« Que l’instituteur donne à ses élèves le courageux spectacle de la dignité de sa vie » (ainsi parlait le Code Soleil)

A plusieurs reprises j’avais entendu les anciens, en salle des maîtres, parler du fameux « Code Soleil », ce livre de l’instituteur qu’ils évoquaient avec le sourire, en citant des prescriptions parfois étonnantes : y auraient figuré, un temps, les soirs de la semaine les mieux indiqués pour les relations sexuelles de tout bon instituteur. Quand je suis tombé sur un exemplaire de 1971, je me suis hâté d’aller voir si le Code Soleil était à la hauteur de sa réputation.

Bon, je n’ai malheureusement pas trouvé trace de conseil sexuel (je vais devoir continuer à me débrouiller sans), mais je me suis tout de même régalé à lire la première partie du livre : « morale professionnelle », abandonnée en 1977, l'année même où je commençais ma scolarité (mes instits ont donc été formés à coups de Code Soleil).

Un étrange parfum se dégage de ces 50 pages, entre sourire un peu narquois et étonnement un brin nostalgique. Morceaux choisis.

La vocation

« Ce poste, c’est tout de même un coin de France qui lui est confié. Il va en être l’éducateur, le moralisateur, le philosophe. Le métier d’instituteur n’est pas seulement une fonction comme celle de n’importe quel employé. C’est un apostolat en ce sens qu’il tend à former des disciples d’un idéal moral. Par-delà les murs de sa classe, il lui appartient d’être le guide intellectuel, moral et social de la collectivité qui l’entoure ».

La culture personnelle

« L’instituteur consciencieux poursuit une seule et même tâche : il s’instruit, il cultive son jardin. S’intéresser à tout ce qui l’entoure est une règle de conduite. C’est cette habitude de travail intellectuel, cet amour de l’étude désintéressée qui fait l’intérêt de sa vie. Cette culture intellectuelle, l’instituteur l’élargira nécessairement par le contact avec la vie populaire. Et d’abord, se mêler aux jeunes, savoir rester jeune pour conquérir les jeunes. La vocation de l’éducateur implique une constante recherche de l’âme enfantine à la lumière de sa propre curiosité intellectuelle. L’éducateur qui aime son métier s’y consacre de toute son âme et sa propre éducation est le premier de ses soucis : elle doit se prolonger toute sa vie ».

La maîtrise de soi

« Pour réussir dans sa classe, l’instituteur aura besoin encore d’une grande égalité d’humeur, d’une pleine et constante possession de soi-même. Le règlement interdit les sévices et les châtiments corporels. Mais il ne suffit pas d’éviter ces excès. L’impatience, l’irritabilité qui font que vous êtes plus ou moins sévères, selon que vous êtes de bonne ou de mauvaise humeur, déconcertent les élèves et les amènent à douter de la justice – de votre justice. Vous devez respecter la personnalité naissante de l’enfant et l’aider peu à peu, avec mille ménagements, à s’affranchir, à s’élever, à acquérir enfin la pleine maîtrise de soi. Comment y arriverez-vous si vous donnez vous-même le lamentable exemple de la colère et de l’emportement ? L’enseignement est une longue patience. Vous ne serez jamais un bon éducateur si vous n’avez pas fait d’abord l’éducation de vos nerfs ».

La conscience professionnelle

« S’améliorer soi-même pour perfectionner et rajeunir son enseignement : se rendre supérieur à sa tâche, non point pour s’en évader, mais pour la mieux accomplir ; reporter sur la classe les disciplines que l’on acquiert pour soi-même ; considérer enfin le labeur quotidien non point comme une sujétion que l’on supporte « parce qu’il le faut », mais comme une œuvre d’art que l’on parachève avec joie parce qu’on l’aime. La pente est glissante pour qui s’abandonne aux petites capitulations de la conscience. Moins que tous autres, les éducateurs peuvent avoir la tentation de s’abandonner, car, ils le savent bien, ce sont des générations d’enfants dont ils amoindriraient la valeur individuelle et sociale ».

Le droit de grève

« Spécialement pour l’instituteur, la participation à une grève totale pose un grave problème de conscience, qu’il ne faut pas résoudre à la légère et sans en avoir pesé toutes les conséquences vis-à-vis des familles, vis-à-vis des enfants qui, eux aussi, ont un droit, enfin vis-à-vis de lui-même. La grève est l’arme suprême des travailleurs. C’est dire qu’il ne faut se résoudre à en faire usage que dans les cas d’une exceptionnelle gravité. Une grève ayant été régulièrement décidée au sein du groupe professionnel, tous les membres de ce groupe ont le devoir de faire acte de solidarité en y participant loyalement et sans réserve ».

La vie privée de l’instituteur

« L’éducateur doit être irréprochable dans sa tenue et dans sa conduite privée. Que l’instituteur donne à ses élèves le courageux spectacle de la dignité de sa vie. Enseigner n’est pas seulement un « métier ». C’est un art dans lequel intervient la personnalité du maître, son tempérament, son caractère. Il y a de la part de l’éducateur une sorte de chaleur communicative, un reflet d’âme qui pénètre la classe toute entière. L’instituteur a donc l’obligation de se montrer particulièrement sévère pour lui-même. Placé dans une situation spéciale, sous le regard de tous, il ne peut oublier un seul instant que ses faits et gestes – son langage, ses relations, sa conduite – sont soumis au contrôle public et qu’il est impossible que toute sa vie privée ne soit pas l’illustration de la leçon de morale ou de civisme qu’il donne à l’école.

L’institutrice, surtout, aura à se surveiller. Un écart, qu’elle a pu considérer comme une innocente distraction, sera exploité par les méchantes langues. Bien sûr, la « demoiselle » de l’école ne doit pas vivre esseulée comme une sainte dans sa niche, mais elle ne saurait non plus impunément se mêler à des exubérances de mauvais aloi, ni se prêter à des fréquentations douteuses. A elle d’apprécier les limites du bon goût et de s’y tenir, en se gardant toutefois de mériter le reproche de vanité ou de pédantisme. Le souci de la correction n’exclut pas la joie de vivre en société, conditionnée par la bonne humeur et l’aménité du caractère ».

Rapports avec la population

« L’instituteur doit se montrer prodigue de ses conseils toutes les fois qu’il s’agit de faire triompher le droit, de combattre l’injustice ou l’intolérance, d’apaiser les conflits, de servir enfin les intérêts matériels ou moraux de la collectivité qui l’entoure. Sans s’ériger en redresseur de torts, il montrera la solution juste, l’attitude honnête, il s’efforcera d’élever la mentalité ambiante vers un idéal, il tracera la voie du progrès, il essaiera de substituer la conception de l’intérêt général aux conceptions étroites de l’intérêt du clocher. Il est, faut-il encore le répéter, le représentant de la nation au service des habitants d’un village, l’homme dont la vie est un exemple et la tâche une éducation ».

Devoirs envers les élèves : aimer les enfants

« L’école est assidûment et joyeusement fréquentée quand le maître ou la maîtresse ont su la faire aimer en donnant à leur enseignement l’animation, la vivante gaieté qui conviennent à la nature des enfants. Ce qui fait la noblesse de l’éducateur, c’est qu’il se donne tout entier à ses élèves ; c’est que, sans peser en des balances trop subtiles ce qu’il leur doit et ce qu’on lui doit, il se dépense pour eux sans compter ; c’est qu’il n’est pas le distributeur automatique de connaissances et de recettes, mais un apôtre du travail, de la vérité, de l’altruisme, de la justice. Il faut que le maître trouve chaque jour dans son cœur, dans sa conscience, les trésors de bonté, d’équité, de patience, d’indulgence même qui, bien loin de nuire à son autorité, la renforceront en l’adoucissant. En acceptant d’être instituteur, vous avez pris l’engagement tacite d’aimer les enfants, tous les enfants qui vous sont confiés, de les aimer assez pour en faire des hommes ; et si la tâche vous paraît plus ingrate à l’égard de quelques-uns, il faut bien, n’est-ce pas, que vous les aimiez davantage. Ce ne sera que la stricte justice ».

Conclusion

« Réfléchissez à ceci : l’accomplissement de son devoir est chose relativement facile pour qui a la conscience haut placée. Quant à l’exercice de ses droits, c’est quelquefois plus difficile. Ne pensez pas trop à vos droits ; souvenez-vous que l’exercice inconsidéré d’un droit équivaut à une faute et que l’on a quelque fois tort d’avoir raison ».

« Vous entretiendrez dans l’âme de vos élèves « la flamme immortelle » qu’allume l’amour du bien, de la vérité, la passion de la liberté et de la justice. Vous exalterez l’effort persévérant. Vous donnerez l’exemple de l’action disciplinée qui conditionne l’exercice de la liberté. Vous établirez par les faits, que l’école laïque est l’école de la tolérance et de la fraternité. Vous formerez des « caractères » doués de sens social, mais aussi de sens critique, afin qu’ils ne soient plus jamais les dupes et les victimes des propagandes mensongères, des mystiques absurdes, des folies grégaires. Vous redresserez bien haut, devant vos élèves, le flambeau de l’idéal national. Mais vous veillerez à ce que cet attachement indéfectible à la Patrie ne dégénère jamais en un nationalisme étroit, en un chauvinisme générateur de haines. Aimer sa patrie, c’est avoir la volonté de défendre contre toute agression ; c’est aussi de vouloir qu’elle soit toujours plus fraternelle et plus humaine ».

 

Nota : Le Code Soleil (du nom de son auteur, Joseph Soleil, chef de bureau au ministère de l’instruction) fut édité à partir de 1923, et depuis 2005 en version numérique. Je n’ai pas lu la version 2007, la dernière en date, téléchargeable. La préface est lisible en ligne, elle donne à voir un Code Soleil interrogé sur lui-même, le mot de pédagogue tente une percée en complément de celui d’éducateur, mais le tout sent fort le verbiage théorique qui se regarde penser : « Finalement, c’est le projet laïc de l’école et sa radicalisation qui s’affirment aux travers des nombreuses rééditions du Code Soleil. Cette affirmation d’un projet laïc global s’accompagne d’un glissement éthique, de la praxéologique vers la déontique ». Ah bon, d’accord. Le Code Soleil, c’était plus rigolo avant !...

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