Des fois que le ministère aurait l’idée de prendre le pouls de la communauté éducative (il lui faudra pour cela se détourner du « Grenelle » qu’il organise et où il semblerait que l’école ne soit pas très présente), on lui conseille la lecture attentive du sondage Ipsos / FSU publié cette semaine. Si l’hostilité massive des enseignants envers la politique de leur ministre n’est pas une surprise, on découvre que celui-ci n’inspire pas grand enthousiasme aux parents, lesquels rejoignent notamment les profs sur la mauvaise gestion ministérielle de la pandémie.
Politique menée par le ministère : les profs très critiques, les parents pas emballés
Pour une très grande majorité d’enseignants (68%), les réformes menées par le ministère vont dans le mauvais sens. Après 10 ans d’ancienneté, ils sont même 77% à désapprouver la politique ministérielle. Les parents d’élèves, eux, estiment que les réformes vont plutôt dans le bon sens à 58% mais seulement 8% qu’elles vont « toutes ou presque dans le bon sens », 50% pensant qu’elles vont dans le bon sens « même si certaines sont à rectifier » (scores quasi-identiques chez les personnels de l’EN non-profs). Cependant, chez les parents d’élèves du secondaire la tendance s’inverse, au lycée, quelques mois après la réforme du bac, une majorité estime que les réformes vont dans le mauvais (53%).
Les réformes sont jugées inutiles pour les élèves par une grande majorité de profs (69%, et même 74% en élémentaire et 73 % en collège), mais aussi par un parent sur deux, un chiffre à mettre en rapport avec le précédent : les parents estiment à 58% que les réformes vont dans le bon sens, mais presque la moitié qu’elles sont inutiles pour les élèves, du coup on ne sait plus trop dans quel bon sens elles vont…
Les réformes ont, en tout cas, débouché sur davantage de travail pour une grande majorité de profs (73%). Ce n’est pas le cas pour les personnels non-profs, qui sont 51% à dire ne pas travailler plus. Sans doute les réformes les touchent-elles moins.
Tous les groupes interrogés se retrouvent sur un point : le peu de confiance envers le ministre, pour ce qui est de répondre à leurs attentes. Les profs ne sont que 7% à lui faire confiance (46% pas du tout confiance), les non-profs ne lui font pas confiance à 56%, et 1 parent sur 2 ne lui fait pas non plus confiance (20% de parents pas du tout confiance), c'est d'autant plus notable qu'une grande partie de la com' ministérielle est orientée vers eux.
On notera que profs et parents se retrouvent également sur la liberté pédagogique des profs, considérée comme intouchable : 98% des profs pensent qu’elle est essentielle (79%) ou importante (19%) et 94% des parents (61% essentielle, 33% importante).
Fichez la paix aux profs, laissez-les faire leur boulot ! semble dire la communauté éducative, à rebours de la politique menée plus ou moins ouvertement par le ministère (en ce moment au Grenelle des membres CSEN monté par le ministre font des propositions inquiétantes sur ce sujet, et le ministère travaille sur un manuel de lecture qu’il compte éditer lui-même…).
Gestion de la pandémie : de l’avis de tous, les profs ont réussi à gérer, pas le ministre
Tout le monde est d’accord : depuis le début de la pandémie, les profs s’en sortent bien. 87% des profs eux-mêmes pensent avoir bien géré la crise Covid, 75% des personnels de l’EN non-profs (la hiérarchie, chefs d’établissement et inspections, à 65%), et enfin 3 parents d’élèves sur 4 sont satisfaits de la gestion de la crise par les profs (seuls 8% ne le sont « pas du tout »). En juillet dernier, un sondage indiquait déjà que 83% des parents estimaient que l'école avait su s'adapter à la crise sanitaire.
On retrouve la même unanimité, mais négative, concernant le ministre : 74% des profs, 61% des non-profs et 55% des parents ne sont pas satisfaits de sa gestion de la crise (25% « pas du tout » et seulement 8% « tout à fait satisfaits »). Et encore, les sympathisants LREM et Modem font remonter le score chez les parents (74% de satisfaits…).
Malgré l’omniprésence médiatique du ministre, l’écart de satisfaction avec les profs est de 30 points, c’est énorme. Les profs sont bel et bien sortis grandis de la crise Covid-19, et le JM Blanquer y aura laissé pas mal de plumes.
Les parents et les profs sont également sur la même longueur d’onde, s’agissant de la conduite à tenir dans le contexte épidémique : ils estiment à une écrasante majorité qu’il ne faut pas fermer les écoles (seuls 17% des profs et 20% des parents sont pour), et souhaitent les garder ouvertes ou passer en enseignement hybride à égale proportion. Les profs et les parents sont d’accord, mais leur position varie selon le degré : en primaire, la volonté de laisser les écoles ouvertes le plus possible l’emporte chez les profs (56% en élémentaire) et chez les parents (45%), l’enseignement hybride étant moins plébiscité (32% chez les profs de primaire et 31% chez les parents de primaire). Dans le secondaire, c’est l’inverse, la tendance est à l’enseignement hybride (45% chez les profs, 43% chez les parents) davantage qu’au maintien de l’ouverture des établissements (37% chez les profs, 39% chez les parents). Cette différence entre premier et second degré peut s’expliquer par la contagiosité supérieure des élèves de secondaire, et leur plus grande autonomie en distanciel. A contrario, la supposée plus faible contagiosité des élèves de primaire et une autonomie moindre expliquent les réticences à passer en hybride.
Cette convergence est une relative surprise, on a tendance à estimer chez les profs, et peut-être au ministère, que les parents redoutent l’enseignement à distance et souhaitent majoritairement que leurs enfants soient à l’école ; les profs eux sont volontiers dépeints (notamment par une certaine presse proche du ministère) comme un groupe homogène souhaitant globalement la fermeture des écoles en contexte épidémique. Dans les deux cas, on s’aperçoit qu’il s’agit d’idées reçues, et de surcroit les uns et les autres sont parfaitement en accord.
Revalorisation : une grande majorité de profs insatisfaits
Quelques jours après les annonces par le ministre des mesures de « revalorisation » (pour comprendre les guillemets, voir ici), le verdict est sans appel : ¾ des profs sont insatisfaits du plan ministériel. Mais derrière ces chiffres, il y a une césure, très nette, qui épouse parfaitement le contour façonné par le ministre lorsqu’il a décidé de donner une prime aux profs débutants, et rien aux autres : 61% des moins de 30 ans sont en effet satisfaits du plan de « revalorisation »! La prime certes n’est pas négligeable (100 € nets mensuels pour les premiers échelons) mais sans doute ces jeunes profs n’ont-ils pas perçu qu’ils stagneraient ensuite plus longtemps avant de rejoindre leurs ainés qui eux, n’ont pas été revalorisés. En REP et REP+, où la prime spéciale promise lors de la campagne du candidat Macron a mis du temps à se déployer mais touche maintenant le plus grand nombre, on trouve aussi un plus fort taux de satisfaction, mais il n’atteint même pas la moitié des profs (47%).
82% des enseignants estiment que le salaire n’est pas à la hauteur de leur travail. Même les moins de 30 ans, privilégiés par le ministère on l’a vu, ne sont que 45% à estimer qu’il est à la hauteur. En primaire, seuls 10% des profs estiment qu’il est à la hauteur du travail fourni. 98% des profs estiment qu’il est important voire essentiel d’augmenter la rémunération – et ceci après les annonces faites par JM Blanquer.
Du côté des parents, on estime que le salaire des profs est à la hauteur de leur travail à 54% (46% qu’il ne l’est pas). Est-ce parce qu’ils méconnaissent le travail, ou parce qu’ils estiment que la paie est suffisante, et dans ce cas la com’ ministérielle, avec les annonces à répétition du ministre sur les revalorisations des profs, aura-t-elle joué ? On a un début de réponse quand on considère les penchants politiques et les catégories professionnelles : deux tiers des parents d’élèves sympathisants LREM et Modem estiment que la paie est à la hauteur du travail, alors que 6 parents de gauche sur 10 estiment qu’elle ne l’est pas. Les employés et ouvriers pensent que la rémunération est à la hauteur à plus de 60%, mais les cadres sont plus mitigés (50%) et les professions intermédiaires pensent qu’elle ne l’est pas (56%). On voit ici que sur ce sujet de la rémunération, le biais politique est fort, celui de la profession du sondé aussi.
Histoire de terminer sur une bonne note, on lit aussi dans ce sondage que 69% des profs sont satisfaits par leur métier, mais qu’ils sont 59% à penser que le système éducatif fonctionne mal (63% en élémentaire). Les personnels non-profs et les parents sont bien plus positifs sur le système éducatif (64% et 65% estiment qu’il fonctionne bien). On note aussi que, si moins d’1 prof sur 2 se sent reconnu par sa hiérarchie, près de 6 profs sur 10 se sentent reconnus par les parents.
Enquête menée par Ipsos auprès de 1000 personnels EN (dont 850 enseignants) et 500 parents d’élèves du 17 au 20 novembre 2020.
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