Dans un rapport de l’Inspection générale de l’EN, passé inaperçu mais qui rejoint les préconisations de la dernière publication de l’OCDE, on peut lire que la formation des enseignants ne correspond pas à leurs besoins réels. Mais comme le ministre semble voir la formation uniquement comme un moyen de faire appliquer ses mesures, il y a fort à parier que la situation n’est pas près de changer. Pourtant, les attentes des enseignants sont précises, leurs souhaits pertinents.
OCDE & IGEN : une formation continue qui réponde aux besoins des enseignants
L’OCDE est très claire sur l’importance de la formation des enseignants dans l’efficacité d’un système éducatif : « Trois éléments semblent communs aux politiques de développement professionnel des enseignants des pays les plus performants : une période obligatoire et étendue d’expérience pratique pendant la formation initiale et la période d’intégration des enseignants ; l’existence d’opportunités varies en matière de formation continue répondant aux besoins des enseignants, tels que les ateliers de travail organisés par leur établissement ; et des mécanismes d’évaluation des enseignants fortement connectés à la question de leur formation continue ».
Or, l’OCDE pointe le fait que « la France ne partage pas l’ensemble des trois politiques enseignantes communes aux pays les plus performants ».
Le rapport de l’Inspection générale de l’EN (IGEN), publié il y a quelques jours en catimini après être resté dans les cartons du ministère pendant un an, se penche lui particulièrement sur la formation continue des instits. Ce n’est pas la première fois que l’Inspection générale remet en cause la formation des instits (la dernière date de 2013, on pourra relire ce post), et cette fois encore, elle tape fort.
Son « rapport de diagnostic » pointe une gouvernance « plutôt forte et de type "top-down" non seulement dans ses priorités mais également dans ses modalités de mise en œuvre ». L’IGEN ajoute que « l'adaptation de la formation aux besoins des bénéficiaires est le parent pauvre du dispositif. Majoritairement utilisée comme outils de pilotage des réformes ou comme réponse à des priorités nationales, la formation n’est pas perçue par le professeur comme construite pour lui ». L’institution est clairement pointée du doigt, accusée d’être hors-sol : si les dispositifs ne répondent pas aux attentes des enseignants, « c'est d'abord la conséquence d'une gouvernance et d'un pilotage qui se sont progressivement éloignés des attentes du terrain ». Le rapport note en outre que l’essentiel de la formation continue des instits repose sur les 18 heures annuelles d’animation pédagogique, et que c’est globalement un échec : « le constat est largement partagé (enseignants et responsables de formation) quant aux limites de la formation actuellement dispensée au titre des dix-huit heures : des formations inadaptées aux attentes des professeurs des écoles et peu efficaces au regard des attentes institutionnelles ».
L’Inspection générale pointe les contenus et le « vivier des formateurs » : « Si les thèmes de formation sont, le plus souvent, reconnus comme intéressants, les contenus de la formation elle-même déçoivent en raison de la difficulté des formateurs à partir des activités professionnelles existantes. Des actions de formation en direction des formateurs du premier degré, de nature à y remédier, n’ont pas été identifiées. L’apport de la recherche est, quant à lui, invisible en raison notamment de la faible propension des chercheurs à articuler les apports scientifiques aux enjeux professionnels des enseignants du premier degré ».
JM Blanquer : une formation continue qui applique les mesures ministérielles
Alors que les études et les comparaisons internationales sont très claires sur ce sujet de la formation continue des enseignants, le ministre JM Blanquer, qui revendique s’inspirer d’elles, semble agir dans les faits de manière très "pragmatique" : la formation continue des instits, résumée aux 18 heures tant décriées par son propre ministère, est exclusivement utilisée selon un axe, l’accompagnement des réformes relatives aux enseignements et à leur organisation.
En témoigne cette lettre écrite en mars dernier aux recteurs, inspecteurs d’académie, IEN, DASEN, bref, à tous les N et N+1 de l’EN, et révélée par le Café Pédagogique. Dans cette lettre, le ministre commence d’abord par dire que les professeurs des écoles « doivent disposer de tous les apports nécessaires à la construction d’une culture professionnelle solide, enrichie par les contributions de la recherche, leur permettant d’assurer l’acquisition des savoirs fondamentaux (lire, écrire, compter, respecter autrui) par leurs élèves ».
Pour l’année 2018-2019, le ministre explique ensuite que les 18 heures d’animation pédagogique « seront obligatoirement centrées sur des actions dédiées à l’enseignement de la lecture, de l’écriture et des mathématiques », 9 heures pour la langue et 9 heures pour les maths. Le contenu des 18 heures est ensuite décrit dans le détail : au CP, par exemple, « les actions de formation se centreront sur l’acquisition des premières compétences de lecture et d’écriture en s’appuyant sur les préconisations formulées dans ce guide de référence, dont la diffusion sera largement assurée pour permettre une appropriation de son contenu par l’ensemble des professeurs des écoles ». Le guide ? C’est le fameux guide orange qui a, depuis, tant fait parler de lui. Le CE1 et le CE2 devront se concentrer sur « l’enseignement explicite de la grammaire et du vocabulaire » et pour les enseignants de cycle 3 « l’intérêt d’un enseignement effectif, régulier, explicite, structuré et progressif de la grammaire, de l’orthographe et du vocabulaire sera souligné ». On reconnait ici la prose des quatre circulaires parues quelques semaines plus tard sur ces sujets, en même temps que le guide orange. Enfin en maths, il s’agira de poursuivre le « travail engagé dans le cadre du "plan mathématiques" ».
On voit comme rien ne doit être laissé au hasard : les 18 heures sont entièrement dédiées à l’application des mesures ministérielles, leur contenu doit se fonder uniquement sur les circulaires et le fameux guide orange pondus par le ministre, toute la hiérarchie de l’EN est prévenue, et avec eux les formateurs, la feuille de route est très précise. Certes, il est de bonne guerre et finalement assez logique qu’un ministre cherche à faire appliquer sa politique sur le terrain, et après tout c’est l’une des vocations de la formation continue que de le permettre. Mais ce n’est pas la seule. Et en agissant de manière aussi directive, autoritaire, résolument descendante, le ministre se comporte à contre-courant de ce que préconisent ses propres services de l’Inspection générale, met en œuvre une méthode inverse à celle décrite par l’OCDE comme participant activement à un système éducatif efficace et performant. Les besoins du terrain ? Les attentes des enseignants ? La question ne semble même pas effleurer JM Blanquer.
Les instits : une formation continue qui reste à construire
Comme on peut toujours attendre qu’on nous demande quelle formation continue on souhaiterait qui corresponde réellement à nos besoins, fondés sur notre pratique professionnelle quotidienne, j’ai posé la question sur les réseaux sociaux, histoire de savoir ce qu’en pensent les instits. J’ai été étonné de voir comme nos préoccupations et nos attentes se rejoignent ! Alors, pour information et pour ceux que cela peut éventuellement intéresser, voici les principaux axes qui se dégagent (rien de scientifique, hein, juste la parole de dizaines et de dizaines d’instits). A bon entendeur…
Mieux connaitre l’enfant, mieux comprendre l’élève
De nombreux collègues expriment le souhait d’être formés davantage sur tout ce qui concerne la psychologie de l’enfant, le fonctionnement psychique de l’enfant. Il y a beaucoup d’attentes sur les neurosciences, le développement cognitif de l’élève. Myriam aimerait « un retour une semaine par an à l’université pour se mettre au parfum des dernières recherches en matière de sciences de l’éducation, ça aiderait à prendre un peu de recul par rapport à tout ce qu’on nous balance sans explication en terme de programmes... ».
Aider les élèves à besoins particuliers
Beaucoup d’instits se sentent démunis face à l’évolution du public et aux élèves à besoins spécifiques. Tous ressentent la nécessité d’être formés sur les "DYS", dyslexie, dyspraxie, dyscalculie, dysphasie, sur l’accueil des élèves en situation de handicap, sur l’autisme, les élèves à haut potentiel intellectuel (hpi), certains aimeraient aussi être formés sur l’orthophonie, la langue des signes, sur « les pistes d’aménagements pour les élèves à profil particulier et les ressources en logiciel existants » (Adeline). Comme le résume Laeti, « oui il faut accueillir tous les enfants à l'école, mais si on pouvait le faire dans de bonnes conditions ce serait tellement mieux... Le manque d'informations et de formations fait que beaucoup se ferment face à des enfants qui présentent des troubles et il n'est pas normal de devoir se former et s'informer par soi-même (ce que beaucoup d'enseignants sensibilisés et investis font) ».
Observer les collègues, parler, réfléchir ensemble
C’est sans doute le point qui revient le plus souvent, et il touche autant les contenus que les modalités de formation : la possibilité donnée à tous d’aller observer le travail fait par les collègues dans leur classe, et les échanges de pratique au sein d’ateliers d’analyse de pratique professionnelle. « Si c’est bien fait, je suis même prête à faire ça sur mes vacances (je l’ai déjà fait à mes frais) » dit Méliss. Le souhait est très répandu d’aller observer des collègues innovants ayant de l’expérience à partager, « au lieu de rester en circuit fermé dans nos classes » (Anne). « Avoir la possibilité d'observer d'autres pratiques, d’autres disciplines, dans d’autres établissements, puis parler, se concerter, construire ensemble. Des constructions suivies de faits, d'expérimentations » (Maya).
Pédagogies alternatives et innovantes
Ce souhait d’immersion dans les classes pratiquant des pédagogies innovantes va de pair avec celui, très régulièrement formulé, de suivre des formations sur les pédagogies alternatives : Montessori, Freinet, Steiner, la pédagogie institutionnelle, et plus généralement sur les différents courants pédagogiques. Dans le même ordre d’idée, certains aimeraient développer leurs compétences sur des sujets comme la différenciation et les aménagements pédagogiques, le tâtonnement expérimental et la démarche d’investigation, la gestion des ateliers et des différents rythmes, la construction des savoirs pour apprendre à apprendre.
Postures de professionnel
Les instits sont également conscients qu’enseigner, c’est aussi communiquer et savoir gérer toutes sortes de situations. Dans l’ensemble, ils s’y trouvent insuffisamment préparés. Ils aimeraient suivre des modules de formation qui les aideraient à savoir poser sa voix, à installer une posture physique, à maitriser le langage corporel, apprendre à capter l’attention du public, à gérer le stress.
La communication est devenue une dimension importante du métier, les instits souhaitent être formés sur la « gestion des conflits entre élèves, entre élèves et enseignants, entre parents, entre parents et enseignants, entre enseignants, entre directeurs et enseignants » (Elisa), mais aussi à la communication non violente, à la gestion de crise, aux troubles du comportement et à la psychologie de groupe.
Enfin, de nombreux collègues souhaitent être formés aux premiers secours.
Voilà de quoi donner du travail à l’ingénierie de l’EN…
Nota : on relira avec intérêt ce post de blog dans lequel on relayait la révélation faite en petit comité par Jean-Paul Delahaye, bras droit de Vincent Peillon, et qui nous faisait titrer « Repose en paix, formation continue »…
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