L’Illustration, Verdun par ceux qui l’ont vécu, édition établie par Jean-Louis Festjens, ed. Michel Lafon
Jean-Sébastien Baschet, patron de l’Illstration.com, et son compère Jean-Louis Festjens, récidivent avec ce nouveau beau livre d’une série entamée en 2014. (Voir par exemple https://blog.francetvinfo.fr/editions-speciales-les-coulisses/2015/11/10/les-autos-de-lillustration.html)
Le principe est toujours le même : rassembler dans un ouvrage les meilleurs textes, dessins et photos de l’Illustration sur un thème donné, en l’occurrence Verdun. Certaines images sont mises en couleur. D'autres étaient déjà publiées en couleur à l'époque.
L’Illustration était l’un des journaux les plus puissants au monde, inventeur du journalisme moderne, fondé sur la vérification des faits sur le terrain, de la recherche de sources brutes.
Pour relater la bataille, les reporters de l’Illustration la suivent jour après jour en permanence en se relayant au plus près du front. Bien-sûr, la loi sur la censure concerne ce titre comme les autres, mais on est frappé de voir que, malgré tout, le public savait, ou pouvait deviner, l’essentiel.
D’abord, la dévastation du paysage définitivement remodelé par les obus. L’armée comme l’Etat avaient besoin de développer le mythe de Verdun en même temps que se déroulait la bataille. Un "storytelling" avant l'heure (voir https://blog.francetvinfo.fr/editions-speciales-les-coulisses/2016/02/07/les-livres-de-la-speciale-apocalypse-verdun-1-verdun-1916.html) Mais comment magnifier les héros sans laisser voir leur souffrance ? C’est certainement ce dilemme qui a amené la censure à autoriser la publication non seulement du paysage apocalyptique, mais aussi de nombreux blessés,
et même, fait très rare, de morts français.
Vis à vis des autorités, L’Illustration flirtait en permanence avec la limite, sans pour autant perdre ses accents patriotiques, voire cocardiers. « Un journaliste de l’Illustration, Gustave Babin, reçoit la grand-croix de la légion d’honneur sur citation du maréchal Foch en 1919», écrit Jean-Sébastien Baschet dans sa préface, « sur ces paroles : « Vous avez soutenu ardemment le moral des armées, or si (…) les civils n’avaient pas tenu, l’armée n’aurait pas tenu davantage, et si les civils ont tenu, c’est à vous correspondants de guerre, que la France est redevable » »
L’Illustration avait aussi pour politique de s’ouvrir aux plus grandes plumes (Georges Clemenceau lui-même y collaborait). Ainsi, Pétain raconte dans ses colonnes, et donc dans le livre, après guerre, « sa » bataille de Verdun. Autre « coup », comme on dirait aujourd’hui : le long récit du Kronprinz Guillaume qui n’omet pas de charger (en feignant de lui rendre hommage) le général Von Falckenheim. Ce scoop, l’Illustration le publie en décembre 1928, au risque de heurter un public français certes dégoûté par la guerre, mais encore largement dominé par la haine de l’Allemand.
Une fois de plus, l’iconographie de cet opus est bluffante, mais le choix des textes (Par exemple le récit de Pierre Loti) et les explications de Jean-Louis Festjens ne sont pas en reste. A déguster.