Décidément, il y a de tout dans ce projet de loi santé : du tabac, des mannequins trop maigres, du tiers payant généralisé ou du prélèvement d’organes.
Concernant ce dernier point, un amendement a été adopté par l’Assemblée nationale et qui, selon certains commentateurs, permettrait au corps médical de procéder à un prélèvement d’organe(s) à des fins thérapeutiques dès lors que le défunt n’aurait pas expressément fait part de son refus. Un système de prélèvement d’organes automatique, avec un consentement présumé, prévaudrait donc à compter de l’entrée en vigueur de ce texte et constituerait une sacrée nouveauté, puisque ce système s’applique déjà depuis… 2004.
En effet, l’article L. 1231-1 du code de la santé publique est actuellement rédigé en ces termes :
« Le prélèvement d'organes sur une personne dont la mort a été dûment constatée ne peut être effectué qu'à des fins thérapeutiques ou scientifiques.
Ce prélèvement peut être pratiqué dès lors que la personne n'a pas fait connaître, de son vivant, son refus d'un tel prélèvement. Ce refus peut être exprimé par tout moyen, notamment par l'inscription sur un registre national automatisé prévu à cet effet. Il est révocable à tout moment.
Si le médecin n'a pas directement connaissance de la volonté du défunt, il doit s'efforcer de recueillir auprès des proches l'opposition au don d'organes éventuellement exprimée de son vivant par le défunt, par tout moyen, et il les informe de la finalité des prélèvements envisagés.
Les proches sont informés de leur droit à connaître les prélèvements effectués.
L'Agence de la biomédecine est avisée, préalablement à sa réalisation, de tout prélèvement à fins thérapeutiques ou à fins scientifiques. »
Ce texte, après avoir subi les modifications actuellement discutées, devrait être ainsi rédigé :
«Le prélèvement d'organes sur une personne dont la mort a été dûment constatée ne peut être effectué qu'à des fins thérapeutiques ou scientifiques.
« Le médecin informe les proches du défunt, préalablement au prélèvement envisagé, de sa nature et de sa finalité, conformément aux bonnes pratiques arrêtées par le ministre chargé de la santé sur proposition de l’agence de la biomédecine.
« Ce prélèvement peut être pratiqué sur une personne majeure dès lors qu’elle n’a pas fait connaître, de son vivant, son refus d’un tel prélèvement, principalement par l’inscription sur un registre national automatisé prévu à cet effet. Ce refus est révocable à tout moment.
« L'Agence de la biomédecine est avisée, préalablement à sa réalisation, de tout prélèvement à fins thérapeutiques ou à fins scientifiques. »
En comparant les deux textes, on peut constater que le principe demeure le même : le défunt est présumé avoir accepté qu’il soit procédé à des prélèvements d’organes, à moins que son refus à cet égard n’ait été exprimé de son vivant.
La différence essentielle résulte dans les modalités de l’expression d’un tel refus puisque dans la version encore actuellement en vigueur, en l’absence de connaissance des intentions du défunt, le médecin doit les rechercher auprès de ses proches.
La future version du texte supprime cette référence à la famille, précisant que le refus peut résulter « principalement par l’inscription sur un registre national » sans autre précision, l’adverbe principalement ouvrant la possibilité d’autres hypothèses sans que celles-ci ne soient formulées dans le texte.
L’amendement parlementaire modifie néanmoins un autre texte du même code qui précise que « les modalités selon lesquelles le refus (de prélèvement) peut être exprimé et révoqué ainsi que les conditions dans lesquelles le public et les usagers du système de santé sont informés de ces modalités » seront déterminées par décret.
Le législateur abandonne ainsi son pouvoir de définition des textes législatifs au profit du gouvernement qui aura donc toute latitude pour complexifier à loisir les modalités d’expression du refus et, par exemple, rendre inefficace un refus transmis à des proches. On pourrait donc imaginer une situation où le défunt aurait informé sans équivoque sa famille de son refus de prélèvement mais sans respecter les formalités prévues par le décret : les proches ne pourraient dès lors que voir procéder à des actes sur le corps, en violation de ce qu’ils sauraient être sa volonté.
Du moins peut-on l’imaginer sur le papier : en pratique, j’ai du mal à concevoir, quelles que soient les normes réglementaires en vigueur, qu’une équipe médicale de prélèvement vienne littéralement disputer les restes d’un disparu à ses proches sur son lit de mort. Ne serait-ce que parce que cela me paraît humainement, émotionnellement ingérable.
(PS : pendant que j’y suis, j’en profite pour préciser à qui de droit qu’en ce qui me concerne, je suis d’accord pour que l’on me prélève tout ce qui pourra servir à greffer quelqu’un vu que là où j’irai, je n’en aurai plus besoin. Vous n’aurez qu’à ressortir les archives du blog pour certifier mon accord.)