Et si on demandait au ministère ce qu’il en pense ?

Nota : le billet sur le temps de travail des profs, big up Gégé : "Annualiser le temps de travail des profs, chiche !".

Le billet sur l’absentéisme, big up Ferri : "Les profs, moins absents que la moyenne des salariés".

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