Faut-il jeter la pierre aux parents qui feront louper l’école à leur enfant lundi et mardi ?

@Pascal Guyot / AFP

Cette semaine, on pouvait lire dans certains médias : « C’est le début des vacances d’été pour beaucoup de français ce weekend », et Bison fûté prévoyait hier samedi « une circulation difficile dans toute la France » dans le sens des départs, et une journée rouge en Ile-de-France. Il reste deux jours de classe, mais il semblerait bien que tout le monde ne soit pas là, côté enfants. Le Huffington Post et France Info se sont même penchés sur la question, axant leur papier sur les justifications des parents et sur les relations parents-profs à ménager.

De bonnes raisons ?

Bon, d’abord soyons honnêtes : chaque année c’est pareil, nos classes se dépeuplent à mesure que le dernier jour approche. On n’a pas de chiffres officiels, mais mon doigt mouillé dirait bien que c’est entre un quart et jusqu’à la moitié des élèves dans certains endroits, qui ne sont plus là le dernier jour. Sera-ce pis que d’habitude cette année ? C’est bien possible, vu que le ministère n’a rien trouvé de mieux que décider une fin d’année un mardi, 6 juillet qui plus est. Ces deux petits jours bêtement et inutilement placés là, en début de semaine, alors que le mois de juillet a commencé, embêtent pas mal de monde. C’est qu’il faut faire 144 jours d’école, quoiqu’il arrive, en primaire, ou 180 si vous travaillez le mercredi comme bibi, et 180, c’est pas 178, qu’on se le dise. Pas question de faire cadeau de deux jours, de terminer le vendredi 2 juillet, même si sonne quand même mieux.

D’ailleurs, on dirait que certains parents ont carrément loupé l’information (c’est dommage elle était donnée en début d’année dans tous les cahiers de correspondance) et découvrent seulement maintenant que lundi 5 et mardi 6 existent. Remarquez, je connais un directeur d’école qui avait pris ses billets de train pour vendredi 2 juillet, et qui a dû les changer quand il s’est aperçu qu’on finissait le 6 (c’était il y a quelques mois, déjà) !

Ici il faut noter que ces quelques jours tardifs de juillet, depuis quelques années, sont la conséquence directe du passage à 15 jours de vacances scolaires à la Toussaint, là où il n’y en avait que 10 avant 2012, les quelques jours octroyés en octobre ayant été reportés en fin d’année. Le problème c’est que le temps de l’école et celui de la société ne coïncident pas forcément, et dans l’inconscient collectif comme dans les faits les mois de juillet et d’août sont ceux des congés d’été, allez dire aux juilletistes qu’ils doivent attendre le 6 pour partir. Certaines colonies de vacances débutent lundi 5 juillet, et pas seulement pour les ados, pour la plupart en vacances depuis au moins une semaine. Forcément, quand il n’y plus que le petit dernier qui doit aller en classe…

Et puis il y a l’argument financier, avancé par de nombreuses familles : partir cette semaine au lieu de la semaine prochaine, c’est faire des économies substantielles. C’est un fait, et pour certains, c’était partir un peu avant ou ne pas partir. On a d’ailleurs déjà consacré un billet à la façon dont les industries du tourisme, et singulièrement les compagnies de transport (aérien, ferroviaire) gonflent notoirement leurs prix à l’approche des vacances, au nom de l’offre et de la demande et selon les principes du yield management, contribuant à dépeupler nos classes aux abords immédiats des congés scolaires.

Louper un film et un gouter ?

L’autre grand argument des parents, souvent gênés aux entournures au fond, mais pas tous, est d’expliquer que « ça ne lui fait rater que deux jours » et que ces deux jours loupés, on ne travaille plus à l’école, les derniers jours d’école sont connus pour être ceux où l’on joue, où on regarde un film en mangeant du quatre-quarts et en buvant de l’Oasis.

Ce n’est pas faux. Même si certains collègues clament haut et fort que dans leur classe on travaille jusqu’au bout, que seul le dernier jour sera « récréatif », la plupart d’entre nous a déjà levé le pied. Dans ma classe on est en pleine décélération, après une très intense période d’évaluations et de corrections ponctuée par les livrets, rendus ce mercredi. Jeudi et vendredi nous avons travaillé, mais déjà moins intensément, et puis on s’est arrêtés plus tôt, l’après-midi, pour regarder un épisode ou deux de ce petit bijou qu’est « Les grandes grandes vacances », la série animée sur la deuxième guerre mondiale que mes élèves adorent. Jeudi, ils ont commencé à vider leur case, vendredi les derniers cahiers sont rentrés à la maison.

Au programme lundi et mardi : des jeux, un rallye maths, des exposés d’élèves. Et en effet, un film (sans doute E.T.) et un gouter.

Alors si les élèves manquent ces deux jours, au fond, je suis bien obligé de reconnaitre que oui, c’est pas bien grave. A la limite, ils se privent eux de moments particuliers et privilégiés, avec leurs copains mais aussi en classe, avec leur enseignant. Personnellement j’aime bien ces moments, où je discute avec l’un, avec l’autre, où je peux prendre un peu de temps à les observer à autre chose qu’à travailler, profiter d’eux, de leur camaraderie. Et puis j’ai des CM2, franchement la plupart veulent rester jusqu’au bout, car après ce sont les larmes, les adieux et le grand saut.

Vu la tête des élèves qui nous ont quittés, vendredi soir, leur vague à l’âme toute la journée, je peux vous dire qu’ils auraient bien aimé rester jusqu’au bout. Mais je sais aussi qu’ils seront contents d’être en vacances, dès ce weekend.

Ici, je sens peser sur mes épaules les regards réprobateurs de mes collègues, j’entends déjà certains m’accuser d’appeler à sécher les cours et de contribuer au délitement du respect de l’école.

Le respect de l’école ?

L’argument brandi par les profs, les syndicats, contre ces départs anticipés, est souvent le même : c’est une question de respect de l’école, non négociable, l’école termine le 6 juillet à 16 h 30, donc la respecter c’est partir à 16 h 31 si on veut, mais pas avant. En ces moments où en effet la question du respect de l’école, de l’institution et des enseignants se pose plus que jamais au quotidien, l’argument est audible. Mais personnellement, quitte à bruler en enfer d’un feu nourri d’exemplaires du Code Soleil, je redis que je comprends les parents, dans l’ensemble, sur cette question des deux derniers jours de classe à venir.

Et, pour ce que vaut mon expérience, ce ne sont pas forcément ceux qui manquent le plus de respect à l’école le reste du temps qui feront louper l’école à leur enfant lundi et mardi, il est abusif de faire un lien automatique.

Bien sûr, il y a manière et façon. Les élèves qui partent sans rien dire, c’est-à-dire sans que leurs parents me préviennent, je le prends toujours franchement mal, et d’autant plus mal que je les préviens de me prévenir, histoire de leur faire un petit ébouriffage de cheveux, quand même, en guise d’aurevoir : on a passé une année ensemble, je me suis décarcassé 10 mois durant, j’ai le droit d’être prévenu, c’est une question de respect, là, oui, c’est humainement que je suis meurtri, en plus de trouver que c’est prendre l’école à la légère que de la quitter sans bruit, comme un voleur. L’art et la manière de dire les choses, donc, c’est savoir communiquer avec l’enseignant, ne pas considérer que la chose est due, normale, qu’on a conscience qu’on rompt un peu, tout de même, le pacte scolaire, et s’excuser, pourquoi pas, de le faire.

Mais pour tout dire, les absences de complaisance me choquent bien davantage durant l’année, quand par exemple un élève n’est pas là pendant deux jours et que j’apprends qu’il les a passés à Disney (dans le cahier de correspondance il est écrit qu’il était un peu fiévreux) ; quand un élève revient après une journée d’absence sans un mot d’explication dans le cahier ; quand un élève loupe très régulièrement le lundi matin car les parents rentrent de weekend tard le dimanche soir, etc.

Vous aurez du mal à me trouver pour lever le poing sur le respect de l’école et l’obligation de venir les 5 et 6 juillet, mais je serai en première ligne pour alerter, me battre contre d’autres dérives, que ce soit la dégradation des rapports avec certaines familles, la procéduralisation des relations, la remise en cause de l’autorité du professeur par certains, y compris sa légitimité professionnelle, notamment sur les réseaux sociaux ou dans les groupes Whatsapp de classe qui pullulent, pour le meilleur, un peu (vous avez les devoirs mon fils ne les a pas notés) et le pire, aussi.

La question du respect de l’école est fondamentale pour notre société, et commence, au passage, par la façon dont les gouvernants la considèrent, dans les discours et dans les actes.

Au fait, pour information, l’année prochaine, on finit le 7 juillet. Un jeudi.

 

Nota : à lire, sur le yield management, ce billet.

Suivez l'instit'humeurs sur Facebook et sur Twitter.