Un article du Figaro.fr, il y a quelques jours, m’a interpellé : « Absentéisme dans la fonction publique, qui remporte la palme ? ». Le site, qui voulait faire suite à sa série d’article sur les absences de profs non remplacées en Seine Saint-Denis (un vrai sujet, alarmant), souhaitait manifestement dégoter les chiffres officiels de l’absentéisme enseignant. En cherchant un peu, la journaliste a pu découvrir que les enseignants sont moins absents que la moyenne des fonctionnaires. En allant chercher un peu plus loin, elle aurait trouvé que les enseignants sont également moins absents que la moyenne des employés français, tous secteurs confondus.
Voilà le mythe des profs champions de l’absentéisme bon à jeter à la poubelle…
Les profs, fonctionnaires fidèles au poste
D’après la DGAFP (Direction générale de l’Administration et de la fonction publique), la durée moyenne annuelle des congés maladie ordinaire (CMO) chez les agents de la fonction publique est de 7,1 jours. A l’Education nationale (EN), tous effectifs confondus (profs et administratifs) on est en-dessous de la moyenne avec 6,7 jours de congés maladie par an et par agent. Parmi les fonctionnaires qui sont encore moins absents : ceux des affaires étrangères (3,9) de la culture (4,1), de l’agriculture (5,2) et des ministères sociaux (5,6). On note des durées de congés maladie plus importantes du côté des ministères du travail (8,5), de la justice (8,7) et surtout dans les services du Premier Ministre (10,2)…
Un autre chiffre intéressant, tiré du rapport annuel sur l’état de la fonction publique, confirme que les profs sont moins absents que la moyenne des fonctionnaires : en 2012, la proportion de salariés absents au moins un jour pour raisons de santé au cours d’une semaine est, tous secteurs confondus, de 3,7% au niveau national. Elle est de 3,6% dans le secteur privé, de 3,8% dans la fonction publique, et de… 2,3% chez les enseignants (on constate qu’à l’EN les profs sont moins absents que le reste des personnels, 3,1%, ce qui nuance encore les chiffres précédents).
Absentéisme moins élevé dans l’enseignement quand dans bien d’autres professions
Si on veut pousser plus loin la comparaison avec l’ensemble des salariés, on peut se reporter à l’étude de la DARES (Direction de l’Animation, de la Recherche, des Etudes et des Statistiques) réalisée en 2013 et portant sur les absences au travail des salariés, tous domaines d’activités confondus, entre 2003 et 2011.
L'étude confirme que le taux d’absentéisme pour raisons de santé, tous secteurs confondus, est en moyenne de 3,7 % et qu'il est de 3,2 % dans l’enseignement (enseignants et autres personnels). C’est moins que la moyenne de l’administration publique (3,7 %), moins que dans les secteurs de santé et d’action sociale (4,6 %), de la construction, de l’eau et de l’assainissement, des déchets ou que les services administratifs (4 %).
L’absentéisme dans l’éducation nationale est également moins élevé que dans de nombreux secteurs privés : l’hébergement et la restauration (3,9 %), l’industrie manufacturière (3,8 %), le transport et l’entreposage (3,6 %), le commerce et la réparation (3,5 %), l’immobilier (3,3 %)… Des professions plus exposées que d’autres, il faut le noter, aux « contraintes physiques et psychosociales ».
Spécificités de l’absentéisme enseignant
Une note de la DEPP (Direction de l’évaluation, de la Prospective et de la Performance) datant de février 2015 et portant sur les absences des enseignants, permet de comprendre l’absentéisme enseignant.
- 43,4 % des enseignants face à élèves ont pris au moins un congé de maladie ordinaire (CMO) durant l’année scolaire 2012-2013, de 16,2 jours en moyenne. C’est sensiblement équivalent au reste des travailleurs, qui sont 45% pour ce cas. Rapportée à l’ensemble des enseignants en fonction, la durée par agent s’établit donc à 6,7 jours.
- les profs femmes s’arrêtent globalement plus que les profs hommes (47,6% contre 34,2%), les femmes trentenaires notamment, qui s’arrêtent plus longtemps (20 jours contre 16,2 en moyenne) : cela tient à la présence de femmes ayant pris un congé maternité, presque toujours précédé d’un congé maladie ;
- de la même manière, dans le primaire, où le taux de féminisation est plus élevé qu’en secondaire (84% des instits sont des femmes, contre 58% des profs de collège et de lycée), le taux d’enseignants à prendre au moins un CMO chaque année est plus élevé (45,4%) que dans le secondaire (41,8%) ;
- sans surprise, enseigner en éducation prioritaire augmente les risques de congés maladie : les enseignants en éducation prioritaire sont 49,7% à prendre un CMO dans l’année contre 44,4% pour les autres ; deux raisons : les enseignants y sont plus jeunes (encore le facteur maternité) et les conditions de travail sont évidemment plus difficiles qu’ailleurs.
Résumons
On voit donc que les profs sont parmi les fonctionnaires les moins absents, mais aussi qu’ils sont moins absents que bon nombre de travailleurs, tous secteurs confondus. Pourtant le fort taux de féminisation du métier (notamment en primaire), qui induit des absences pour cause de maternité, vient gonfler mécaniquement l’absentéisme, comparativement à de nombreux secteurs.
Le vrai souci, dans l’absentéisme des enseignants, c’est qu’il se voit comme le nez au milieu de la figure. Passe encore en collège ou en lycée : quand un prof est absent, cela fait un trou d’une ou deux heures dans la journée des élèves. Mais en primaire, un prof absent, c’est 25 à 30 élèves qui restent cartable au dos. Sauf si le prof est remplacé, évidemment. On comprend alors que le fond du problème n’est pas l’absentéisme enseignant, mais le non remplacement des profs absents (c’est même un problème à double effet en primaire, puisque les élèves du prof non remplacé sont répartis dans les autres classes, ce qui gonfle les effectifs et rend les conditions d’apprentissage difficiles).
Or, les corps de professeurs remplaçants tendent à se réduire : entre 2006 et 2012, on a noté une diminution de 40% des effectifs (en secondaire, de 41.000 à 28.000, par exemple), conséquence directe la politique menée par Nicolas Sarkozy, supprimant 80.000 postes dans l’éducation nationale. Le mouvement est depuis enrayé, mais cela ne suffit pas.
Les parents d’élèves ont raison de prendre le taureau par les cornes, sur ce sujet, surtout en Seine Saint Denis. Mais qu’on ne se trompe pas de cible : les profs n’ont pas à être pointés du doigt. Les choix politiques de nos dirigeants, oui.
PS : ça n'a rien à voir, mais je ne résiste pas à la tentation de vous livrer ce chiffre, glané au hasard de mes recherches et qui me laisse encore étourdi : en mars 2010, seuls 0,7% des agents de l’EN sont en formation, contre 8,9% des fonctionnaires hors EN. Vous avez dit « déficit de formation continue » des profs ?...
Suivez l'instit'humeurs sur Facebook et sur Twitter @LucienMarboeuf.