Largement absentes de l’histoire des guerres, les femmes y ont pourtant toujours joué un rôle essentiel, et pas seulement à l’arrière. Après Nancy Wake, Louise de Bettignies, Violette Morris, Virginia Hall et Boadicée cet avant-dernier volet s’intéresse à l’incarnation même de la femme combattante : les Amazones. Avec une question lancinante s’il en est : au-delà de l’image légendaire de la guerrière au sein tranché, que trouve-t-on aux racines du mythe ?
Naissance d’un mythe
Avant de renaître dans les comics ou au cinéma, les Amazones sont d’abord apparues dans les récits antiques, il y a 25 siècles bien tassés. Aristote les situe au nord-est de l’actuelle Turquie, Diodore de Sicile les voit plutôt libyennes* et Hérodote y va de son hypothèse en évoquant un peuple venu de Scythie, au sud de l’Ukraine actuelle.
Poètes, orateurs, savants, philosophes, historiens… Tous les auteurs de l’Antiquité ou presque ont pour ainsi dire la bouche pleine de mythes. Si les versions varient d’un texte à l’autre, le portrait général montre des femmes guerrières, libres, indépendantes et fichtrement farouches. Certains auteurs prétendent même qu’elles se coupaient le sein droit pour pouvoir tirer à l’arc et combattre plus facilement, « Amazone » signifiant dans leur esprit a-mazos, soit « privée de sein » en grec ancien. Un détail largement battu en brèche par le fait qu’aucune représentation artistique antique – littéralement aucune – ne montre de femmes à la poitrine mutilée, alors que le thème de l’Amazone est l’un des plus fréquents. On les voit généralement vêtues d’une sorte de pantalon collant à la mode orientale ou d’une courte tunique et équipées d’un arc, d’un bouclier en demi-lune et parfois d’une hache.
Autre trait récurrent qui se fige dans l’Antiquité, l’idée que ces Amazones se débrouillaient parfaitement sans hommes, se contentant de quelques raids épisodiques parmi les tribus voisines, le temps de quelques liaisons sans lendemain destinées à perpétuer leur peuple. Cela va sans dire, si Homère salue chez elle une vigueur guerrière « égale aux hommes », ces coutumes sont autant d’horreurs aux yeux d’auteurs qui y voient pour la plupart une inversion scandaleuse de leur société patriarcale et n’ont de cesse de dénoncer la barbarie d’une telle peuplade. Ce n’est pas un hasard si l’un des thèmes favoris des céramistes et des sculpteurs est un combat épique, par exemple celui d’Achille contre Penthésilée sous les murs de Troie ou d’Héraclès contre la reine Hippolyte. Bien entendu, c’est à chaque fois le héros grec qui soumet la femme barbare…
Femme-guerrière, femme-fantasme
Une horreur donc, mais aussi un fantasme émoustillant promis à un bel avenir dans la fiction occidentale : sans même citer Wonder Woman, archétype de la super-héroïne et fille d’une Amazone, il faut voir ce que les magazines pour hommes des années 50 et 60 comme Man to Man ou Men In Danger pouvaient imaginer sur le thème du jeune Occidental vigoureux, jeté par hasard sur une île peuplées de femmes très belles et très fortes pour leur servir de jouet sexuel et de simple reproducteur… L’exemple ci-dessous étant loin d’être le plus caricatural.
Au reste, les lecteurs de cette littérature masculine à sensation et à bon marché ne faisaient jamais que prendre la suite d’un certain Néron, dont on dit qu’il ne pouvait pas se séparer d’une statue d’Amazone qu’il emmenait partout avec lui et qu’il avait baptisée Euknemon, qu’on traduira par « jolies jambes ». Commode – le méchant de Gladiateur – avait lui aussi son petit côté fétichiste, au point de renommer le mois de décembre « Amazonius » ou de sceller ses lettres avec un sceau à l’effigie d’une Amazone.
Barbarella, Sheena reine de la jungle, Xena ou la Kriss de Valnor de Thorgal ne sont jamais que les déclinaisons d’un archétype aussi vieux qu’Homère. Elles prennent parfois un tour féministe à partir des années 70 en sortant les personnages féminins des clichés scénaristiques dits de la « demoiselle en détresse » ou du personnage-trophée, qui réduisait toute femme de fiction au rôle de récompense réservée au héros victorieux.
Bon, et maintenant une question : y a-t-il la moindre réalité historique derrière le mythe des Amazones ?
Traces historiques
Spoiler : oui. Au nord de la mer Noire et en Caspienne, les fouilles menées depuis le début des années 2000 ont permis à des archéologues d’identifier un grand nombre de sépultures féminines dont les défuntes locataires avaient été enterrées avec des armes variées. Et c’est loin d’être une exception : d’après l’historien Iaroslav Lebedynsky, 20 % des tombes de femmes Sarmates fouillées entre la Volga et l’Oural contiennent des armes. Mieux, l’étude de leurs fémurs a montré qu’elles montaient à cheval et l’une d’entre elles avait encore entre les côtes la flèche qui l’avait expédiée ad patres. Même chose chez les Scythes : le taux de dépouilles féminines armées monte à près de 30 % : flèches, épées, lances, couteaux, carquois….
De là à dire que les Amazones des récits grecs ont existé, il y a un pas suffisamment grand pour éviter soigneusement de le franchir, ne serait-ce que parce des hommes étaient enterrés à proximité des femmes en question. Autant pour la tribu purement féminine… En revanche, l’archéologue Jeannine Davis-Kimball, qui a fouillé des dizaines de tombes dans les steppes kazakhes, y voit un indice d’une société nomade où les femmes assuraient des tâches nettement plus variées que celles que connaissaient leurs consœurs grecques ou romaines. Quant aux armes, elles auraient pu servir à se défendre et à protéger les possessions de la tribu contre d’éventuelles agressions. Loin des Amazones tout de même - quoique…
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- d'où le surnom d'Amazones associé à la garde rapprochée du colonel Kadhafi, exclusivement composée de femmes.