Ça y est : il a joué...
L'entrée en jeu hier de David Beckham est une preuve des moyens hors norme du PSG, capable d'attirer des stars du calibre du Spice Boy. Alors trop payés, les sportifs professionnels ? Même s'il abandonne la plus grande partie de ses gains à des œuvres caritatives, son arrivée à Paris pour la fin de la saison a toutes les chances de rallumer la polémique, surtout à raison de vingt minutes de jeu par match... Les revenus hors salaire de la « marque » Beckham étant estimés à 35 millions d’euros par an, on ne se fera pas trop de soucis pour ses fins de mois. Au demeurant, il est loin du record absolu, détenu par un sportif mort depuis… 18 siècles.
Au même titre que Federer ou Tiger Woods, le Spice Boy est battu à plate couture par un certain Gaius Dioclès, un gamin des rues devenu le conducteur de char le plus célèbre de l’Antiquité.
Son record de gains a de bonnes chances de rester longtemps intact : les historiens ont calculé qu’il gagnait chaque année l’équivalent de 450 millions d’euros. En 24 ans de carrière, Dioclès accumula près de 36 millions de sesterces là où un enseignant en recevait péniblement 1 000 chaque année. A sa mort, sa fortune dépassait celle de Néron.
Comment un sportif pouvait-il gagner autant ?
1 Il y avait plus de monde dans les stades
Merci les péplums : quand on pense jeux du cirque, on pense combats de gladiateurs. En réalité, ces derniers ne faisaient pas partie des "Ludii" et le Colisée n’accueillait guère que six ou sept combats de gladiateurs par an. Non, la vraie passion romaine, le cœur et l’âme des Jeux antiques, c’était les chars.
Au Parc des Princes, Beckham jouera au mieux devant 48 000 personnes. Dans le Cirque Maxime, – l’édifice sportif le plus vaste jamais construit, record en cours - ce sont 250 à 380 000 Romains qui se rassemblaient sur les gradins, deux fois par semaine. Au moins.
Toutes les couches sociales, tous les âges et tous les sexes s’y retrouvaient, en famille, entre amis, entre fans. Arrivés la veille pour occuper les meilleures places, les spectateurs buvaient assez pour que les esprits s’échauffent rapidement, chacun supportant ses couleurs : Vert, Rouge, Blanc ou Bleu. Ovide raconte qu’en se débrouillant bien, c’est là qu’on pouvait aborder les plus jolies Romaines. On pariait, on mangeait, on draguait, on se défiait, on critiquait cochers, écuries et arbitres
2 Le marketing était aussi performant qu'aujourd'hui
Système de paris complexe, produits dérivés, vente dans les stades, sponsoring : le sport contemporain n’a rien inventé.
Les écuries, de grosses machines très professionnalisées, étaient financées par de grosses compagnies, des hommes politiques de premier plan ou de richissimes donateurs. Tous jouaient une partie de leur image et de leur carrière en soutenant telle couleur ou tel cocher en vue, investissant parfois lourdement en période de transfert : les conducteurs de chars en vue étaient recherchés, bien sûr, mais on se disputait aussi les jeunes espoirs, les meilleurs chevaux d’Espagne ou d’Afrique, les bons vétérinaires, les soigneurs les plus réputés… Dioclès passera par les Blancs et les Verts pour finir chez les Rouges, s’assurant au passage une indemnité record.
Si l’entrée dans le Cirque était gratuite, l’inventivité de l’Etat comme des patrons d’écurie était sans limites quand il s’agissait de soulager les spectateurs de leurs deniers.
En dehors d’un système de paris très contrôlé et sourcilleux sur le plan de l’équité sportive, on vendait partout statuettes, lampes à huile, vases, tuniques, fibules, affiches et médaillons à l’effigie des cochers. Chaque couleur disposait dans Rome de son réseau de franchises où les fans trouvaient toute une série de produits dérivés floqués au nom de leurs héros. Dans le cirque lui-même, on trouvait de quoi boire et manger dans les boutiques ou auprès des vendeurs ambulants.
Plus étonnant, tout un business s’était mis en place autour des superstitions : devins et jeteurs de sorts vendaient formules, sorts et enchantements censés favoriser tel concurrent ou expédier tel autre à l’infirmerie, voire au cimetière.
3 Le spectacle était au rendez-vous
Entourés et entraînés par des écuries qui rappellent la Formule 1 d’aujourd’hui, les cochers n’étaient pas payés à se tourner les pouces : la saison officielle comptait plus d’une centaine de dates de course et jusqu’à 24 départs par jour. Dioclès en courut 4 257 en 24 ans. Oui, quand même.
Il en remporta plus d’une sur trois.
Dans les stalles, les cochers attendaient sur le plancher d’un char ultra léger. Mal protégés par un casque de cuir, maintenus en place par des sangles de cuir à la taille, ils vérifiaient que leur poignard était bien en place à leur ceinture : en cas d’accident, c’était leur seule chance de pouvoir trancher leurs liens pour ne pas être traînés par leur propre char. Une chance bien mince.
Un mouchoir lâché sur la piste libérait les douze attelages, tirés par deux à six chevaux. Lancés à bride abattue sur les 400 mètres de piste sablée qui s’ouvraient devant eux, les cochers devaient négocier un délicat virage à 180° pour repartir dans l’autre sens. Aveuglés par le sable, lancés roues dans roues au galop de charge ils manquaient à chaque instant de se retourner. Pendant sept tours, il fallait éviter les chars accidentés et les attelages paniqués. Si on tentait d’éviter un concurrent étalé au milieu de la piste, ce n’était pas par grandeur d’âme, mais parce qu’à cette vitesse, le moindre obstacle risquait de faire partir l’attelage dans le décor.
A plus de 50 à l’heure, il fallait moins de 40 secondes aux concurrents pour remonter les lignes droites du Cirque Maxime.
Queues de poissons, trajectoires risquées, retournements, coups de fouets vicieux sur les chevaux d’un concurrent : Ben-Hur n’a rien inventé. On risquait la mort en permanence et les journées sans blessés graves étaient rares. Ceux qui finissaient dans les trois premiers remportaient de grosses sommes et sortaient par la porte d’honneur.
Dioclès, réputé pour lâcher vraiment ses chevaux dans des derniers tours rageurs, était adulé du public dans des dimensions à peine concevables. Beaucoup de cochers tout aussi aimés mourraient jeunes, comme Scorpus, un Numide mort à 26 ans en course et dont les archéologues trouvent encore des mentions dans toute l’Europe.
Dioclès, dont le caractère rappelle celui d'un certain Michael Schumacher, eut surtout le mérite de savoir gérer ses efforts avant de se retirer du circuit, à 42 ans.
Cinq de plus que Beckham.