Européennes 2014 : le FN pourra-t-il doubler son meilleur score de 1989 ? Pour les sondages c’est oui, pour ElectionScope ce n’est pas si sûr.

Les Européennes, des élections difficiles à Prévoir

Contrairement à d’autres types d’élections, pour le modèle statistique « politico-économique» ElectionScope la prévision des élections européennes n’est pas aisée.

Plusieurs facteurs peuvent affecter la stabilité du modèle, parmi lesquels :

  • L’instabilité des coalitions (RPR-UDF ou UMP-Centre droit-CPNT, PS-Radicaux de gauche-Chevènementistes) et des dissidences d’une élection à l’autre,
  • La présence de courants « europhiles » et « europhobes » au sein d’un même parti,
  •  Le caractère « défouloir »  de cette élection souvent détournée de son objet véritable (l’élection des parlementaires européens),
  • La nature d’élection « intermédiaire » -selon sa place dans le cycle des échéances nationales- propice à la sanction de l’équipe au pouvoir
  •  La volatilité du vote de certains territoires, tour à tour « europhiles » puis « europhobes » (ou l’inverse) selon l’évolution de leur santé économique ou l’avancée dans les étapes de l’Union Européenne (traités, referenda, etc.).

C’est ainsi qu’en 1994, il était difficile de prévoir la percée de la liste Energie radicale de Bernard Tapie ou bien celle de Philippe de Villiers (MPF). L’impact électoral de ces candidatures sur les grandes formations de gouvernement était encore plus difficile à anticiper. En 1999, les verts mordent contre toute attente sur le PS. A droite, l’alliance Pasqua-de Villiers (MPF-RPF) dépasse la liste Sarkozy-Madelin. Pendant ce temps, le FN s’écroule suite à la rupture Le Pen-Mégret. En 2009, le FN s’écroule à nouveau, après un retour marqué avec 9.8% des voix en 2004. Cette même année 2009, les écologistes d’EELV de Daniel Cohn-Bendit parviennent à faire jeu égal avec le PS. Le PS sortait certes en mauvais état du congrès de Reims, mais qui aurait pu prévoir un tel effondrement trois semaines auparavant ?

La prévision des Européennes, quelques mots sur la méthodologie

En dépit de ces difficultés, nous proposons ici, en exclusivité pour le site web de Francetv info les prévisions en voix pour 9 familles politiques, issues du modèle politico-économique ElectionScope en données régionales construit sur la période 1979-2009.

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Les voix obtenues  par les grands partis de gouvernement (RPR-UDF puis UMP et PS) sont expliquées la variation du taux de chômage (entraînant un coût électoral s’il monte, et un gain s’il baisse ) dans le semestre précédant l’élection, les voix obtenues à la présidentielle précédente, la popularité du chef de l’Etat (3 mois avant l’échéance), les zones de force régionales des partis et, différentes variables reflétant les caractéristiques et évènements politiques de la période 1979-2009.

Les voix obtenues par les centristes (UDF, MODEM, UDI), lorsqu’ils font cavalier seul, sont expliquées par le vote à la présidentielle passée et leurs zones de force régionales. La variation du chômage n’a pas d’influence sur les voix centristes, que ces derniers appartiennent ou non au gouvernement.

Le vote en faveur du Front National (FN) et de l’extrême droite est expliqué par les mêmes variables que précédemment, auxquelles on a ajouté l’impact de la concurrence des formations souverainistes de droite (MPF, RPF, CPNT, Debout la République, Libertas). A noter que le FN tire avantage de chaque hausse du chômage.

Le vote souverainiste de droite est expliqué par les mêmes variables. Le vote écologiste, en dehors des variables lourdes de base (présidentielle, variation du chômage, fiefs électoraux, popularité de l’exécutif) est encore expliqué par un facteur symbolisant l’union ou la désunion de la mouvance verte aux européennes et une autre indiquant sa présence au gouvernement.

Le parti communiste (PCF-Front de Gauche) est expliqué par la variation du chômage (dont il bénéficie lorsqu’il monte), la présidentielle et une variable indiquant les régions ayant un penchant « europhobe » (ayant massivement dit « non » en 1992 et 2005) et ses principaux fiefs électoraux. Le vote pour l’extrême gauche est construit de la même manière mais ne comprend pas la variable « régions europhobes ».

Après – la cuisine statistique – consistant à estimer simultanément les coefficients de toutes les variables explicatives du vote- sur 1979-2009, pour les 9 familles politiques, on peut alors procéder à la simulation de l’élection de mai 2014.

 

La prévision politico-économique ElectionScope des européennes de mai 2014 : l’UMP devance le PS et le FN

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A l’échelon national (figure 1), la prévision politico-économique indique que l’UMP arriverait en tête avec 24% des voix devant le PS à 22% et le FN à 16%. L’UDI-MoDem, qui se présente indépendamment de l’UMP, arrive en troisième position avec 10,5% des voix devant le Front de gauche et le PCF (9%) et EELV (7,5%). Viennent ensuite les souverainistes à 5% (Debout la République et DVD) devant l’extrême gauche (3%) et les divers gauche (3%).

Dans les  circonscriptions interrégionales (figures 2 à 8), l’UMP devance le PS et le FN dans l’Ouest, l’Est, le Massif Central Centre, le Sud Est et en Ile de France. Le PS devance l’UMP et le FN dans le Nord Ouest et dans le Sud Ouest.

Le FN réalise ses meilleurs scores dans le Nord Ouest (18,1%), l’Est (18%) et le Sud Est (17,1%). Il approche son score national dans le Sud Ouest et le Massif Central Centre (16%). Enfin, il réalise ses moins bons scores dans l’Ouest (13,5%) et en Ile de France (12,2%).

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Comment juger les prévisions ElectionScope à l’aune des trajectoires électorales passées et des scores estimés par les instituts de sondage ?

 La prévision à l’aune des trajectoires électorales passées

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En observant le score droite-gauche au sens large depuis 1979 (figure 9), on montre qu’hormis en 1979, la droite a toujours dominé la gauche avec un point haut en 1984 (57,16%) et un point bas en 2009 (49,9%). Les meilleurs scores sont bien entendu obtenus en position d’opposant. Sur des critères identiques notre prévision donne 56% à la droite lato sensu (soit son second meilleur score après 1984) contre 44% à la gauche (soit son second plus mauvais score depuis 1984).

 Cependant, cette tendance globale mérite d’être analysée en séparant la droite classique du FN au sein du bloc de droite(figure 10). Sous cette hypothèse, exception faite de 1984 lors de l’alliance entre Bernard Pons et Simone Veil, la gauche totale a  toujours dominé la droite classique aux Européennes. De son côté, de 1984 à 2004, le FN (+MNR en 1999) a oscillé autour de la barre des 10%. En 2009, il tombe à 6,85% des voix après avoir réalisé de mauvais scores à la présidentielle et aux législatives de 2007.

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Contrairement à certaines idées reçues, les Européennes n’ont jusqu’ici jamais été une élection favorable au Front National, contrairement à la présidentielle. Néanmoins, notre simulation lui accorde 16% des voix, soit un bond de 9 points par rapport à 2009 et 6 points par rapport à 2004.

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Enfin dernier constat, si l’on classe les partis en deux blocs (figure 11) « europhobes » (RPR et CNI en 1979, FN, Ext. Droite, MPF, RPF, Chevènementistes du MDC, Parti communiste et Front de gauche, extrême gauche, Chasseurs-pêcheurs, Debout la République) et « europhiles » (PS, MRG-PRG, UDF, MODEM, UDI, UMP, RPR de 1984 à 2004 en partie), on observe que les europhobes n’ont jamais été majoritaires en voix, ils ont dépassé 39% des voix en 1979, 1994 et 1999, à chaque fois que l’intégration européenne franchissait un nouveau pallier. Notre prévision montre à cet égard un possible sursaut des « europhobes » autour de 33% des voix en 2014. Ce qui témoignerait d’une incertitude notoire quant à la forme future de l’Europe (plus fédérale avec plus d’abandon de souveraineté, retour à l’Europe des nations, Europe à plusieurs vitesses, élargie à plus de pays ou au contraire, retour aux « 6 », etc.) et quant à son mode de fonctionnement actuel (éloignement des citoyens, déficit démocratique, excès de bureaucratie, convergence des économies en panne, etc.).

Nos résultats divergent toutefois de la moyenne des instituts de sondage.

La prévision comparée aux estimations des sondages

Nous avons retenus les derniers sondages publiés par chacun des 6 grands instituts. L’extrême gauche ressort en moyenne à 4,33% contre 3 pour notre modèle ElectionScope. Le PCF allié au FG obtiendrait en moyenne 7,42%. Le PS ne dépasserait pas en moyenne 18,5%. Et les verts seraient à 7%. L’alliance MoDem-Udi recevrait 9,33% contre 22,75% pour l’UMP en moyenne. Les souverainistes et autres divers droite récolteraient 4,75%. Le FN pourrait atteindre jusqu’à 22,67% en moyenne. Pour trois instituts il y a 3% en moyenne classés "autres".

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 Les sondages sous-estiment-ils le PS ?

Deux cas surprennent plus particulièrement lorsque l’on compare la tendance moyenne des sondages avec les résultats du modèle ElectionScope (figure 1 bis). Il s’agit, tout d’abord une sous-estimation du PS par les sondages, qui sont en moyenne 3,5 points en deçà du modèle. Certains instituts ne donnant que 17% au parti de la majorité. Mais peut-être est-ce parce qu’elle a été récemment fragilisée, aux municipales et aussi à l’Assemblée Nationale? Ajoutons aussi, que le bloc de gauche tel qu’estimé ici par la moyenne des sondages serait à un niveau jamais atteint avec 37,25%. Jusqu’à présent le plus bas réalisé par la gauche a été de 39,12% en 1984.

Un FN à 24% selon les sondages c’est deux fois son meilleur score aux européennes

L’autre grande différence concerne le FN, pour lequel les sondages annoncent régulièrement une victoire allant jusqu’à une arrivée en tête. Il est ainsi crédité de 24% chez les instituts les plus généreux contre 16% seulement pour le modèle. « Seulement » ? C’est discutable, car comparé à son  meilleur qui fut de 11,73% en 1989, c’est déjà une progression de quatre points. Pourrait-il faire plus et doubler son score ? Au détriment de quel parti ? Le PS pourrait être la victime « collatérale ». Mais il faudrait pouvoir observer dans ce cas des comportements de vote comparables à ceux constatés lors de la législative de villeneuve-sur-lot ou la municipale de Henin Beaumont. Il y a eu simultanément percée du FN et écroulement du PS. Mais est-ce transposable au niveau national ?

 

Que retirer de la comparaison de la prévision ElectionScope et des sondages ?

Le modèle Electionscope est fondé sur des comportements de vote moyens depuis 1979. Jusqu’à présent, en France, les sortants sont sanctionnés aux Européennes lorsque la situation économique se dégrade, lorsque l’intégration européenne franchit une nouvelle étape (par exemple après le traité d’Amsterdam et avant le passage à l’Euro) et/ou lorsqu’un changement de majorité se profile. Par ailleurs, les Européennes ont toujours été « difficiles » pour le FN.

Or en 2014, si le FN réalise un score supérieur à 20% et parvient à se hisser en tête (n’oublions pas que l’UMP et l’UDI font la course séparée ce qui divise les voix de la droite modérée), nous serons dans quelque chose d’exceptionnel et dans un cas de « vote défouloir ». Les français n’accordent en effet pas la même importance aux Européennes et à la présidentielle en termes d’enjeu.

Et le PS serait ainsi la victime collatérale d’un vote de colère totalement détourné de sa finalité européenne. Il y aurait là une résurgence de la victoire du non au référendum de 2005. On se souvient qu’il fut plus un vote de rejet, contre le système des partis et pas vraiment un vote anti-européen.

Quels enseignements devront tirer majorité et opposition s’il s’avère qu’elles puissent être devancées par le FN ? Faudra-t-il accorder crédit à ceux qui réclament une dissolution ? Ou, plus sérieusement, les partis en déduiront-ils,  que partir désuni en 2017 pourrait être une erreur fatale.