Qui a gagné la bataille de la communication autour de la crise grecque ? François Hollande fait-il la com' de sa com' ? (magie des abréviations). Nicolas Sarkozy est-il en train de développer sur stratégie de diplomatie "bis" en rencontrant le Président tunisien ? Que penser de ses photos à vélo en plein Tour de France ? Ces questions, nous nous les posons à longueur d'articles, en cherchant à décrypter les moindres attitudes et postures, en nous interrogeant sur l'impact que les déclarations des politiques auront ou non sur la sacro-sainte "opinion publique". Que disons-nous sur le fond ? Absolument rien. Où est la politique ? Parfaitement nulle part. Dans mon billet intitulé "Nul en com' ou trop de com' : finalement, à quoi sert la communication ?" j'avais évoqué ce point en m'appuyant sur les propos très justes de Jean-Pierre Le Goff, écrivain et sociologue :
"La compétence ou l'incompétence dans le cynisme politicien, telle semble être le nouveau critère pour évaluer la politique dans l'«essoreuse à idées» des grands médias audio-visuels et de nombre d'entreprises de conseils et de communication"
Hors sol, déconnecté de la réalité, ce métier "parasite", appelé par certains "métier à la con", est aujourd'hui accusé d'avoir hautement aggravé la déliquescence du politique. La communication serait-elle devenue l'alpha et l'omega, résumant et définissant à elle seule l'action politique ? Nul doute. A force de média training et d'éléments de langage policés, les communicants ont contribué à l'aseptisation de la vie des idées politiques. Les agences se ressemblent, leurs communicants aussi. Même écoles, même parcours, même clients. Exit l'originalité, place à la sécurité, le convenu, l'attendu. Certes, les agences se "digitalisent" mais ne vous y trompez pas : à coups de "big idea" et autre "brand activations" elles sapent toute créativité et matière à penser. Désormais on mesure les KPI's des politiques, comme ceux des autres clients. Mieux, on les met en scène dans des reportages dédiés au nouvel eldorado publicitaire : la "communication digitale". Par ricochet, la langue des politiques s'est tue. Vidée de son sens, elle ne dit plus rien. A personne. Et malgré tout, nous continuerons de tout analyser, tel Sisyphe arc-bouté sur son rocher.
Evidemment, la maîtrise de la communication est essentielle pour faire passer un message dans le flot continu des images cathodiques. Evidemment. Mais à commenter "l'écume" des choses, sur laquelle tout et son contraire ont déjà été dit, on en oublierait presque qu'un communicant est là, d'abord et avant tout, pour mettre en avant des idées, révéler des aspérités, défendre des points de vue politiques (j'ose le mot) sur l'avenir de la société. A quel moment, très exactement, la politique est-elle devenue une ineptie ? A quel moment, les philosophes et autres intellectuels sont-ils devenus des parias ? Prenons du recul. Observons les réactions. L'une des seules visions réellement "politique" à l'heure actuelle est portée par... le Pape François. Un comble. Oui, le Pape, lui qui en appelle à la responsabilité des européens pour ne pas traiter les migrants comme des marchandises, lui qui a tendu la main en Bolivie, aux mouvements alternatifs, syndicaux et associatifs du «monde populaire». Pour reprendre les propos de Christian Salmon, auxquels je souscris en tout point, développés dans un article de Médiapart datant de 2013, la faute n'est donc pas imputable seulement et uniquement à la communication :
"L’impasse narrative du pouvoir socialiste n’est donc pas réductible à un défaut de com’, comme s’acharne à nous en convaincre la cohorte bavarde des décodeurs, des décrypteurs. C’est le fruit d’une déconnexion historique entre la souveraineté de l’Etat et la représentation du pouvoir. D’un côté une bureaucratie anonyme, de l’autre des hommes politiques désarmés. D’un côté des décisions sans visage, de l’autre des visages impuissants. Résultat : l’action est perçue comme illégitime et la parole publique a perdu toute crédibilité."
Et la crise grecque est là pour nous le rappeler tous les jours douloureusement. Mitterrand, malin comme un singe l'avait prédit pourtant : « Je suis le dernier des grands présidents... Enfin, je veux dire, le dernier dans la lignée de De Gaulle. Après moi, il n'y en aura plus d'autres en France (...) A cause de l'Europe... A cause de la mondialisation... A cause de l'évolution nécessaire des institutions. Après moi, il n'y aura que des comptables. » Dans une société de plus en plus en plus traversée par des dynamiques horizontales, gouvernée par les institutions non élues et cravachée par des organismes financiers, l'archaïsme de la cinquième république se fait de plus en plus criant. Crépuscule, j'écris ton nom. Mais, il faut sans doute "porter du chaos en soi pour accoucher d'une étoile qui danse" comme le rappelle Nietzsche.
Alors, certes, cet article ne sera pas beaucoup partagé par les communicants : clients obligent, il ne faut jamais se mettre à dos la main qui nous nourrit. Mais qu'à cela ne tienne, soyons iconoclastes. Peu m'importe si tout cela est pris pour une forme de bravache sans fond. "Etre dans le vent, c'est l'ambition d'une feuille morte" disait Gustave Thibon. Au risque de déplaire : moi communicante, je ferai mon job si les politiques font le leur.
Anne-Claire Ruel
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