Comme je l'ai déjà écrit dans ce blog, il y a des émissions que j'aimerais ne pas avoir eu à produire. L'édition de ce vendredi 17 mars est de celles-là. Elle nous en a rappelé d'autres. A Versailles, devant la Préfecture des Yvelines, plusieurs milliers de policiers et de citoyens rendaient hommage aux deux personnes assassinées à Magnanville. Le fils du policier tué, âgé de 12 ans, était présent. Son petit frère, l'enfant du couple décédé, est resté hospitalisé. Ceux qui lisent ce blog régulièrement savent que je ne m'en sers pas pour m'épancher. Prenez donc s'il vous plaît ce post pour une exception.
Un journaliste ému est-il un bon journaliste ?
Dès que j'ai su que l'Elysée organisait un repérage en vue de la participation du Président de la République à cette cérémonie, j'ai commencé à phosphorer. C'est toujours la même histoire, pour moi, avec ces événements liés au deuil. Je commence par réagir avec mes tripes. Pas envie. Trop triste. Une premier réflexe qui m'amène à dire "non". Ca dure quelques minutes, puis ça monte au cerveau, si j'ose dire. Les notions de lien social, de service public, et tout simplement d'information, me reviennent en tête. Je dis alors "oui", honteux de mon revirement comme de mon erreur initiale, et propose une prise d'antenne à mes patrons. En l'occurrence ils m'ont suivi.
Alors voilà : Vendredi, j'ai vécu en régie une des cérémonies les plus émouvantes de ma vie de journaliste. D'habitude, je parviens à me protéger en surjouant la concentration et le pilotage le plus précis possible de l'éditorial. Mais cette fois, je me suis laissé déborder. Et je ne sais pas pourquoi.
Emotion 1, red-chef 0
Y a-t-il une sédimentation de l'émotion ? Depuis janvier 2015, France 2 a couvert en spéciales deux vagues d'attentats et leurs conséquences, dont des cérémonies toutes très émouvantes. Peut-être existe-t-il un stock maximal de défenses, un réservoir qui ne demande qu'à déborder ? Hypothèse recevable pour un psychologue de comptoir comme moi. Mais j'en préfère une autre : le silence.
La levée des cercueils a donné lieu à une des séquences muettes les plus longues que j'ai été amené à diriger. Les journalistes et invités en plateau n'ont rien dit pendant près de 20 minutes. Ce n'est pas un record, mais tout de même... Seuls raisonnaient la musique, le léger vent dans les micros, les pas des porteurs et les ordres des officiers. Dans ce monde de l'audiovisuel où les événements sonores se succèdent à un rythme démentiel, le silence est devenu une transgression. Il est pourtant la base de presque tous les rituels funéraires dans le monde. Cette fois il s'est imposé à nous. Tout juste avais-je briefé Julian Bugier, présentateur de cette spéciale, sur le juste équilibre qu'il faudrait trouver entre les informations à délivrer et le simple accompagnement de la cérémonie. Mais en direct, je n'ai rien eu à dire. La marque des bons présentateurs, disons-le en passant.
Triste privilège
Maryse Burgot nous a raconté juste après que, sur place, toute la tribune de presse était en larmes, face à ce garçon penché sur le cercueil de son papa.
Je me suis alors dit "Moi, Pascal, petit journaliste parmi d'autres, dans les rouages de la télévision publique, j'ai le triste privilège, mais le privilège tout de même, de vivre des moments comme celui-là."
Cette spéciale, il nous fallait la faire. Nous la devions aux Français, à ce petit bonhomme qui a l'âge de mon fils, et à son petit frère aussi. Je me permets de les embrasser ; au diable, pour une fois, la froide distance journalistique que je défends le plus souvent, parce que je crois à ses vertus, et aussi parce que parfois elle m'arrange bien...
Pascal Doucet-Bon