Dans un contexte difficile, où il cherche à convaincre que sa réforme des rythmes scolaires est la bonne, Vincent Peillon a annoncé pour la première fois sur un média d’importance son intention de réduire de deux semaines les vacances d’été. Si l’annonce contribue à donner à la réforme des rythmes une cohérence qui lui faisait défaut jusqu’ici, elle risque de tendre davantage encore les relations entre le ministre et les enseignants.
Cohérence
Pour qui suit de près l’avancée de la refondation peillonnienne, l’annonce d’un futur passage de 36 à 38 semaines de classe en primaire n’est pas franchement une surprise : Peillon n’a jamais caché son intention de raccourcir les vacances d’été, et on sait depuis l’automne et la fin de la concertation que le projet est dans les cartons. Mais le ministre n’avait pour l’instant pas abordé la question frontalement, c’est donc une véritable annonce que celle faite sur BFMTV.
Le ministre a dû s’apercevoir, ces dernières semaines, qu’il avait trop axé sa communication sur l’aspect hebdomadaire de la réforme des rythmes, contribuant malgré lui à faire passer la semaine de 4 jours ½ pour une mesure isolée trahissant une réforme peu panoptique. Depuis quelques jours, on entend le ministre, toujours aussi omniprésent dans les médias, aborder d’autres aspects de cette réforme des rythmes : la révision des programmes (le mot "allègement", d’abord réfuté, a été employé dans l’émission C Politique sur France 5 le 17 février), le passage à 38 semaines de classe au lieu de 36 avec la suppression de deux semaines l’été, donc, mais aussi la volonté réaffirmée de mettre en place une alternance de 7 semaines de classe / 2 semaines de vacances. Précisément ce que les chronobiologistes et certains enseignants appellent de leurs vœux : des rythmes moins lourds passent nécessairement par un nombre plus important de jours de travail mieux étalés sur l’année, des contenus plus adaptés et moins denses et des vacances régulières encadrant des périodes de classe plus équilibrées.
De ce point de vue, il y a donc une réelle cohérence dans le discours et le projet de Peillon. Bien sûr, on lui reprochera une fois de plus de ne pas avoir commencé par le bon bout, mais puisqu’il fallait bien commencer par un endroit, et poursuivre par un autre, on commence à entrevoir une réforme globale qui nécessiterait peut-être le quinquennat pour être complètement mise en place : la semaine d’abord, en 2013 et 2014, l’année ensuite à partir de 2015. Entretemps, des zones de flou, fatalement, que l’on imagine faites de couacs et d’aménagements. Rome ne s’est pas faite en un jour.
Convaincre
Ce virage communicationnel suffira-t-il pour convaincre l’opinion, le monde éducatif de la pertinence et de la vision globale du projet, faire oublier les erreurs du ministre et les questions de faisabilité soulevées par la semaine de 4 jours ½ ?... Rien n’est moins sûr. D’abord, on ne sait pas trop comment l’opinion va réagir à cette annonce – mais un sondage viendra sans doute très vite nous éclairer. On sait seulement que les Français sont très attachés aux vacances d’été, ce qui ne signifie pas qu’ils verraient d’un mauvais œil le passage de 8 à 6 semaines, du moment qu’ils peuvent toujours partir au camping de Palavas-les-Flots fin juillet-début août. Après tout, qui part 8 semaines ? Côté parents d’élèves, la FCPE s’est depuis longtemps prononcée en faveur de cette réduction. Côté syndicats enseignants, il fut un temps où ils voyaient cette mesure d’un bon œil, mais ça, c’était avant. Le ministre dispose-t-il de sondages que nous n’ayons pas ?
Pour ce qui est de convaincre l’opinion de la cohérence et de la pertinence de sa réforme des rythmes à travers ce projet de 38 semaines, on peut émettre les plus grandes réserves. D’abord parce que le raccourcissement des vacances d’été constitue un tel sujet en soi qu’il finit par se détacher de celui des rythmes et de la semaine de 4 jours ½. Ensuite parce que les réticences sont nombreuses sur ces sujets. Les médias ont beaucoup insisté sur la résistance des instits sur la semaine de 4 jours 1/2 (conséquence de l’effet loupe des mouvements de grève), mais il faut bien observer qu’ils sont loin d’être les seuls à lever les boucliers.
D’un côté, les parents d’élèves, réticents dès le départ (55% contre), ne sont pas plus enthousiastes aujourd’hui. Sur le web, les pétitions se multiplient, les collectifs se forment ; sur le terrain, les parents se regroupent, pétitionnent aussi ; dans les réunions d’information menées par les communes, ou par les IEN lancés en VRP de la réforme par Peillon, de nombreux parents se montrent sceptiques quant à la faisabilité de la réforme.
Le grand public, lui, si l’on en croit un sondage réalisé la semaine dernière par Harris pour le SNUipp, semble également douter de la capacité des communes à mettre en place le projet concrètement.
Car à l’autre bout de la chaîne, les communes se montrent elles aussi hésitantes. En dépit des mesures incitatives du ministère (250 millions pour les communes qui passeraient à la semaine de 4 jours ½ dès 2013), de plus en plus de communes choisissent d’attendre la rentrée 2014 et de se donner le temps de faire la bascule (Lyon, Marseille, Montpellier, Auxerre…). D'autres grandes villes comme Lille, pourtant socialiste, ont décidé d'attendre avant de se prononcer. La décision de Bertrand Delanoë, actuellement mis à mal dans des parodies de réunions d’information et de concertation, de passer à la semaine de 4 jours ½ en 2013 ou en 2014, devrait revêtir une importance symbolique, et nul doute que Peillon attend avec inquiétude la décision du maire de Paris.
Le temps, dernier privilège des profs
Si on en juge les réactions entrevues sur les réseaux sociaux, les instits ne vont pas accueillir l’annonce du raccourcissement des vacances d’été avec le sourire, loin de là. Déjà peu convaincus, dans l’ensemble, par la semaine de 4 jours ½ et la perte de l’îlot central que constitue le mercredi, ils sont nombreux (majoritaires ?) à accueillir cette annonce avec dépit ou colère. On a pu lire à plusieurs reprises des commentaires tels que « pas touche à mes vacances d’été », « ça m’emmerde de perdre deux semaines de vacances en été, excusez-moi d’être humain », etc. Bien sûr, les professionnels du tourisme, accusés du pire lobbyisme (bien sûr que les industries du tourisme et leurs milliers d’emplois défendent leurs intérêts), en prennent pour leur grade, tout comme le ministre, accusé d’être à la solde de ces lobbys et de leur obéir au doigt et à l’œil. Bon. Rappelons quand même qu’à l’origine, le « lobby du tourisme » n’était pas chaud pour le passage à 6 semaines de vacances, pour des raisons assez évidentes, d’où l’idée de demander un zonage en cas d’abandon des 8 semaines. C’est à ce zonage que Peillon a répondu positivement. Ce qui suffit à certains pour dire que le ministre écoute le tourisme, mais pas les instits.
Au fond, Thomas Legrand avait raison sur un point, dans sa très commentée chronique du 24 janvier sur France Inter, au lendemain de la grève des instits parisiens : « En réalité les enseignants font grève aussi pour quelque chose d’inavouable, d’inaudible par le grand public, la seule chose qu’il leur reste, avec la sécurité de l’emploi : le temps (…). La revendication liée au temps de travail, qui n’est pourtant pas une revendication illégitime, est irrecevable pour le reste de la population (…). Il y a certes quelque chose d’injuste pour les enseignants, qui n’ont pas de perspective d’évolution de salaire, au fait de ne pas pouvoir exprimer ouvertement leur attachement à la maîtrise de leur seul luxe, le temps ».
Car c’est bien de cela qu'il s’agit, pour le mercredi comme pour les deux semaines de vacances en moins : enseignant est un métier où les avantages ne sont pas nombreux, comparés aux désagréments et aux difficultés, où les salaires sont anormalement bas, et le seul privilège qu’il nous reste est le temps, si nécessaire dans la pratique d’un métier si abrasif : temps pour travailler, temps pour réfléchir, temps pour les loisirs, temps pour les siens, temps pour soi, temps pour ne rien faire, et se refaire.
Les salaires en boomerang
Dès l’annonce de Peillon, on l'a vue revenir sur les réseaux sociaux, tel un vieux serpent de mer que l’on croyait bien avoir vu noyé pour de bon la dernière fois qu’on avait eu affaire à lui : cette fameuse histoire selon laquelle les enseignants seraient payés 10 mois annualisés sur les douze de l’année, les deux mois de vacances d’été n’étant pas payés. On a déjà démontré ici que rien ne permet de penser une telle chose, jusqu’à preuve du contraire. Mais l’idée persiste dans l’esprit de nombreux instits (il faut bien trouver une raison à nos faibles salaires !). Peut-être aussi le mythe est-il tenace à cause de ces deux semaines de vacances, d’hiver cette fois, offertes par le Bloc des Gauches en 1925 aux profs, faute de pouvoir les augmenter.
On comprend bien en quoi ce rapport vacances/salaire arrive très vite dans le débat : si Peillon fait sauter deux semaines de vacances en été après avoir mis en place l’école le mercredi, il lui faudra forcément trouver une solution pour augmenter nettement les instits. Vu l’état des finances publiques, c’est peut-être pas plus mal d’attendre 2015 pour en reparler. Car cette fois, une prime de 400 € annuelle ne suffira pas.
Note du 2 mars : ça n'aura pas tardé, voici le sondage, ici (53% des français pour la réduction des vacances d'été).
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