Largement absentes de l’histoire des guerres, les femmes y ont pourtant toujours joué un rôle essentiel, et pas seulement à l’arrière. Jusqu’à la fin du mois d’août, ce blog revient sur les trajectoires de combattantes oubliées à commencer par Nancy Wake. Disparue en 2011, l’australienne a longtemps été la résistante la plus recherchée de France pendant l’Occupation. Portrait de celle qui rendit dingue la Gestapo.
Enfance malheureuse, jeunesse aventureuse
Wellington, 1912 : les Wake, une famille australienne installée en Nouvelle-Zélande accueillent leur sixième et dernier enfant - une petite fille, qu’ils baptisent Nancy et qui montre rapidement tous les signes d’un caractère bien trempé. Un avantage, compte tenu d’une enfance pas franchement facile : alors qu’elle n’a pas deux ans, son père décide de rentrer en Australie, abandonnant au passage femme et enfants. La petite Nancy, grandit comme une herbe folle, seule et sans amour - c’est elle qui le dit.
A seize ans, Nancy envoie balader son monde pour aller vivre sa vie, bien décidée à se débrouiller seule dans l’existence. Après des études d’infirmière menées tambour battant, la jeune femme décide de tenter l’aventure européenne et fonce droit vers Londres, à 20 ans à peine et avec 300 livres en poche pour tout bagage.
Deux ans plus tard, elle est à Paris. Elle a la vie devant elle, un culot stratosphérique et une beauté indéniable, beauté qui l’ennuie d’ailleurs plus qu’autre chose dans la mesure où elle passe une bonne partie de son existence à refouler tout ce que la capitale compte de lourdauds peu habitués à se faire remballer à l’australienne. Ce qui n’empêche pas Nancy, devenue free-lance pour un groupe de presse américain, de mener une java de tous les diables dans tout ce que Paris compte de boîtes à la mode.
Au plus près du nazisme
En 1935, son journal l’envoie d’abord à Vienne puis à Berlin. La jeune femme y décroche un coup fumant : une interview avec le chancelier Hitler lui-même. La guerre n’est pas encore imminente et l’interview se passe on ne peut plus courtoisement, mais Nancy assiste un soir à un spectacle qui va la marquer pour sa vie entière : une petite troupe de nazis ont arraché une famille de commerçants berlinois à leur magasin. Impuissante, la journaliste assiste à leur supplice : nus, attachés à de grandes roues de charrettes, ils sont fouettés et roulés le long des rues par des hommes hilares au-milieu des torches et des injures. Plus tard, Nancy écrira : « je me souviens être restée plantée là et de m’être dit : je ne sais pas ce que je ferai pour ça, mais si un jour j’en ai les moyens, je le ferai ».
Dandys en guerre
En 1936, Nancy est de retour en France. Elle y rencontre un homme qu’elle épouse en 1939, Henri Fiocca : millionnaire, fils d’armateur marseillais, dandy et danseur de tango. A peine marié, le couple est séparé par la guerre. Alors qu’Henri est rapidement appelé au front, la jeune femme, désormais fortunée, n’entend pas franchement rester dans son appartement parisien à regarder le monde s’effondrer en tirant sur un fume-cigarette.
A 27 ans, elle se précipite vers le front et s’engage dans l’armée, comme ambulancière. Au volant de son camion médical, elle vit la débâcle aux premières loges. Des chemins bombardés du nord aux côtes de Dunkerque, la jeune femme évacue quelques centaines d’hommes qui lui doivent sinon la vie ou la liberté, au moins un répit.
En juin 40, la France est à genoux. Ni elle, ni Henri ne l’entendent de cette oreille et la fortune de ce dernier est aussitôt utilisée pour donner naissance à l’un des tous premiers réseaux de résistance français. De Marseille, le couple se lance dans ce qui sera sa spécialité : le recueil des pilotes anglais abattus en France au cours de leurs missions. Il faut les soigner, leur procurer de faux papiers, de l’argent, un abri, de la nourriture, des plans, des contacts et surtout les exfiltrer pour qu’ils puissent reprendre le combat : l’Angleterre, toujours en guerre, ne manque pas tant d’avions que de pilotes.
En tout, plus de mille personnes profiteront du réseau du couple. En première ligne, elle pilote une filière d’extraction vers l’Espagne et se mue elle-même en messagère, profitant du fait que les Allemands, Wehrmacht ou Gestapo, cherchent et inquiètent surtout les hommes dans un premier temps.
Mais en 1943, les Allemands commencent à être nettement a énervés par Nancy. Ils ne savent à peu près rien d’elle, si ce n’est qu’elle les ridiculise. La Gestapo attribue un nom de code à l’insaisissable Nancy : die Weiße Maus, la Souris blanche. En 1943, Nancy est tout en haut de la liste des personnes les plus recherchées, avec une prime de 5 milloins de francs pour celui qui la livrera.
De la souris à la sorcière
Ce qui devait arriver finit par arriver : alors que l’étau se resserre, Nancy est arrêtée en cherchant à fuir grâce à sa propre filière. Quelqu’un, quelque part, a du parler parce que Nancy est repérée dans un train et arrêtée, en dépit d’une tentative de fuite qui la voit sauter du train en pleine marche avant de prendre une balle dans la jambe.
Blessée, usée, Nancy est torturée quatre jours entiers, quatre jours au cours desquels les services de la Gestapo n’obtiennent strictement rien d’elle, pas un mot – pas même son nom. Convaincus qu’ils font fausse route, ils la relâchent dans un état désastreux, mais vivante. Son mari a eu moins de chance. Arrêté à Marseille, Henri est torturé et exécuté, refusant avec obstination de donner la moindre indication au sujet de Nancy. A son père effondré de peine qui lui disait « mais donne-là, ta femme, elle est loin de toute façon, et ils te libéreront ! », il répond simplement : « laisse-moi tranquille, Papa. »
Nancy n’apprendra la mort d’Henri qu’à la fin de la guerre. Pour l’heure, elle a fini par arriver à Londres où le SOE (Special Operations Executive) l’accueille à bras ouverts. Nancy devient agent secret et s’entraîne à toutes les techniques d’espionnage du moment : tir, espionnage, explosifs, sabotage…
De Londres au maquis
En avril 1944, Nancy est parachutée au beau milieu de l’Auvergne. Nom de guerre : « Hélène ». Nom de code en opération : « Witch » r – la sorcière. Sa mission ? Etablir des stocks d'armes et de munitions, construire avec les maquis locaux un système de communication par radio et prendre la tête d’un réseau de résistance chargé d'affaiblir les lignes allemandes en préparation du D-Day. Une paille.
En moins de deux mois, l’Australienne réussit à installer son autorité sur un maquis entier – une gageure pour une jeune femme parachutée de Londres au beau milieu d’une troupe de 7 000 maquisards dont beaucoup considéraient qu’ils n’avaient pas à se ranger sous les ordres d’une étrangère.
Avant et après le jour J, Nancy mène directement toute une série d’opérations de guérilla et de sabotage. Elle fait péter un peu de tout, du dépôt d’essence, du pont, de la voie ferrée, de l’antenne radio – bref : elle et son réseau foutent un merdier pas possible derrière les lignes allemandes. Au cours d’une de ces missions, une sentinelle allemande la repère. Elle n’aurait pas dû : Nancy en fait de la viande froide. À mains nues. Une autre nuit, son camion est bombardé loin de son maquis. Nancy s’en sort, sacrément secouée et surtout sans radio. Qu’à cela ne tienne : elle fauche un vélo et fait 200 kilomètres en trois jours, dans une région truffée de troupes allemandes sur les dents.
Longue après-guerre
À la fin de la guerre, Nancy est la femme la plus décorée du conflit – entre autres babioles, une Légion d’Honneur au grade d’officier, la médaille de la Résistance, la médaille du roi George et la Croix de guerre. Elle se remaria quelques années plus tard et retourna vivre en Australie jusqu’en 2006, où elle revint à Londres pour y boire ses six gins par jour jusqu’à sa mort en 2011, à 98 ans.
Nancy Wake aimait la liberté, le champagne et la danse. Dans une de ses dernières interviews, elle avait eu cette phrase : « si un gars comme Saint-Pierre existe, je vais lui faciliter la tâche tout de suite : je plaide coupable pour absolument tout. »
En 2013, ses cendres ont été dispersées au-dessus de l’Auvergne, près de son ancien maquis.