"Le gouvernement Ayrault était nul en com'", le voilà décrié. "Manuel Valls fait trop de com'", voilà qu'on le dénonce. Accusés de creuser plus encore le fossé entre le peuple et les dirigeants, les spin doctors ont mauvaise presse au sein de l'opinion. Au point de se demander s'il ne sont pas devenus aussi détestés que les traders autrefois. Aujourd'hui, il ne fait pas bon être "conseiller en communication". Plongé dans ce contexte délétère, on serait tenté de poser une question un tant soit peu provocatrice : finalement, à quoi sert la communication ?
La communication, ce "métier à la con"
" Les Français s'attendaient à un plan de bataille, ils ont eu un plan de com' " répétait à l'envi Jean-François Copé suite au discours de politique générale de Manuel Valls. Critique quelque peu culottée. Tout le monde comprend aisément que cette petite phrase, ayant pour but de vilipender la com' du nouveau premier ministre, est très précisément un élément de langage. Son essence même est d'être déclinée, répétée, assénée jusqu'à ce que les médias interpelés s'en emparent. "Couacs", "erreurs de com' ", "problème de communication"... les décrypteurs aux aguets les commentent à longueur de plateaux télés. Comme si la communication était devenue l'alpha et l'omega, résumant et définissant à elle seule l'action politique.
"La compétence ou l'incompétence dans le cynisme politicien, telle semble être le nouveau critère pour évaluer la politique dans l'«essoreuse à idées» des grands médias audio-visuels et de nombre d'entreprises de conseils et de communication" s'indigne Jean-Pierre Le Goff, écrivain et sociologue.
Hors sol, déconnecté de la réalité, ce métier "parasite", appelé par certains "métier à la con", est aujourd'hui accusé d'avoir hautement aggravé la déliquescence du politique. Porte-plume de ce "vivre ensemble" mis à mal, le rappeur Orelsan, dans son titre phare "Suicide social", revient sur l'intolérance de notre société malade, où l'incompréhension et les clivages règnent entre corporatismes :
"Tous ces connards dans la pub, dans la finance
Dans la com', dans la télé, dans la musique, dans la mode
Ces parisiens, jamais content, médisants
Faussement cultivés, à peine intelligent"
Si vous ajoutez à cela la novlangue qui la caractérise, héritage des années 80, symbole de "l'ère du vide" des années "frics", la communication -matinée de marketing publicitaire sur fond de "pensée power point"- ne semble plus parler qu'à elle-même. Et les agences de publicité ne sont pas dupes. Dans un petit spot datant du début des années 2000, l'une d'entre elles, décrit le métier de ces communicants -slash- publicitaires, non sans cynisme : "Dans la publicité, on dit qu'on travaille dans la com'. Mais dans la com', on ne dit rien".
Pour autant, la communication est-elle assimilable à de la publicité ou du marketing ? Non, bien évidemment. En revanche, derrière ce mot-valise, insipide et galvaudé, des dizaines de métiers différents se cachent. Ils n'ont pourtant rien en commun. La preuve ? La communication nécessite en permanence d'être qualifiée. On parle de communication de "crise" pour la gestion des risques, de communication "corporate" pour l'image des entreprises, de communication "politique" pour les affaires publiques... Je passe le florilège des nouveaux métiers liés au numérique.
"Faire de la pédagogie", ce mantra de communicants
Bien sûr, communiquer est essentiel pour être entendu dans ce flot continu de messages cathodiques. Non pour se formater, mais bien au contraire, pour révéler ses aspérités et tenter de faire passer son message singulier. "La forme c'est le fond qui remonte à la surface" disait Victor Hugo. Seul problème, la langue des politiques et des entreprises, façonnée à force de mediatraining par les communicants s'est vidée de son sens. Elle ne dit plus rien. Faire de la "pédagogie", ce mantra de conseiller en communication, revient à infantiliser une fois de plus l'opinion. Ce n'est pas tant que les explications manquent, c'est surtout l'absence de vision qui fait aujourd'hui cruellement défaut.
S'il faut penser en politiques et agir en communicants, jamais l'inverse, pour certains, la communication est aujourd'hui intrinsèquement liée à l'action. Bille en tête, Manuel Valls. Il s'en explique le 4 avril en marge du premier conseil des ministres, comme le rappelle Le Monde :
« Dans nos démocraties modernes, la communication n'est pas un vain mot. Elle est le véhicule de l'action, de la réforme au service de l'intérêt général. L'action politique doit donc être conduite dans une parfaite intégration des contraintes de la communication. A l'heure des chaînes d'information continue et des réseaux sociaux, maîtriser le message adressé aux Français demande le plus grand professionnalisme. Les ministres y veilleront, et il m'appartiendra de coordonner et de valider la communication gouvernementale. »
Pour lui, la communication doit être "performative", au sens de John Austin. Dans son ouvrage "Quand dire c'est faire", le philosophe explique que produire l'énonciation c'est exécuter l'action. Que Manuel Valls soit un professionnel de la communication, qu'il s'adresse directement à tous les Français, tout le monde le reconnaît, et c'est effectivement essentiel. Mais le problème est ailleurs. Abyssal. Il tient en quelques mots : le dialogue est rompu avec l'opinion.
A l'heure des réseaux sociaux, la communication des entreprises et des dirigeants ne peut plus être descendante et donc infantilisante. Un dialogue nourri et continu doit s'engager. Les rôles d'émetteur et de récepteur doivent se confondre pour devenir interchangeables. Les règles dévolues au dialogue énumérées par Platon nécessitent d'être réhabilitées à l'aune de notre agora numérique : écouter, accepter l’objection, ne pas se contredire, être prêt à reconnaître ses erreurs... Du bon sens, en somme. Plus vivante, moins dogmatique, cette nouvelle forme de dialogue implique un partage d'idées plus qu'une simple démonstration pédagogique.
Alors enfin, la communication servira peut-être l'action.
Anne-Claire Ruel
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