La contrainte mise à l'épreuve

Impossible d’ignorer qu’un projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation de la peine est actuellement en discussion devant l’Assemblée Nationale, sauf à avoir passé les douze derniers jours sur le court central de Roland-Garros. Au nombre des dispositions plus ou moins contestées de ce texte, on peut citer la « contrainte pénale », nouvelle peine destinée à enrichir l’arsenal répressif, ou encore la suppression des peines plancher qui, selon ses détracteurs, contribuerait à vider les prisons françaises (ce qui, en soi, n’est pas un mauvais objectif, si l’on se réfère à Victor Hugo) et entraînerait une augmentation sans précédent de la délinquance.

On peut cependant rassurer lesdits détracteurs, au vu du contenu de ce texte, ses dispositions innovantes devant être relativisées, particulièrement celles qui entourent la création de la nouvelle peine de contrainte pénale.

La ministre de la Justice, Christiane Taubira, participe à un meeting de campagne du Parti socialiste pour les élections européennes à Lyon (Rhône), le 23 mai 2014.

Le projet de loi précise que cette peine pourrait être prononcée par le Tribunal correctionnel en répression de délits encourant une peine d’emprisonnement inférieure à cinq ans, et emporterait pour le condamné l’obligation de se soumettre, sous le contrôle du juge de l’application des peines (JAP), pendant une durée comprise entre six mois et cinq ans, à des mesures de contrôle et d’assistance ainsi qu’à des obligations et interdictions particulières destinées à prévenir la récidive en favorisant son insertion ou sa réinsertion au sein de la société, telles que :

– l’obligation de réparer le préjudice causé a à la victime, de suivre un enseignement ou une formation professionnelle, de se soumettre à des mesures de soins, de réparer les dommages causés par l’infraction, d’accomplir un stage de citoyenneté, ou l’interdiction de conduire un véhicule, d’exercer une activité impliquant un contact habituel avec les mineurs, de paraître en certains lieux, d’entrer en relation avec certaines personnes ou encore de détenir ou porter une arme ;

– l’obligation d’accomplir un travail d’intérêt général;

– l’injonction de soins.

Ces obligations seraient principalement fixées par le JAP, ainsi que par le tribunal correctionnel.

Des évaluations de la situation du condamné devraient intervenir à intervalles réguliers au cours de l’exécution de la peine, au minimum une fois par an, afin que le JAP puisse modifier, renforcer ou supprimer les obligations liées à la probation ou mettre fin à la peine de probation si celle-ci s’accomplissait depuis au moins un an.

En cas d’inobservation par la personne condamnée des mesures, obligations et interdictions qui lui seraient ainsi imposées ou de nouvelle condamnation pour un délit, le JAP pourrait renforcer l’intensité du suivi ou compléter les obligations ou interdictions auxquelles le condamné serait astreint.

En cas d’insuffisance de cette solution et de non respect de ces obligations, pourrait être mis à exécution un emprisonnement d’une durée ne pouvant excéder la moitié de la durée de la peine de contrainte pénale prononcée par le tribunal, ni le maximum de la peine encourue. Cet emprisonnement pourrait s’exécuter sous le régime de la semi-liberté, du placement à l’extérieur ou de la surveillance électronique.

Ainsi une personne condamnée à une contrainte pénale pour une durée de deux ans pourrait-elle être incarcérée pour une durée maximum d’un an si elle ne respectait pas les obligations imposées.

Minute.

Si vous avez déjà eu, pour une raison ou une autre, l’occasion d’approcher la justice pénale française, vous devez être en train d’éprouver un sentiment diffus de déjà-vu, non ?

La mesure en cause apparaît très intéressante sur le papier, en ce qu’elle permettrait notamment de contraindre le condamné à respecter certaines obligations afin de favoriser son insertion ou sa réinsertion, sous la menace de la mise à exécution d’une peine. Intéressante au poins d'avoir déjà été inventée, même : une mesure très proche (voire identique) existe déjà depuis longtemps dans le Code pénal, à savoir la peine d’emprisonnement assortie d’un sursis avec mise à l’épreuve, prévue par les articles 132-40 et suivants.

Cette peine, qui peut être prononcée tant par les tribunaux correctionnels que par les cours d’assises et les juridictions pour mineurs sans distinction de nature d’infraction (même pour les plus graves tels que meurtres, viols ou trafic de stupéfiants), permet qu’il soit sursis à l’emprisonnement (d’un maximum de cinq ans) en imposant au condamné un certain nombre de mesures de contrôle et d’obligations, parmi lesquelles :

-          Exercer une activité professionnelle ou suivre un enseignement ou une formation professionnelle ;

-          Etablir sa résidence en un lieu déterminé ;

-          Se soumettre à des mesures d'examen médical, de traitement ou de soins, même sous le régime de l'hospitalisation.

-          Réparer en tout ou partie, en fonction de ses facultés contributives, les dommages causés par l'infraction, même en l'absence de décision sur l'action civile ;

-          Ne pas se livrer à l'activité dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de laquelle l'infraction a été commise ou ne pas exercer une activité impliquant un contact habituel avec des mineurs ;

-          S'abstenir de paraître en tout lieu, toute catégorie de lieux ou toute zone spécialement désignés…

Un contrôle du respect des obligations imposées au condamné est effectué par le service pénitentiaire d’insertion et de probation ainsi que par le JAP, ce dernier pouvant révoquer totalement ou partiellement le sursis encouru en cas de non respect des mesures imposées ou de réitération d’infraction.

Ainsi une personne condamnée à une peine d’emprisonnement d’un an assortie d’un sursis avec mise à l’épreuve qui ne respecte pas les obligations mises à sa charge… peut être incarcérée pour une durée… d’un an. Ou moins.

Il semble donc que ce projet de loi vise à créer une peine qui dans la pratique existe déjà à quelques détails près dans les dispositions légales applicables (notamment la durée de la mise à l’épreuve, qui peut s’étendre jusqu’à trois ans là où la contrainte pourrait en durer cinq, ou la périodicité du réexamen de la situation du condamné).

Si l’on peut regretter que dans le cadre de la mise en œuvre des sursis avec mise à l’épreuve les contrôles soient insuffisants, c’est principalement en raison d’un manque chronique de moyens qui fait qu’un condamné ne sera parfois convoqué par un conseiller de probation que plusieurs mois après le jugement. Cette indigence de moyens s’était cruellement révélée au public dans le cadre du meurtre de la jeune Laëtitia par Tony Meilhon, probationnaire dont le suivi n’avait pu être mis en œuvre, en 2011.

Les mêmes personnels intervenant dans le cadre de la contrainte pénale, la situation ne saurait être différente, dès lors qu’ils ne se verraient pas accorder des moyens supplémentaires pour mener à bien leurs missions. Et si l’on souhaite précisément octroyer aux services chargés de l’application des peines des moyens plus importants, nul besoin de les justifier par l’adoption en grande pompe d’une « nouvelle » peine : autant les consacrer directement à la mise en œuvre et au suivi des mesures déjà existantes.

En prenant connaissance des débats qui se déroulent à l’Assemblée nationale (et accessoirement dans la presse), j’avoue avoir du mal à comprendre comment, d’une part, le gouvernement peut de façon crédible tenter de démontrer le caractère révolutionnaire de cette mesure qui existe déjà ? Et, d’autre part, pourquoi l’opposition s’indigne-t-elle de l’éventuelle adoption d’une telle mesure, fort subtilement qualifiée par M. Fenech, député, de « câlinothérapie pour les candidats au djihad » ( ?), dont l’avatar en vigueur existe sans contestation aucune et dont l’efficacité a déjà été démontrée ?

Visiblement, la politique a ses raisons que la raison ne comprend pas. La mienne, en tout cas. Mais je suis toute prête à être éclairée.