Second volet de la réforme constitutionnelle actuellement projetée, le gouvernement envisage une déchéance de la nationalité française pour les auteurs binationaux d’actes de terrorisme. Le projet prévoit ainsi la modification de l’article 34 de la Constitution donnant compétence au seul législateur pour fixer les règles concernant « la nationalité, y compris les conditions dans lesquelles une personne née française qui détient une autre nationalité peut être déchue de la nationalité française lorsqu'elle est condamnée pour un crime constituant une atteinte grave à la vie de la Nation ».
Ce ne serait ainsi donc pas la Constitution qui définirait les modalités de déchéance de nationalité, mais le législateur dans le cadre de l’exercice « courant », si l’on peut dire, de son pouvoir.
Comme le rappellent les motifs du texte que le gouvernement envisage de faire adopter, « la nationalité est, pour une personne née française, un attribut essentiel » et par là même créatrice de droits fondamentaux dont la privation par le législateur ordinaire pourrait en l’état être regardée comme une atteinte excessive et disproportionnée à ces droits qui, par suite, serait jugée inconstitutionnelle.
C’est la raison pour laquelle le gouvernement est contraint d’en passer par une réforme constitutionnelle.
Selon le projet de réforme, cette déchéance de nationalité pourra concerner une personne « née française », c’est-à-dire soit une personne née d’un parent français (règle du droit du sang), soit une personne dont l’un des parents est né en France (règle du double droit du sol), à la condition qu’elle possède une double nationalité.
Des personnes condamnées pour des faits identiques pourront donc se voir infliger un traitement différent, selon qu’elles seront titulaires d’une double nationalité ou d’une seule.
Cela porterait à mon sens atteinte au principe d’égalité prévu par la Constitution (ainsi qu’au principe de non-discrimination posé par la Convention européenne des Droits de l’homme) même si selon le Conseil d’Etat, il est possible de traiter différemment des personnes disposant d’une double nationalité et celles disposant seulement de la nationalité française.
Désireux d’éviter cet écueil ou, plus probablement, de prendre part à la course actuelle à la mesure antiterroriste la plus répressive (personne n’ayant évidemment évoqué « la plus utile »), certains hommes politiques (MM. Cambadélis et Placé notamment) envisagent d’ores et déjà de réfléchir à une déchéance de nationalité qui soit applicable à tout Français, y compris mononational.
Si la France n’a ratifié aucune convention internationale interdisant la création d’apatrides, on peut toutefois rappeler que l’article 8 de la Convention européenne des Droits de l’homme protège le droit de tout individu à avoir une vie privée et familiale normale. Or la Cour européenne des Droits de l’homme n'exclut pas qu'un refus d'octroyer une nationalité puisse, « dans certaines conditions, poser un problème sous l'angle de l'article 8 de la Convention en raison de l'impact d'un tel refus sur la vie privée de l'individu » (cf arrêt Kuric c/ Slovénie).
On peut donc aisément concevoir que le retrait de la nationalité française à un individu ne disposant que de cette nationalité puisse largement porter atteinte au droit d’avoir une vie privée et familiale normale, nonobstant la commission de crimes terroristes. La France s’exposerait donc à des décisions de la Cour européenne déclarant le droit français contraire à une convention régulièrement ratifiée par la France et directement applicable par celle-ci.
Au-delà des atteintes intrinsèques aux droits protégés par notre Constitution, on ne peut que constater que le texte prévoit d’allouer une liberté considérable au législateur à qui il appartiendra de fixer les modalités de cette déchéance de nationalité française, et notamment de déterminer les crimes « constituant une atteinte grave à la vie de la nation ». Cette dernière notion, qui n’existe nullement en droit à l’heure actuelle, paraît nimbée d’un flou artistique propice à la plus grande créativité législative, sans restreindre l’usage de la déchéance de nationalité aux infractions terroristes. Bien au contraire, « l’atteinte grave à la vie de la nation », selon la définition qu’on lui attribuerait, pourrait notamment comprendre les actes de trafic de stupéfiants (qui compromettent la santé publique et perpétuent une économie occulte), ou d’espionnage…
Cette extension de la déchéance de la nationalité française à d’autres infractions que le terrorisme a au demeurant déjà été appelée de ses vœux par M. Philippot.
Le législateur pourra également déterminer les personnes susceptibles de se voir appliquer cette mesure, au sein des condamnés binationaux. Là encore le risque d’atteinte au principe d’égalité et de discrimination est réel.
Surtout, on peut souligner que toutes ces gesticulations législatives sont toutes liées à une mesure qui n’aura aucune efficacité concrète en termes de dissuasion, et ne concernera au mieux, et pas avant un certain temps encore, qu’une poignée de condamnés. Sur le plan des principes républicains qui fondent notre démocratie, en revanche, l’affaiblissement qu’elle représentera sera conséquent.