Qu’aura-t-on retenu, à la fin, de la livraison des nouveaux programmes sur le bureau de la ministre ? Qu’on a tenu compte des critiques formulées en mai à l’encontre du premier projet, mais, surtout, la communication de NVB centrée sur les "fondamentaux", avec l’annonce d’une dictée par jour, du recours au calcul mental, à la lecture à voix haute et à la récitation. Cette annonce, pur fait de communication visant à neutraliser les détracteurs, participe à discréditer, en le niant de fait, le travail de fond entrepris dans les écoles par les enseignants, en même temps qu’elle nous éloigne d’une véritable réflexion sur l’enseignement de l’orthographe en favorisant un mode de pensée binaire.
Coup politique
On se souvient de la polémique, au printemps, lors de la publication du projet de programme par le CSP. Latin, grec, histoire, levée de boucliers de certains profs, tribunes enfiévrées de certains intellectuels, et ministre accusée de vouloir démonter l’élitisme républicain de ce pays. Jurant qu’on ne l’y reprendrait plus, NVB et sa cellule communication ont donc décidé de présenter les choses différemment et de couper l’herbe sous le pied des opposants, en scindant nettement le fond (les programmes) de la forme (la présentation à la presse).
Il s’agit de traverser la séquence sans encombre, de déminer toute polémique, si possible de susciter l’adhésion du grand public. Et, de ce point de vue, on n’a jamais fait mieux que la dictée, grand symbole du "retour aux fondamentaux" surtout si elle s’accompagne de calcul mental, de lecture, de récitation, blouse grise et papier buvard inclus.
La manip’ fonctionne – pas de vague, cette fois, dans l’opinion publique, seuls quelques profs et spécialistes de l’éducation font la moue. Tout le monde parle de la dictée, personne ou presque ne parle des programmes. C’était sans doute le but.
La dictée comme pare-feu ou comme preuve de reprise en main, on connaît, ça ne date pas d’aujourd’hui. C’est un des fondamentaux de la Rue de Grenelle, presque un marronnier de l'Education nationale. Depuis que je suis instit, je crois bien que j’ai entendu chaque ministre avoir recours à cette ficelle, un peu grosse mais qui passe toujours auprès du grand public, éternellement avide de retour aux bonnes vieilles méthodes supposées efficaces, une question de vieux pots et de meilleures soupes, sans doute.
Le message envoyé est toujours le même : on reprend les choses en main, on revient aux fondamentaux, fini les blagues. En 2002, Jack Lang avait fait le coup avec ses nouveaux programmes, en 2004, François Fillon demandait « que l’on fasse des dictées non seulement à l’école mais aussi au collège », puis en 2006 Gilles de Robien et en 2008 Xavier Darcos en appelaient aussi au retour à la dictée...
La dictée : omniprésente dans les écoles !
Sauf que l’annonce fait sourire dans les écoles. Des dictées, tous les instits que j’ai croisés en font, au moins une hebdomadaire dans les grandes classes (cycle 3), plusieurs par semaine voire une par jour chez les petits, apprentissage de la langue écrite oblige.
Les ministres successifs feignent de croire et font croire qu’il s’agit d’un exercice tombé en désuétude, voire oublié des enseignants, alors précisément que les enseignants restent très attachés à cette pratique ! La dictée est sans doute l’un des points de l’enseignement de la langue que les enseignants ont le plus enrichi et étendu, en variant les types et les formes : dictée traditionnelle, dictée de mots, autodictée, dictée-flash, dictée copiée, dictée copiée différée, dictée à trous, dictée négociée, dictée escalier, dictée préparée, dictée guidée, dictée photo, dictée commentée, avec le maître ou entre enfants, dictée à corriger, dictée avec aides, dictée abrégée, dictée caviardée, dictée « chiffon », dictée à choix multiples, dictée « frigo », dictée « randonnée », dictée « judo », dictée « piégée », twictée… et cent autres variantes nées de l’esprit créatif des maîtres et maîtresses de ce pays dans le but de faire progresser les élèves en orthographe (voir ce travail de l'Académie de Nice sur le sujet).
Appeler encore au retour de la dictée n’a donc pas grand-chose à voir avec la réalité de l’école, ce n’est même pas de la com’ interne, juste de la poudre aux yeux du grand public.
Et sinon, à part la dictée ?
« Mais jeune homme, me rétorquera-t-on (laissez-moi imaginer qu’on me rétorque jeune homme), comment expliquez-vous la faiblesse du niveau en orthographe, si ce n’est pas à cause de la disparition des dictées ? »
Evitons d’un souple détour le débat du « c’était mieux avant », constatons une fois de plus que c’est un réflexe bien français, de penser que, pour améliorer l’orthographe, il faut faire davantage de dictées, et répondons au contradicteur que, puisque les dictées n’ont jamais cessé dans les écoles, c’est donc que les causes de la baisse du niveau en orthographe sont à trouver ailleurs – il ne faut jamais hésiter à chercher la forêt derrière l’arbre.
Entendons-nous bien, je ne suis pas contre la dictée, j’en fais toutes les semaines et même, cette semaine, il y en a quatre au programme dans ma classe. Mais bien d’autres façons existent de travailler l’orthographe. Des chercheurs passionnants comme Eveline Charmeux ont beaucoup travaillé sur cette question, on renvoie volontiers à ces travaux* et à son blog.
Il est intéressant de signaler que, si la ministre a choisi de mettre en avant la dictée quotidienne, terme qui n’est pas présent dans les 375 pages de programmes, le CSP avait quant à lui préconisé, dans ces mêmes programmes, « au moins une séance quotidienne d’écriture », afin que l’écriture devienne « l’ordinaire de l’écolier »…
Une des meilleures manières de travailler l’orthographe, c’est de faire écrire les élèves, les faire rédiger, souvent et dans des situations d’écriture authentiques, multiples et variées, en accompagnant ce travail de rédaction d’un travail sur l’orthographe spécifique et ciblé. Apprendre à écrire en faisant de moins en moins de fautes parce qu’on s’y entraîne fréquemment est sans doute aussi efficace que de faire des dictées à répétition – une dictée est une simple vérification, à la fin, et plus personne n’en fait sorti du collège sauf Bernard Pivot, alors qu’écrire un simple mail est un acte pluriquotidien pour des dizaines de millions d’adultes.
Au fond, résumer la question de l’orthographe à la dictée, c’est un peu comme réduire l’évaluation aux notes, madame la ministre.
* Enseigner l’orthographe autrement, sortir des idées reçues et comprendre comment ça marche, Chronique Sociale, 2013.
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