Sarkozy aux enseignants : une communication qui intrigue


Précédemment dans « Panique à l’école »…

Le monde de l’enseignement, qui comprend certains l’oublient trop souvent des élèves et des parents, est actuellement en pleine ébullition. Les élections cantonales à peine passées, les rectorats de France et de Navarre ont annoncé quelles classes allaient fermer et dans la foulée le ministère vient de publier la carte officielle des fermetures.

Un peu partout, les enseignants, les inspections, mais surtout la société civile, parents, associations, élus, font savoir leur colère et leur inquiétude devant le délitement des conditions d’enseignement dans le pays.

Le président Sarkozy, au plus bas dans les sondages, et son ministre de l’Education Luc Chatel, dont le bilan hors suppressions de postes se résume pour l’instant à un début de lutte contre le harcèlement à l’école, sont attendus au tournant : quelle va désormais être leur attitude ?  Quel va être leur discours ?...

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Episode 14. Sarkozy parle aux enseignants

Est-ce parce que ce déplacement se niche au creux des vacances de deux zones scolaires sur trois ? Toujours est-il que le déplacement de Nicolas Sarkozy et Luc Chatel jeudi 14 avril dans un établissement de réinsertion scolaire à Luchon puis à une table ronde sur la prévention de l’échec scolaire, est peu relayé par des médias eux aussi en vacances et passe relativement inaperçu auprès du grand public.

Que faut-il retenir de ce qui se dit ce jour-là ?

D’abord, que Luc Chatel ne prend pas la parole, se contentant d’acquiescer. De toute évidence, l’idée générale est une intervention en situation (une école d’élèves en difficulté) du président de la République avec propos rassurant en direction d’un monde enseignant assez tendu ces derniers temps. Chatel est prié de se taire, sa popularité du moment le suggère.

Le président a tout de même cherché à justifier à nouveau les suppressions de postes, selon l’habituel argumentaire : « Réfléchissez : compte tenu des déficits, des problèmes que nous avons, on ne peut pas faire le choix à la fois d'augmenter sans cesse le nombre et en même temps d'augmenter la rémunération des statuts ». Deux contre-vérités en une seule phrase : 1. Le nombre : - 96 000 postes en 7 ans. 2. La rémunération : le ministre a annoncé un gel des salaires pour 2011 et 2012 (perte du pouvoir d’achat depuis 2000 = 9 %).

Les chiffres sont têtus, monsieur le Président. Vos services ont beau utiliser ceux qui les arrangent, ceux publiés par l’INSEE ou inscrits sur notre fiche de paie ne mentent pas…

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Mais le Président veut visiblement renouer le contact : « J'ai beaucoup d'admiration pour le travail que vous faites et comme chef de l'Etat, je suis bien conscient de l'importance du rôle que vous jouez, plus que vous ne pouvez l'imaginer », affirme celui qui a un jour remis la légion d’honneur à l’auteur de Harry Potter en lui disant : « Avec vous, la lecture n’est plus une corvée ».

Comme on aimerait vous croire, monsieur le Président ! Vous savez si bien dire ce que les gens souhaitent entendre ! Malheureusement, vos propos sont en contradiction totale avec votre politique : formation des enseignants fragilisée débouchant sur une désaffection massive des étudiants, enseignement spécialisé en direction des élèves en difficulté décimé, suppression de postes et fermetures de classes abîmant les conditions d’enseignement…

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Malgré tout, il ne faut pas avoir peur… « En même temps, j'aimerais vous convaincre qu'il ne faut pas avoir peur du changement, que vous êtes au fond l'avant-garde de ce changement. Il n'y a aucun avenir possible dans l'immobilisme ».

Ah, le mythe de l’immobilisme dans l’Education Nationale ! Soyons clair : depuis des années, dès qu’un enseignant se prononce contre une mesure, il est taxé d’immobilisme. C’est bien pratique et ça permet de légitimer n’importe quelle mesure. Les enseignants sont si frileux, si réactionnaires, ils ont si peur du changement ! Mais de quel changement parle-t-on, monsieur le Président ? Tout ce qui change par la grâce de vos services ne concerne pas le métier lui-même mais les conditions dans lesquelles il s’exerce, de plus en plus désastreuses.

fg

C’est que le Président a bien observé nos élèves. « Les élèves que vous avez changent, nos méthodes doivent changer ».

Monsieur Sarkozy voudrait-il parler pédagogie ?!! Ce serait bien la première fois que quelqu’un nous parle de pédagogie depuis des années ! On est plutôt habitué à entendre parler d’économie budgétaire et de coupe dans le personnel…

Monsieur le Président, on s’était aperçus que nos élèves changeaient ! Figurez-vous qu’on essaie même de s’adapter et de trouver des solutions ! Alors, arrêtez de faire croire aux français que les enseignants ne veulent rien changer. Partout en France, des enseignants bougent et font bouger leur métier et leur pratique et ne vous attendent pas pour ça, fort heureusement.

fg

Mais ne nous fâchons pas, ce n’est pas l’objectif du jour : « Je veux que les enseignants ne perdent pas confiance dans leur mission. Elle est aussi importante qu'elle l'était il y a 30 ou 40 ou 50 ans. C'est un métier magnifique dont on a besoin. J'ai conscience que les conditions ont profondément changé, que vous avez encore la passion mais aussi beaucoup de déceptions, que vos initiatives ne sont pas valorisées. On aura d'autres rendez-vous, je serai très présent ».

Et le Président de la République française de conclure : « Le rôle du chef de l'Etat, c'est faire en sorte que la communauté éducative française n'ait pas de problèmes existentiels sur son rôle, sur sa mission. Je tenais à vous le dire très sincèrement ».

fg

Merci pour cette sincérité, mais ces dernières envolées achèvent de me plonger dans la perplexité la plus totale.

fg

Quel est donc le but de cette intervention du 14 avril ?...

A qui M. Sarkozy souhaite-t-il parler exactement ? D’un côté le Président semble s’adresser au corps enseignant qu’il caresse dans le sens du poil, à coup de grandes déclarations d’amour qui ne coûtent rien (et dont on ne saurait être dupe). De l’autre côté il paraît destiner certains propos à l’opinion publique, manie la démagogie quand il pointe la « peur du changement », stigmatise l’immobilisme des enseignants, tout en regrettant que leurs initiatives ne soient pas valorisées (et là hop, se tourne à nouveau vers eux)…

Quel message M. Sarkozy veut-il faire passer au juste ? D’un côté le Président souhaite rassurer sur le rôle, que dis-je, la mission des enseignants, centrale, le fait qu’ils ne doivent pas avoir de problèmes existentiels. De l’autre il désinforme sans vergogne s’agissant de sa politique (suppression de postes, rémunération), une désinformation si grossière que chaque enseignant (chaque citoyen attentif) aura démasqué l’imposture sur le champ.

fg

Curieux exercice de style, vraiment, que cette intervention qui, plus j’y réfléchis, ressemble à un oxymore géant.

fg

Au final, le passage du Président à Luchon intrigue, laisse une impression mitigée, aigre-douce, un peu comme s’il avait voulu nous inviter à nous réconcilier autour d’un bon dîner maison mais avait servi une côte de bœuf sauce Carambar.

Normal qu’on se sente un peu ballonné.

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Samedi, épisode 15 : « Absurdité de la mauvaise foi », starring Luc Chatel

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