Les députés ont adopté définitivement aujourd'hui le projet de loi visant à renforcer la lutte contre la prostitution. Au-delà des mesures d’accompagnement social des prostitué(e)s, les dispositions phares de la loi concernent la pénalisation de leurs clients et l’abrogation du délit de racolage. Si l’objectif du législateur peut paraître louable (ou disons, défendable), il est à craindre qu'il n'améliore nullement la situation concrète de celles et ceux qu'il entend protéger.
Je m’explique.
Le législateur ordonne donc l’abrogation du délit de racolage. Cette infraction, prévue par l’article 225-10-1 du code pénal sanctionnait d’une peine d’emprisonnement de 2 mois et d’une amende de 3.750 € « le fait, par tout moyen, y compris par une attitude même passive, de procéder publiquement au racolage d'autrui en vue de l'inciter à des relations sexuelles en échange d'une rémunération ou d'une promesse de rémunération ». Du fait de l’abrogation, les prostitué(e)s ne pourront plus être sanctionné(e)s pour avoir procédé au racolage d’un client, même actif.
Cette abrogation ne risque pas de changer la face de l'activité pénale française, dans la mesure où ce délit n'était pour ainsi dire jamais poursuivi en pratique - et d'un point de vue moral, je considère que c'est heureux.
Les parlementaires ont parallèlement décidé de pénaliser le client faisant appel aux services d'un(e) prostitué(e) en ajoutant au code pénal un article 611-1 qui sera rédigé ainsi : « Le fait de solliciter, d’accepter ou d’obtenir des relations de nature sexuelle d’une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, en échange d’une rémunération, d’une promesse de rémunération, de la fourniture d’un avantage en nature ou de la promesse d’un tel avantage est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe » soit une amende de 1.500 €.
La solution semble donc parfaite puisque les prostituées ne sont plus sanctionnées pénalement, seuls les clients le sont. Dans l'absolu, tarir le flux de clients aboutirait à faire disparaître la prostitution et surtout ceux qui en vivent à peu de frais, les proxénètes.
Il me semble cependant que le législateur a négligé les règles de la complicité,fixées par l’article 121-7 du code pénal, qui prévoit qu’est notamment complice « la personne qui par don, promesse, menace, ordre, abus d'autorité ou de pouvoir aura provoqué à une infraction ou donné des instructions pour la commettre ».
Ce cas de complicité serait parfaitement applicable à la contravention sanctionnant le client d’un(e) prostitué(e). On peut ainsi imaginer un(e) prostitué(e), racolant un client de façon active en lui proposant des faveurs sexuelles, se rendant ainsi complice de l’infraction applicable au client, et donc susceptible d’être sanctionné(e) comme l’auteur principal de cette contravention.
Même si j’imagine que la complicité sera rarement retenue en pratique, elle n’est en aucun cas exclue par le texte voté par les députés.
Au demeurant, je doute que la répression des clients des prostitué(e)s constitue un objectif prioritaire en termes de politique pénale. La police n'a pas les moyens de mettre un planton derrière chaque péripatéticien(ne) et a actuellement d'autres chats à fouetter. Les tribunaux sont suffisamment engorgés pour ne pas les approvisionner en nouveaux contentieux. Les prostitué(e)s n'ont, me semble-t-il, jamais appelé de leurs voeux pareille disposition pénale qui n'aboutira, au mieux, qu'à effrayer quelques-uns des clients des professionnel(le)s les moins fortuné(e)s, ceux qui font le trottoir au sens propre, rabattant plutôt la clientèle vers les réseaux offerts par le net. Quant aux citoyens, ont-ils davantage qu'un haussement d'épaule à consacrer à l'idée que quiconque recoure aux services particuliers d'un(e) prostitué(e) ?
On ne pourra jamais réussir à faire entrer l'ensemble des comportements humains, même les pas très propres, pas très avouables et pas très défendables, dans le code pénal. Mais on ne pourra certes pas reprocher à notre législateur de ne pas avoir essayé.