Dans le contexte ultra-sensible de l’arrestation de M. Abdeslam et des attentats qui ont frappé la Belgique, nos politiciens semblent avoir trouvé un nouveau sujet de débat pour succéder à la déchéance de nationalité : l’instauration d’une peine de réclusion criminelle à perpétuité qui serait incompressible et irrévocable.
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet a ainsi pris l’initiative d’une pétition tendant à l’instauration d’une telle peine de réclusion, précisant par surcroît lors d’une interview que « Salah Abdeslam a 26 ans. S’il prend le maximum il peut sortir à 56 ans ».
S’il n’est pas question de faire l’injure à Mme Kosciusko-Morizet de lui rappeler la différence existant entre les verbes « pouvoir » et « devoir » (ou « être en droit de »), quelques petites précisions quant aux peines applicables notamment aux crimes liés au terrorisme ne feront pas de mal.
Actuellement, et ce ne sera un scoop pour personne, la peine la plus lourde prévue en droit français est la réclusion criminelle à perpétuité. Elle est applicable à de nombreux crimes tels que le génocide, l’assassinat, le meurtre aggravé, la séquestration ayant entraîné la mort, ou les faits de meurtres liés à une entreprise terroriste.
Lorsque cette peine est prononcée par une cour d’assises, elle est automatiquement assortie d’une période de sûreté de 18 ans. La cour d’assises peut toutefois, par décision spéciale, porter cette période de sûreté à 22 ans, voire à 30 ans lorsqu’elle sanctionne des faits de meurtres sur mineur de 15 ans précédés de viol.
En matière de terrorisme, la peine maximale applicable est donc actuellement la réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une période de sûreté de 22 ans. Il convient de noter que le législateur a récemment, dans le cadre de l’examen du projet de loi sur le terrorisme, décidé de porter la durée maximale de cette période de sûreté à 30 ans.
Il est essentiel de rappeler que la fin de la période de sûreté n’est nullement synonyme de fin de peine. A l’issue de la période de sûreté, le condamné se voit simplement accorder la possibilité de présenter une demande d’aménagement de sa peine, en particulier une demande de libération conditionnelle.
Cette demande sera examinée par un tribunal de l’application des peines (TAP) composé de trois juges de l’application des peines. Cette juridiction ne fera droit à la demande du condamné qu’après un examen approfondi de sa situation et de ses efforts de réadaptation sociale.
Il ressort des textes applicables qu’en l’état actuel du droit français, les aménagements de peine ne sont en aucun cas automatiques, en particulier pour les personnes condamnées à la réclusion criminelle à perpétuité. Si un condamné ne répond pas aux conditions posées par la loi et ne présente pas des efforts conséquents de réadaptation sociale (perspective d’embauche, d’hébergement, indemnisation des victimes, adhésion à un protocole de soins, bon comportement…), il ne pourra pas bénéficier de mesure d’aménagement de sa peine.
On peut pour exemple rappeler que Lucien Léger, condamné en 1964 à la peine de réclusion criminelle à perpétuité, n’a été libéré qu’après avoir effectué une peine de 41 ans de prison et déposé plusieurs demandes de libération conditionnelle successives.
Par conséquent et pour le dire clairement, à défaut d’aménagement de peine, la réclusion criminelle à perpétuité sera effective. Contrairement à ce que d’aucuns affirment sans manifestement se donner la peine de vérifier, des détenus vivent des décennies en cellule et y meurent.
Négligeant cet état de fait, Mme Kosciusko-Morizet et d’autres responsables politiques imaginent la création d’une « perpétuité réelle » impliquant l’interdiction absolue de tout aménagement de peine, quelle que soit la durée de la peine effectuée.
On peut toutefois se poser la question de la compatibilité d’une réclusion criminelle à perpétuité sans perspective de sortie avec la Convention européenne des droits de l’homme, en particulier son article 3 qui prohibe les traitements inhumains ou dégradants. L’absence d’espoir de sortie est ainsi considéré par la Cour européenne des droits de l’homme comme un traitement dégradant, incompatible avec la Convention dont elle veille à l’application par les Etats signataires. La possibilité française d’une grâce présidentielle paraîtrait constituer à cet égard un « espoir de sortie » bien faible au vu de son caractère discrétionnaire et parcimonieux.
Et plus pragmatiquement, bon courage à l’administration pénitentiaire pour gérer des décennies durant la détention de condamnés qui n’auraient strictement aucune raison valable de respecter quelque règle que ce soit. Vous avez dit pétaudière ?