(Photo AFP)
A plusieurs reprises ces dernières semaines, on m’a demandé pourquoi je n’abordais pas la réforme du collège, sur ce blog. La réponse est simple à donner : je ne considère pas posséder l’expertise qui rendrait ma parole crédible.
Pourtant je me tiens au courant de l’actualité de l’éducation, je lis pas mal de choses sur le sujet (j’ai même lu une partie des textes officiels du projet, c’est dire) j’ai des amis qui enseignent en collège, j’ai moi-même enseigné en collège (SEGPA) quelques temps. Tout ceci pourrait me conférer un droit à l’opinion, voire me permettre d’exprimer un point de vue, ce que je me garde pourtant de faire.
C’est que mon opinion n’est pas arrêtée, sur cette réforme. Je doute. Certains aspects me paraissent intéressants a priori (EPI), d’autres me semblent plus sujets à caution, mais dans l’ensemble, je doute et peine à me forger un avis définitif. Alors je me tais, je me contente des discussions entre amis, et entre amis je continue à douter, et même je doute encore plus car ces amis apportent au débat matière à réflexion, ils nourrissent mon désarrois en l’augmentant de leur expérience, je m’aperçois en les écoutant que bien des réalités du collège m’avaient échappé : les complexités des DHG (la dotation horaire globale qui organise les cours dans un collège), l’importance du chef d’établissement (on n’a pas de chef d’établissement, en primaire !), les méandres des conseils d’administration, les conséquences de la RGPP de Sarkozy (réduction du nombre de fonctionnaires) sur la politique actuelle, les sables mouvants de la salle des profs, etc. Je révise donc mon opinion, j’amende ma position, revois mes a priori, conscient que les pans dévoilés disent en creux ceux que j’ignore encore – et conscient aussi que je ne dois pas verser dans « les avis de mes amis sont mes avis ».
Aussi suis-je considérablement admiratif de toutes ces certitudes affichées, sur un sujet si complexe, par à peu près tout le monde, que ce soit POUR, drapeau au vent, ou CONTRE, étendard haut brandi. Admiratif, de tant de convictions, de cette fermeté dans le jugement, de cette assurance dans la sentence, de ces opinions tranchées par toutes les fines lames dont ce pays regorge.
Les experts amis-amis
Depuis que l’affaire est devenue ce qu’elle est – c’est-à-dire une polémique passionnelle teintée d’identitarisme idéologique instrumentalisée par les politiques – j’ai lâché. Comme souvent quand les débats d’éducation tournent au pugilat, il n’y plus grand-chose à en retirer, l’heure est aux coups et aux invectives, c’est toujours comme ça, il faut réfléchir tôt, à l’aube des débats, car le risque existe toujours que le bruit remplace le dialogue, que les fumées succèdent aux pensées, et alors il est trop tard.
Depuis des semaines que l’affaire dure et enfle (j’allais dire gonfle), on en a entendu, des journalistes soudain experts des choses de l’école ! On les a lus, leurs articles, on les a vus, leurs reportages, eux qui méconnaissent l’école en général et le collège en particulier, ne lisent pas les textes ni les projets de texte, et approximent à tout-va. On en a lus, entendus, des soi-disant experts outrés, drapés dans leurs certitudes suspectes. On a, tous, assisté au défilé des cuistres et des sûrs-de-soi, des tribunards et des abonnés au poste. Ils sont sortis de l’école il y a des décennies, pour certains, ne connaissent donc pas le collège de l’après 1975, n’ont jamais fréquenté d’établissements ou de quartiers populaires, ne savent rien de la réalité du collège contemporain, mais s’expriment tout de même, haut, fort, les journaux leur offrent des colonnes à la pelle, pendant ce temps-là pas un de ceux dont l’école porte l’échec n’a de porte-voix, seuls ceux qui ont réussi donnent leur avis, pourquoi voulez-vous qu’ils souhaitent changer quoique ce soit, puisqu’ils sont la preuve vivante que cela marche pour certains – eux, mais les autres, ces invisibles, ces inaudibles, qui leur donne la parole, au juste ?
Et puis il y a le politique, qui redécouvre l’éducation et s’en proclame derechef expert chaque fois qu’un sujet lui permet de gagner des voix, quelques pourcents dans un sondage, un positionnement affermi autour de marqueurs idéologiques sur un "secteur clivant", une posture en somme. Pas un n’a lu les textes, la plupart se sont contentés de survoler les notes que leur assistant a rapidement pondues, mais peu importe, il faut occuper la place et taper plus fort et plus haut que le concurrent, surtout s’il est du même camp.
Les profs, eux, on ne les a finalement pas tellement entendus, à part le jour de la grève – le reste du temps leur espace de parole était occupé par les syndicalistes.
Syllogisme et technolecte
Globalement, tout le monde a une opinion, concernant l’école, puisque chacun y est allé – l’argument en soi semble suffire – et le bain médiatique fait le reste.
Et quand on tend l’oreille, dans le métro, au bistrot, dans les files d’attente, et bien, l’école, c’est si simple ! Rien de complexe là-dedans, un peu de bon sens suffit, diantre ! Si on arrêtait de nous casser la tête avec des concepts et des idées foireuses, les choses iraient bien mieux et les gamins seraient moins bêtes !
… Et bien non, l’école, c’est complexe, cela demande et mérite bien plus qu’un avis à l’emporte-pièce, malheureusement l’époque est à la caricature, aux généralités, au syllogisme, aux fausses évidences, au simplisme. C’est le règne du raccourci, la victoire du slogan, le triomphe de la punchline en 140 caractères. Oser la complexité est une incongruité, exiger la justesse, la précision, est un affront, demander le temps d’exposer est un ennui.
Pourtant l’on se plaint suffisamment ici ou là de la perte du sens, du langage qui s’appauvrit et de la pensée qui dépérit, mais ce sont les mêmes regrettants qui raillent, par exemple, les "jargons" à l’œuvre dans les programmes de l’école. Ou plutôt dans les projets de programmes, cela change tout car un projet est un document de travail, il n’a pas vocation à courir dans le grand public mais s’adresse à une profession, or chaque profession a son langage propre, son jargon – ce qu’on appelle jargon relève la plupart du temps du technolecte, langage technique relevant d’un domaine précis. Bon d’accord, c’est vrai, parfois les jargons sont un peu abscons (voire risibles), mais le plus souvent c’est quand on les considère de l’extérieur qu’ils prêtent à sourire : les professionnels du domaine y voient, eux, un langage qui dit clairement les choses en les nommant, et plus on entre dans le détail des choses, plus on avance dans les subtilités, plus on cherche à décrire avec finesse, plus il faut nommer avec précision et rigueur.
Précision et rigueur : absentes, toutes les deux, du brouhaha qui tient lieu de débat sur le collège. Une fois de plus, nous nous montrons incapables de penser correctement et sereinement l’éducation, et c’est un crève-cœur.
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