La droite décomplexée et l’école

 

Avec l’élection de Jean-François Copé, si courte soit-elle, à la tête de l’UMP, c’est donc la droite décomplexée qui prend le pouvoir. On ne sait pas encore ce que cela changera pour l’école. On peut juste penser, à moins que les 98 voix d’écart ne donnent naissance à un ouragan, que Copé va maintenant mettre en place une équipe, une forme de shadow cabinet avec des hommes et des femmes chargés de dossiers spécifiques. On imagine ainsi que quelqu’un va prendre en charge les dossiers de l’éducation et s’opposer à Peillon, à la manière dont Peillon lui-même avait collé aux basques de Chatel durant les derniers mois de la sarkozie. Pour l’instant, le moins que l’on puisse dire, c’est que Peillon a plus été emmerdé par son camp que vraiment gêné par une vigie de droite…

La droite forte

On le sait moins – heureusement que Philippe Watrelot nous l’a rappelé dans sa revue de presse hier lundi – mais en plus de l’élection de leur leader, les adhérents UMP avaient dimanche à voter pour l’une des six motions appelées à établir les courants au sein du parti. La motion arrivée largement en tête est celle de « la droite forte », avec 28% des voix devant la droite sociale des fillonistes (21,7%) et les humanistes de Raffarin (18%). Le coup de barre à droite est clair. Prônant un retour de Sarkozy aux affaires, pro-Copé, cette mouvance dure de l’UMP a été fondée par deux jeunes pousses déjà secrétaires nationaux du parti, et garde rapprochée de Sarkozy durant la campagne présidentielle : Guillaume Peltier (vous l’avez forcément vu à la télé ces derniers temps, et pas qu’une fois…), ex porte-parole de Sarko, et Didier Geoffroy, qui étaient dans la cellule « riposte » d’Hortefeux durant la campagne. Autant dire que ces deux-là n’ont peur de rien, ont les dents qui rayent le parquet, qu’ils sont rompus aux joutes politiques et médiatiques et aiment la bagarre.

"L’école forte"

Il y a quelques semaines, l’excellent Claude Lelièvre, sur son indispensable blog de Mediapart, avait pointé les principales propositions de « la droite forte » pour l’école. Du lourd. Du coup, on a eu envie d’aller voir de plus prés. Il s’agit du thème n°4 de leur "programme", intitulé « la révolution de l’école forte : pour une école du mérite, de la République et de la liberté ». Je vous en recommande la lecture, si vous avez 5 minutes pas trop importantes devant vous, un peu de sang-froid ou envie de rigoler un peu.

Sinon, voici quelques mesures :

- fin du droit de grève pour les enseignants : c’est la première mesure proposée, on imagine que la droite forte n’a rien trouvé de plus urgent pour révolutionner l’école ;

- suppression définitive de la carte scolaire afin d’établir « une réelle mixité sociale » : la droite forte n’a certainement pas eu le temps de lire tous les rapports qui confirment que la suppression de la carte scolaire est justement le premier facteur d’inégalité sociale… Même au Figaro, l’organe officieux du parti, c’est un fait entendu, c’est dire ;

- renforcement des prérogatives des chefs d’établissements, qui pourront recruter, licencier qui bon leur semble et gèreront leur établissement comme une entreprise en ayant par exemple recours aux fonds privés pour l’immobilier : à la droite forte, on n’a pas peur de gérer un collège comme une entreprise du CAC40, on n’a pas peur du mélange des genres, de l’abus d’autorité, des conflits d’intérêts, on ne voit pas de problème à ce qu'un proviseur de lycée traite avec Bouygues ;

- soutenir l’autorité des professeurs en rétablissant le vouvoiement obligatoire à partir de la 6ème : quel idiot je fais, à chaque fois j’oublie qu’il est si simple d’imposer autorité et respect ! Sans compter que le vouvoiement est bien évidemment de mise dans l’écrasante majorité des établissements. A croire que la droite forte n’y met pas les pieds ;

- valoriser le travail et le mérite des professeurs de la République en imposant pour tout nouveau professeur 25 heures de travail par semaine en contrepartie d’une hausse de salaire de 20% : visiblement, à la droite forte, on confond toujours heure de classe et heure de travail… Rappelons, à titre d’exemple, qu’outre les 24 heures déjà fournies par les instits devant élèves, il faut environ ajouter 19 heures de travail hors classe (rapport de l’Inspection générale)… Quand on ne connaît pas l’école, les gars, faut au moins faire gaffe aux termes employés !

- établir une école du mérite et du respect par le rétablissement des récompenses, comme le « bon point » dans le primaire et les bourses scolaires dans le secondaire : qu’on mette sur le même plan le bon point et les bourses scolaires, déjà, c’est énorme ; qu’on pose la bourse scolaire comme une récompense quand on prétend œuvrer contre les inégalités relève du contresens le plus crasse, à moins que ce ne soit un aveu ; enfin, sur le bien-fondé même de la notion de récompense, on invitera la droite forte à la lecture, non d’un dangereux journal d’ultra-gauche révolutionnaire, mais bien une nouvelle fois du Figaro, qui publiait cette semaine un article intitulé « Enfants, qu’est-ce qui leur donne envie d’apprendre ? » et dans lequel on pouvait lire ceci : "Quand un individu intrinsèquement motivé reçoit des récompenses pour réaliser l'activité, il a progressivement tendance à dissocier ces deux incitateurs du comportement et à considérer la raison externe comme plus prégnante que la raison interne. Autrement dit, il perçoit progressivement qu'il n'est plus “à l'origine” de ses actes et que ce qui cause ou régule son comportement est à l'extérieur de lui-même.» Résultat: l'enfant apprend seulement pour recevoir des bons points et non plus pour satisfaire sa curiosité. Celle-ci risque alors de s'épuiser." (Sérieux, les gars, faut se remettre à la lecture du Figaro) ;

ouvrir l’école de la République au monde de l’entreprise (« il faut faire entrer le monde de l’entreprise dans l’école pour mettre fin à l’échec scolaire »), en obligeant chaque année les profs à faire un stage en entreprise… Pour faire comprendre à ces fainéants de profs privilégiés ce qu’est le vrai travail ? Pour montrer aux ignorants de profs avec quelles méthodes de management on gère un groupe ? Suffira ensuite de les appliquer avec des enfants… Et au fait, les gars, en échange on oblige tout le monde à la droite forte à venir faire un stage annuel à l’école ? Parce qu’entre nous, on doit être plus nombreux dans les classes à avoir connu le milieu de l’entreprise avant que l’inverse.

Le retour de la manipulation chiffrée

Avec le retour de la droite décomplexée sur le terrain de l’éducation, c’est la manipulation par les chiffres qui revient par la fenêtre. C’est donc aussi le grand retour du fact-checking

- « l’école française est parmi les plus riches de l’OCDE », soutient la droite forte de manière très floue. Soyons précis, au contraire. Voici très exactement ce que l’OCDE dit dans ces "Regards sur l’éducation 2012" (Cf. les tableaux B4.1 p.274 et 281) : le budget consacré à l’éducation dans les dépenses publiques en France est nettement inférieur à la moyenne des pays de l’OCDE (10,4% contre 13%), et l’éducation représente en France 5,9% du PIB, ce qui est dans la moyenne des pays de l’OCDE (5,8%). Depuis 2000, ces chiffres ont augmenté dans la plupart des pays de l’OCDE, mais ont baissé en France.

- « un adulte pour 13,7 élèves », prétend la droite forte, amalgamant malignement « adulte » et « prof ». L’OCDE est là aussi très précise (tableaux D2.1 et D2.2 pp.467-468) : la taille des classes françaises (24,5 élèves) est supérieure à la moyenne de l’OCDE (23,4, et même 21,8 en Europe) ; le nombre d’élèves par enseignant est de 21,5 en maternelle (moyenne OCDE 14,4), de 18,7 en élémentaire (moyenne OCDE 15,8), de 15 au collège (moyenne OCDE 13,7) et baisse enfin au lycée (9,7 contre 13,8). Quitte à citer des chiffres, les gars, autant lire les rapports.

Les pieds dans le tapis

Heureusement la droite forte connaît si peu l’école, a si peu réfléchi à ses questions qu’elle se met parfois les pieds toute seule dans le tapis. Ainsi elle annonce qu’elle veut « placer l’apprentissage des savoirs fondamentaux au cœur des priorités de l’école » (comme tout le monde, quoi), mais souhaite instaurer en terminale un examen de sécurité routière ou créer « une heure d’enseignement des valeurs patriotiques avec épreuve éliminatoire au bac » ! A ce tarif, on voit peu d’apprentissages non fondamentaux…

Piqûre de rappel

Bref, on n’est pas déçu par la prose et les idées de la droite forte, où les bienheureux semblent vivre dans un monde simple, sans nuance ni complexité. Un monde surtout très éloigné de l’école, qui paraît n'en connaître ni les réalités ni les enjeux. Libéralisation forcenée, ultraflexibilité des personnels, mesurettes poudre aux yeux relevant de la méthode Couet, bourrées d’incohérences et de paradoxes, confusions, approximations, mélange des genres, populisme, tout ceci ferait rire si ça n’évoquait pas fortement un pot-pourri du programme de Sarkozy... et de Le Pen.

A l’heure où le temps se gâte pour Peillon, où l’inquiétude et le scepticisme gagnent les rangs, voici une bonne piqûre de rappel…

 

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