Braquages, gangsters et petites coupures

Le Bridego Bridge, à 40 kilomètres de Londres

Un fourgon de diamants braqué sans un coup de feu en Belgique, le Printemps-Haussmann attaqué à Paris…Deux hold-up parfaitement exécutés qui font qu’à Bruxelles comme à Paris, les voleurs ont de bonnes chances de disparaître dans la nature, à condition d’éviter les erreurs commises avant eux par d’autres truands, par exemple les responsables d’un des plus fameux braquages de l’histoire britannique : l’attaque du train postal Glasgow-Londres en 1963.

1 Se préparer soigneusement

Les braqueurs étaient bien organisés, à Bruxelles comme à Paris - une condition nécessaire au succès, mais pas suffisante : le braquage du Glasgow-Londres était lui aussi un modèle de préparation.

Au début des années 60, le Royal Mail Train ramène régulièrement d’Ecosse des milliers de lettres et de colis - et quelques millions de livres sterling en petites coupures destinées à la destruction. De quoi donner des idées à un informateur qui ne sera jamais identifié, « l’Homme de l’Ulster ».

Ses informations vont pousser un gangster londonien, Bruce Reynolds à monter l’attaque la plus ambitieuse de l’histoire criminelle britannique. Un gangster du genre méthodique, ce Reynolds : il passe sept ans à préparer un braquage dont l’exécution durera 25 minutes. Pour ça, il réunit autour de lui une fine équipe de confrères, une quinzaine d’hommes sûrs, tous des spécialistes. Parmi eux, un certain Ronald Biggs.

A l’été 1963, l’équipe s’installe dans une ferme située à une demi-heure du lieu de l’attaque. Certains s’occupent en jouant au Monopoly pendant que d’autres s’exercent à parcourir dans les deux sens la route de la voie ferrée, de nuit et tous feux éteints.

A 6h50 le 7 août, un membre du gang coupe les signaux en plaçant un gant sur un feu de trafic. Le train stoppe à 800 mètres d’un pont, Bridego Bridge. Au moment où son conducteur constate que les fils du téléphone de secours le plus proche ont été coupés, il est maîtrisé sans ménagements puis contraint à déplacer le train jusqu’au viaduc. Là, les gangsters défoncent à la hache les parois et matraquent les quelques gardes présents. Il ne leur reste qu’à expédier 121 sacs de billets en contrebas, où attendent trois voitures.

Le Bridego Bridge, à 40 kilomètres de Londres

En moins de trente minutes et sans armes à feu, le gang de Reynolds vient de récupérer un butin de 2 631 684 livres sterling, l’équivalent de 65 millions d’euros  aujourd’hui. Le casse du siècle ? A voir.

2 Eviter l’erreur bête

 Malgré une préparation quasi-militaire – beaucoup des hommes du gang sont d’anciens parachutistes – le gang va commettre trois erreurs.

1/ En stoppant le convoi trop loin du point de rendez-vous prévu, les gangsters ont dû improviser : personne n’était fichu de redémarrer la locomotive. Les quelques minutes perdues à « convaincre » le conducteur de s’en charger ont tendu la situation.

2/ En quittant le pont, un des hommes du commando a ordonné aux gardes de « rester tranquilles trente minutes ».  Précieuse indication pour la police de Sa Majesté qui concentre ses recherches dans un périmètre restreint en conséquence et localise la planque plus rapidement que prévu, empêchant Reynolds de revenir l’incendier comme il l’avait prévu.

3/ L’imprévu est d’autant plus regrettable que le gang avait mal nettoyé la ferme : les enquêteurs relèvent les empreintes de tout le groupe sur le plateau du Monopoly utilisés pour passer le temps. En quelques semaines, toute la bande est arrêtée à l’exception de Reynolds, déjà parti pour le Mexique, et de deux comparses. Le verdict est lourd : trente ans de prison pour la plupart.

Un beau succès policier qui va se ternir légèrement au cours des mois suivants : non seulement personne n’avoue où est l’argent, mais deux des condamnés vont se faire la belle successivement. Charlie Wilson s’échappe en 1964 grâce à quatre copains et une échelle. De son côté Ronald file… à l’anglaise en passant par un chariot élévateur commodément garé sous les murs de sa prison. Et tout le Royaume se paye la fiole de l’administration pénitentiaire.

3 Ne pas craquer en cavale

Au cas où les braqueurs de Paris et de Bruxelles resteraient introuvables, inutile de désespérer : il reste une chance qu’ils se rendent d’eux-mêmes.

Épuisé par sa cavale, à bout de nerfs, Reynolds craque en 1968. Ronnie Biggs réfugié au Brésil où il vit confortablement, va tenir plus longtemps. Il écrit son autobiographie, monnaye ses rencontres avec des curieux, chante dans un documentaire dédié aux Sex Pistols et pour des groupes argentins de rock punk…

Pourtant, Scotland Yard multiplie les démarches pour obtenir une extradition ; même le très tolérant Brésil finit par le trouver un rien encombrant. Pire : en 1981, Biggs se fait kidnapper par une improbable bande d’anciens soldats anglais assez cinglés pour chercher à la fois à toucher une récompense de la Couronne et lui extorquer sa part du butin. C’est la police de la Barbade qui le libérera…

4 Pour 37 millions, t’as plus rien

Les 37 millions de diamants volés à Bruxelles sont un joli coup, mais la question économique reste posée : est-ce vraiment rentable ? Dans le cas du Glasgow -Londres, le fait qu’on n’ait jamais retrouvé l’essentiel du butin a alimenté certains fantasmes sur le trésor caché du gang de Reynolds.

En réalité, il est plus que plausible que tout ait été dépensé. En cavale, on a vite des frais : faux papiers, transports, changements d’adresse permanents… Ronnie Biggs passa même sous le bistouri d’un chirurgien pour changer d’apparence, une opération clandestine qui lui coûta cher. Quand aux membres du groupe incarcérés en 1964, ils achetèrent certes des maisons ou des commerces à leur libération, mais rien de bien excentrique.

Le crime paie sans doute, mais pas si bien que ça. La somme avait été divisée en quinze parts, soit 4 millions d’euros par personne à peu près. On a vu des gagnants du loto ruinés en partant de plus haut.

 

Publié par jcpiot / Catégories : Actu