Mardi 22 janvier : grève massive des instits parisiens

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On n’en parle nulle part pour le moment et pourtant, mardi 22, veille de la présentation du projet de loi de la Refondation de l’école au Conseil des ministres, aura lieu la première grève d’importance du quinquennat Hollande. Les instits parisiens seront dans la rue pour protester contre les rythmes scolaires prévus pour la rentrée 2013.

Une mobilisation record…

Bertrand Delanoë, sommé comme tous les maires de France de mettre en place la réforme des rythmes scolaires dans les 18 mois, a annoncé il y a quelques jours que Paris passerait à 4 jours ½ dès septembre prochain. Vu l’état des troupes (pour les béotiens qui ne comprendraient pas bien le contexte et les raisons de la grogne, il suffit d’aller plus avant sur le blog, par exemple , ou encore , et même ici), on savait que la réaction serait de taille, mais à ce point là… Les instits parisiens devraient en effet répondre très massivement à l’appel de l’intersyndicale : le Snuipp, premier syndicat du primaire, annonce plus de 90% de grévistes, chiffre énorme, et aux dernières nouvelles, plus de 300 écoles primaires minimum sur les quelques 662 que compte la capitale devraient être purement et simplement fermées (soit 100% de grévistes !). Dans la majorité des autres, seuls quelques instits feront classe.

Une mobilisation d’une ampleur considérable, comme on n’en a pas vue depuis des années, depuis Claude Allègre sûrement (ministre de gauche, déjà), plus loin peut-être. Sur le terrain, des enseignants qui n’ont pas fait grève depuis des lustres, que rien ne fait bouger en temps normal, fermeront leurs classes…

… qui pourrait passer inaperçue 

Si réellement le taux de participation à cette grève est aussi important qu’annoncé, il s’agira d’un mouvement particulièrement significatif. Mais il pourrait paradoxalement passer assez inaperçu, pour au moins trois raisons.

- D’abord parce qu’il s’agit d’une grève locale (Peillon ne s’exprimera probablement pas beaucoup et laissera la parole à Delanoë afin d’insister sur cet aspect…), donc circonscrite, donc limitée dans son impact – a fortiori parce que l’Académie de Paris est une petite académie. Une grève nationale avec la même participation aurait à n’en pas douter eu un retentissement énorme, mais il n’y a pas eu d’appel national, même si des écoles seront en grève ici ou là dans d'autres académies ;

- Ensuite parce que seule l’école primaire est concernée, les collèges et lycées fonctionneront comme d’habitude. Les 330 000 instits représentent seulement 40% des 790 000 enseignants de l’école publique. Comme souvent, les deux mondes, primaire et secondaire, réagissent de manière cloisonnée, le secondaire étant pour l’instant peu concerné par les réformes à venir ;

- Enfin, pour qu’une grève ait du poids, il faut qu’elle intéresse les médias, donc que ceux-ci n’aient pas grand-chose à se mettre sous la dent… Or, le Mali (sujet autrement plus grave, certes).

Aux instits de faire en sorte que cette grève ne passe pas inaperçue...

L’école, le regard braqué sur Paris

Quel que soit le retentissement médiatique, cette grève sera suivie de très près par le monde éducatif, car elle pourrait donner le ton pour les semaines et les mois à venir.

- Par les instits de Province, aussi remontés que leurs collègues parisiens, et qui auraient volontiers fait grève eux aussi. Mais les syndicats nationaux n’ont pas jugé bon emboîter le pas de leurs antennes du 75… Eux qui ont du mal à se situer depuis l’arrivée de Peillon, passant du silence gêné à l’opposition tapageuse, eux qui ont tardivement pris le poult de la colère d’une base qui se détourne d’eux, ont perdu là une bonne occasion de reprendre du poids dans les salles des maîtres ;

- Par les maires, dont l’attitude a paru très ambivalente ces derniers jours : après avoir voté en faveur du décret sur les rythmes au Conseil Supérieur de l’Education le 8 janvier (l’une des 5 voix pour sur 72), l’Association des Maires de France (AMF) a rejeté le texte à la Commission Consultative d’Evaluation des Normes (CCEN), mettant ainsi des bâtons dans les roues de Peillon ; les maires, responsables des écoles primaires, prendront mardi la température du corps enseignant ;

- Par la rue de Grenelle, bien sûr. Peillon minimisera sans doute, il plaidera le contexte local, renverra comme d’habitude aux intérêts supérieurs de l’élève (mais les instits aussi !), parlera certainement de la culture du blocage qu’il faut savoir dépasser pour l’avenir de la Nation, bref, ressortira ses habituels éléments de langage, mais il se tiendra très au courant des chiffres : il sait que si la participation est massive, elle présagera d’une opposition forte pour les mois à venir.

- Enfin, Matignon et l’Elysée se renseigneront sur les chiffres : après tout, il s’agit de la première grève de fonctionnaires du quinquennat… Hollande se demandera sûrement comment Peillon a bien pu se débrouiller pour susciter un tel rejet chez une population électoralement acquise, qui se trouve au cœur d’un domaine, l’école, placé au centre des priorités présidentielles et gouvernementales et pour lequel des choses importantes ont été mises en place (embauches, scolarisation des enfants de deux ans, priorité accordée au primaire avec le "plus de maîtres que de classes"...).

Une grève en trompe l’œil

Il ne faut pas s’y tromper, malgré la très forte participation qui s’annonce, sur l’unanimité dans les rangs des instits. La grève de mardi réunira des instits certes fortement remontés, mais pas nécessairement pour les mêmes raisons : on croisera, dans les rangs battant le pavé, des instits farouchement attachés à la semaine de 4 jours, d’autres qui pensent que le samedi matin serait plus pertinent que le mercredi, d’autres encore qui seraient d’accord pour le mercredi si seulement ils avaient le sentiment que cela changerait vraiment les choses ; seront, à leurs côtés dans la manif, des instits qui seront là avant tout pour demander une hausse des salaires, touchés qu’ils sont par la baisse de pouvoir d’achat continue depuis 14 ans, ceux aussi qui seront dans la rue parce qu’ils n’en peuvent plus, pour X raisons, et qu’ils n’ont que ce moyen pour dire leur ras-le-bol.

Quiconque a fréquenté une salle des maîtres ces dernières semaines sait qu’il n’y a pas de consensus réel entre tous les instits, mais que chacun a ses raisons, tout à fait audibles.

S’exprimant sur l’opposition au décret sur les rythmes scolaires, Peillon n’a pas tort quand il dit qu’ « il n’y a pas d’accord entre tous ceux qui critiquent. C’est bien tout le problème, chacun voulant midi à sa porte et défendre son point de vue ». Peillon dit vrai, l’opposition à son décret est aussi forte que divisée. Il mise d’ailleurs probablement sur cette division, tout autant que sur l’appui du grand public (qui risque fort de ne pas comprendre la grève de mardi et de n’y voir que d’incorrigibles profs jamais contents, qui ne pensent qu’à eux et pas à l’intérêt des élèves). Mais Peillon aurait tort de balayer cette opposition d’un revers de la main : les résistances qu’il rencontre, de tous bords, ont malgré tout quelque chose à lui dire qu’il ne sait entendre.

Peillon droit dans ses bottes

Pour mieux comprendre le hiatus entre les enseignants et leur ministre, il suffit de se pencher sur la communication de ce dernier en consultant le site web de l’Education Nationale. On y annonçait triomphalement, mercredi dernier (le 16) que le CESE (Conseil Economique, Social et Environnemental) avait émis un avis favorable sur le projet de loi de Refondation de l’école : 133 voix pour et 28 abstentions. Le ministère se gargarisait : « Ce vote des représentants de la société civile témoigne de l’adhésion de la Nation à la priorité affichée par le Président de la République et le gouvernement à la Jeunesse à travers la Refondation de l’école de la République ». Rien que ça : Nation / adhésion / Refondation... Outre que cette communication emphatique passe sous silence les réserves dudit CESE (notamment en termes de financement), elle vise surtout à faire oublier le camouflet subi par le ministre la semaine dernière. La communauté des acteurs de l’école, associations, parents d’élèves, maires, syndicats enseignants, tous réunis au sein du CSE, avait rejeté en bloc le projet de décret sur les rythmes scolaires : 23 votes contre, 30 abstentions, 14 refus de vote et seulement 5 voix pour. On comprend que Peillon ait préféré communiquer sur l’avis favorable du CESE, mais il y a dans le triomphalisme affiché par le ministre une manière de dédain voire de déni envers le monde de l’école et les professionnels de l’éducation, une manière de faire mine de rien qui a laissé pantois plus d’un observateur.

Dans une interview au Parisien Magazine parue hier vendredi 18, le ministre vante sa démarche, sûr de lui, affirme faire ce qu’il faut pour « améliorer les conditions de travail » des enseignants, et déclare même que depuis son arrivée, « les professeurs reprennent le contrôle de leur ministère »… Mardi, ils seront en tout cas sous ses fenêtres.

 

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