Revalorisation : que peut vraiment garantir le gouvernement ?

@Jean-Christophe Verhaegen / AFP

Jusqu’ici, l’argumentaire du ministre Blanquer, s’agissant de la revalorisation censée compenser l’importante perte de pension des profs avec le nouveau système de retraite, reposait sur deux axes majeurs : la revalorisation des profs serait inscrite dans la loi via une loi de programmation qui fixerait l’évolution des augmentations jusqu’à 2037, date d’entrée en vigueur de la future retraite. Depuis cette semaine, ces deux éléments de langage clé du discours ministériel vacillent.

Jeudi 23 janvier : une loi quinquennale à horizon 2026, et non 2037

Il faut rappeler le scénario vendu par le gouvernement et relayé par certains médias comme s’il était déjà advenu : la revalorisation compensatoire consisterait en une augmentation graduelle en escalier d’une enveloppe spécifique, 500 millions en 2021, puis le double en 2022, le triple en 2023, etc, chaque année ajoutant en moyenne 500 millions au budget de l’EN jusqu’à 2037 pour donner une chance aux profs de ne pas subir de plein fouet la réforme des retraites cette année-là. Ce scénario déboucherait sur un montant global compris en 70 et 100 milliards d’euros, ainsi que se sont emballés conseillers ministériels et quelques médias.

Problème : comment assurer les enseignants de cette revalorisation inédite du fait de son long étalement dans le temps ? Réponse du ministre : en faisant une loi de programmation qui la « sanctuarise ». Mais jeudi 23 janvier, on apprend que cette loi de programmation devrait finalement consister en une loi quinquennale portant sur la période 2022-2026. Autrement dit, rien ne couvre la décennie suivante, 2027-2037, hormis un échéancier dans un « rapport annexé » à la loi. Voilà qui relativise sérieusement la sanctuarisation.

Vendredi 24 janvier : le Conseil d’état tacle sévèrement le gouvernement

Le 24 janvier, le Conseil d’état, qui agit là comme conseil juridique du gouvernement, donne son avis sur le projet de loi retraite : il estime ne pas avoir eu le temps de « garantir la sécurité juridique » de la réforme, « une situation d’autant plus regrettable qu’il s’agit d’une réforme inédite depuis 1945 et destinée à transformer pour les décennies à venir […] l’une des composantes majeures du contrat social ». Le CE pointe « les projections financières lacunaires » regrette un recours aux ordonnances qui « fait perdre la visibilité d’ensemble » et estime que « cette étude reste en deçà de ce qu’elle devrait être ». Un camouflet, qui pointe les lacunes du projet de loi et ses nombreux flous. Le gouvernement n’était pas obligé de publier cet avis, mais a sans doute préféré le faire avant, disons, Mediapart.

Un passage est dédié aux enseignants, plus précisément à cette fameuse loi de programmation (sur la revalorisation compensatoire, vous suivez ?) inscrite dans le projet de loi.

En clair : la loi de programmation ne peut figurer dans la loi retraite, il est contraire à la constitution qu’une loi impose au gouvernement une autre loi.

Cela ne signifie pas que la loi de programmation ne sera pas faite : d’une part le gouvernement peut aller à l’encontre de l’avis du Conseil d’état, qui n’est ici que consultatif (mais il s’expose à l’ire du Conseil constitutionnel ensuite, prévient le CE, surtout si cela reste aussi imprécis), d’autre part la loi de programmation peut être faite en dehors du cadre de la loi retraite.

Pourquoi alors avoir fait figurer dans le projet de loi retraite ces dispositions sur la loi de programmation, sachant (surtout pour le ministre Blanquer, docteur en droit constitutionnel et agrégé de droit public) qu’elles étaient inconstitutionnelles ? Un élément de réponse figure dans ce tweet d’un leader syndical (Sgen-Cfdt) :


Ce seraient donc les syndicats (lesquels précisément, tous n’ont pas l’air au courant…) qui auraient demandé de faire figurer cette disposition dans le projet de loi retraite, pour « donner des gages ». Et le gouvernement maintiendrait cette disposition, passant outre l’avis du CE. Une information confirmée par le cabinet de la ministre Vidal (voir ce papier) : "comme le montre le texte du projet de loi rendu public en ce jour, le gouvernement na pas suivi lavis du Conseil dÉtat sur ce point, et a maintenu la rédaction de larticle 1er qui garantit le niveau de pensions des enseignants, enseignants chercheurs et des chercheurs. Si cette disposition est certes dépourvue de portée normative, elle a une portée politique très forte". Traduisez : politique = symbolique. C’est-à-dire, on veut que les profs et les chercheurs croient très fort en notre volonté de les augmenter pour compenser ce qui va leur tomber sur le coin du bec avec les retraites.

Reste à savoir ce que dira le Conseil constitutionnel, qui aura son mot à dire. S’il dit qu’il faut enlever cette disposition en raison de son inconstitutionnalité, alors le gouvernement et avec lui les OS concernées pourront arguer de leur bonne foi et dire qu’ils tenaient vraiment à ce qu’elle y soit, mais le méchant Conseil constitutionnel ne veut pas qu’on augmente les profs (raison pour laquelle on peut douter de la saisine du CC sur ce sujet…). Si le CC ne dit rien, malgré l’inconstitutionnalité de la chose, ce sera une victoire pour le gouvernement qui pourra gonfler les biceps et répéter combien il se bat contre vents et marées pour revaloriser les profs.

Au-delà du jeu politique, discutable, il y a l’impression laissée : celle d’un gouvernement manipulateur, manquant de compétence juridique et financière, se contrefichant de l’avis du Conseil d’état et de la constitutionnalité de ses textes. Mais à qui il faudrait faire confiance.

Entre 1,5 et 10 milliards, et après ?

On rappelle une fois de plus qu’une loi de programmation est un outil « à la portée juridique assez faible » (site officiel de la vie publique), et qu’elle peut être remplacée par une autre loi de programmation. Depuis 2008 aucune loi de programmation n’est arrivée à son terme sans être recouverte par une autre.

Partons du principe que celle qui est dans les cartons, à savoir le plan quinquennal 2022-2026 annoncé cette semaine, ira à son terme. Si on suit le scénario de l’augmentation en escalier dont parle le gouvernement depuis plusieurs semaines (500 millions de plus chaque année), la somme totale allouée à la revalorisation des profs d’ici 2026 serait d’environ 10 milliards d’euros (tiens tiens). La décennie suivante (2027-2037), tiendrait à un « rapport annexé » et au degré de considération que lui accorderait, ou non, une majorité politique potentiellement différente. Car il n’a échappé à personne qu’en 2022, il y aura une élection présidentielle. Laquelle peut complètement changer la donne, avec une autre majorité au pouvoir nul ne sait ce qu’il adviendrait lors du quinquennat suivant. La loi de programmation quinquennale sera-t-elle appliquée, ses termes seront-ils revus ? En politique tout est possible. Ce gouvernement, par exemple, a montré comment ne pas respecter les accords passés par une précédente majorité, en reportant d’un an l’application du PPCR à son arrivée et le versement de dizaines de millions d’euros aux profs.

En l’état actuel des choses, il ne reste que deux budgets annuels à ce gouvernement : celui de 2021 et celui de 2022.

Pour 2021, les 500 millions promis pour la revalorisation compensatoire seraient consacrés aux « plus jeunes des professeurs », sous la forme de primes (70 à 90 € nets par mois, affirme le ministre). On attend avec impatience la définition du jeune prof par le ministère – et la réaction des autres. Pour 2022, l’idée est de concerner tous les profs par les 500 millions supplémentaires : plusieurs pistes seraient à l’étude, le versement d’une prime spéciale, la hausse des primes de suivi des élèves (ISAE et ISOE) ou encore des « passages d’échelons facilités ». Dans tous les cas, on sait ce que signifie une enveloppe de 500 millions à partager en 870 000 profs : cela représente 47 € bruts par mois en moyenne.

Voilà pour ce que peut vraiment garantir le gouvernement, 1,5 milliards d’ici 2022, en attendant la loi de programmation quinquennale, éventuellement 10 milliards jusqu’en 2026. Mais 2023 est un autre jour.

 

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