Peillon sur France 2 : quand le discours se heurte au réel

AFP / Lionel Bonaventure

Hier le ministre de l'Education Nationale s’invitait chez Laurent Delahousse, à l’heure du déjeuner dominical, pour communiquer et expliquer une fois de plus sa démarche et celle du gouvernement. Rien de nouveau, pas d’annonce, pas de bourde non plus, mais un discours pédagogique à l’adresse du plus grand nombre. Un discours certes bien huilé, mais qui s’est heurté au réel incarné par l'écrivain Alexandre Jardin, l'une des trois personnalités invitées à discuter avec le ministre.

« Si on veut une belle politique publique, il faut du temps »

Il faut reconnaître au ministre un certain talent, une vraie force de conviction. Son discours, son argumentaire, son analyse de la situation de l’école française sont le plus souvent justes, sa connaissance des dossiers, des chiffres, réelle. A plusieurs reprises ses propos font mouche.

- Quand il répond de manière offensive aux attaques réactionnaires et passéistes : "Il faut arrêter de penser que nos enfants sont très inférieurs à nous ; ça c’est la France déprimée qui méprise sa jeunesse. Nos enfants travaillent beaucoup, apprennent beaucoup de choses".

- Quand il répond à Alexandre Jardin sur le collège unique :

JARDIN : "Le collège unique est une folie qui nie l’incroyable diversité des enfants ; tous les gosses que l’on rate au primaire, on les achève à ce moment-là".

PEILLON : "Si les gamins sont en difficulté lorsqu’ils arrivent en 6ème, c’est bien parce que ça s’est créé avant, c’est un raisonnement très simple. Or vous savez que l’école primaire française est celle qui a le moins de moyens de tous les pays de l’OCDE. Il faut mettre le paquet sur l’apprentissage de la lecture, de l’écriture et d’un certain nombre de capacités, dès la grande section, le CP, le CE1. Ce sera la première action très forte pour soulager le collège. (…) L’enfant qui est en difficulté au CP, au CE1, c’est foutu (...). Il y a un paradoxe dans ce que vous dites. Les systèmes scolaires qui arrivent à permettre aux gamins de réussir tous sont ceux qui gardent le tronc unique le plus longtemps possible. C'est à l'intérieur de ce tronc unique qu'il faut introduire des différenciations".

« Il faut sortir le pays de la pensée magique »

- Quand Laurent Delahousse lui demande s’il vaut mieux "plus d’enseignants, ou moins d’enseignants mieux payés" : « Si vous voulez pouvoir accueillir des moins de 3 ans et faire de la lecture ou de l’imprégnation de langage ; si vous voulez travailler pédagogiquement différemment, si vous voulez différencier, il faut plus de maîtres que de classes ».

- Quand Alexandre Jardin attaque sur la réforme des rythmes scolaires : « La vraie logique c’était de passer de 36 à 38 semaines de classe par an. Or, vous savez comme moi que vous vous êtes fait bloquer par tous les marchands de ski, les lobbys etc ». Réponse de Peillon : « La Refondation républicaine de l’école ne va pas se faire en une semaine. Nous avons déjà fait des choses que personne n’avait réussi à faire – nous sommes en train de faire cette réforme des rythmes scolaires, on recrée des écoles supérieures de formation… – en l’espace de 6 mois. On va agir sur 5 ans. (…) Les 38 semaines, j’en ai parlé dans 10 interviews, c’est dans l’annexe du projet de loi. Il faut sortir ce pays de la pensée magique, croire qu’on va tout régler en un claquement de doigt, ça c’est le sarkozysme  ».

Bref, un Peillon impeccable dans l’attitude et les propos, le dir’ cab’ doit se frotter les mains. On a vraiment envie de croire que les choses vont changer et bouger grâce à ce ministre. Le problème, c’est qu’on suit de près l’avancée des réformes, et on sait qu’entre le discours volontariste de Peillon et la réalité de ce qu’il parvient à mettre en place, il y a une vraie différence…

Jardin : « Si vous disiez la vérité ? »

La clé de cette "interview", c’est déjà Jardin, dans son style caractéristique, qui l’a donnée un peu plus tôt en apostrophant Peillon : « On a discuté juste avant d’entrer sur le plateau. Vous étiez follement sympathique, parce que vous étiez complètement réel. Vous ne parliez pas de la même manière. Et si vous disiez la vérité ? Que C’EST LA MERDE et qu’on n’a pas le choix. C’est ce qu’on disait juste avant d’entrer. Bordel de merde, pourquoi vous ne nous faites pas confiance ? Vous pouvez la dire, la vraie vérité. J’adorerais retrouver sur le plateau le mec avec qui j’ai discuté avant, lorsqu’on s’est faits maquiller.»

Peillon paraît déboussolé par cette charge qui sort des sentiers battus. Il répond en politicien d’abord, laisse passer l’orage, tente d’expliquer qu’il y a une rigueur à avoir quand on dit les choses, que pour les dire correctement il faut être précis, respectueux des citoyens, sous-entend que ça peut expliquer son attitude face caméra. La véritable explication viendra plus tard, lorsqu’il parlera d’économie. Le ministre explique alors qu’il est impossible de dire « c’est très dur, tout va mal », car « il y a aussi par rapport à l’économie ce que l’on appelle l’anticipation et donc il y a un équilibre à trouver, parce qu’il ne faut pas décourager les gens non plus. L’économie c’est à la fois une forme de rigueur, ce qui a été fait, et en même temps, il faut mettre de l’optimisme, de l’espérance et pas dire "on va mettre la clé sous la porte". Sinon, vous découragez tout le monde ».

On comprend bien : impossible de dire que « c’est la merde », sans quoi il y aura encore plus de morosité, en conséquence de quoi ce sera encore plus la merde.

 

Crise 1, réforme 0

A travers cet échange, on perçoit précisément le problème dialectique que rencontre le philosophe-ministre. Sa volonté de réformer l’école est inattaquable, son diagnostic est le plus souvent recevable, ses idées sont fréquemment bonnes, mais il n’a pas un sou pour les mettre en pratique. Or, comme il ne peut décemment pas le crier sur les toits, mais qu’il ne peut pas non plus faire marche arrière en attendant des jours meilleurs pour réformer convenablement, il est obligé d’avancer en bricolant, concessions à l’esprit, concessions à la lettre, réformettes trompeuses, pis-aller refondateur.

Jardin, en cassant la convention de la parole off et en plaçant la discussion sur le terrain de la vérité, met le ministre devant sa réalité de réformateur sans le sou dans l’incapacité de mener à bien des réformes structurelles, mais obligé d’aller au bout de guingois et de présenter à la France quelque chose ressemblant à une réforme.

Ainsi la réforme des rythmes scolaires, dont on a déjà dit ici maintes fois qu’en l’état elle ne va pas changer grand-chose pour les élèves – pour cela il aurait fallu par exemple que l’Etat ait les moyens de ses ambitions et puisse financer la fameuse 6ème heure d’école obligatoire, entre 15 h 30 et 16 h 30.

Ainsi la réforme de la formation des enseignants, dont il se dit que telle qu’elle se présente la montagne va accoucher d’une souris faute de crédits suffisants pour restaurer une formation initiale forcément onéreuse – c’est précisément pour faire des économies que la formation des profs avait été supprimée par Sarkozy.

 

Une réforme peu onéreuse ? Les programmes

Il faut dire que Peillon n’est pas aidé par la fameuse promesse de Hollande de créer 60 000 postes en 5 ans – 6 000 sont déjà prévus au budget cette année. Avec cette annonce faite à la surprise générale au début de la campagne présidentielle, on s’en souvient, Hollande a pris le risque de devoir allouer l’essentiel des moyens disponibles à cette seule ligne budgétaire, menaçant toutes les autres et compromettant toute réforme d’ampleur de l’EN.

On en voit pourtant une, de réforme, qui pourrait être un sacré joker pour Peillon : une révision des programmes qui allègerait les contenus à enseigner. Avec moins de matières, recadrées, un recentrage sur les fondamentaux, des programmes allégés permettraient de surcroît de jouer véritablement sur les rythmes scolaires en rendant les journées de classe moins denses, et permettrait de consacrer davantage de temps aux élèves en difficulté. Deux questions majeures trouveraient ainsi une première réponse pratique.

De toute façon, on va bientôt voir : la loi de programmation doit bientôt être présentée. Pour l’instant, en guise d’allègement Peillon a seulement annoncé l’ajout, à tout ce qui existe déjà, de la morale laïque.

 

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