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Vous êtes nombreux à avoir peur des araignées et des serpents. Une étude récente a cherché à en savoir plus sur l’origine de cette aversion : provient-elle d’un apprentissage ou est-elle directement inscrite dans vos gènes ?
Une peur apprise ou innée ?
La crainte des araignées et des serpents se traduit par un évitement de ces animaux car leur proximité génère des réactions émotionnelles désagréables. Ce comportement d’évitement peut avoir 2 origines possibles :
- Soit ce comportement a été « appris ». Cet apprentissage peut être social (on vous rabâche par exemple depuis votre tendre enfance qu’il faut se méfier de ces bêtes) ou lié directement à une expérience de morsure ou de piqure (ce dernier type d’apprentissage étant beaucoup plus rare de nos jours).
- Soit ce comportement est inné, c’est-à-dire « inscrit dans vos gènes ». Ainsi, quelle que soit votre culture ou ce que l’on peut vous dire à propos de ces bêtes, la plupart d’entre vous en avez peur dès la naissance.
Alors, cette peur est-elle innée ou acquise ? Pour tenter de répondre à cette question, une équipe de chercheurs allemands en neurologie a mené une expérience intéressante. Dans leur étude, les expérimentateurs montrent tout d’abord à des bébés âgés de 6 mois ces images d’araignées et ces images de fleurs :
Remarque : les chercheurs ont choisi des images identiques en terme de couleur et de taille (le bébé pourrait en effet réagir différemment à la vue d’une image selon sa taille ou sa couleur, ce qui constituerait ce que l’on appelle un biais méthodologique).
Pendant que les bébés regardent ces images, les chercheurs mesurent l’augmentation de la dilatation de leur pupille. En dehors d’un ajustement aux variations lumineuses de l’environnement, une dilatation de la pupille indique en effet une réponse de stress (par activation du système noradrénergique). Pour le dire autrement, la dilatation de la pupille est une conséquence visible et donc mesurable d’une réponse physiologique à un stimulus.
Les chercheurs constatent alors que la pupille des bébés se dilate plus (et de façon significative) lorsqu’ils regardent les images d’araignées, comparativement aux images de fleurs. Ils en concluent que les bébés focalisent plus leur attention sur les visuels d’araignées, ils y sont donc plus « sensibles » qu’aux visuels floraux.
Etant donné qu’à l’âge de 6 mois les bébés n’ont probablement pas encore eu l’opportunité d’apprendre à avoir peur des araignées, ces résultats suggèrent donc que cette « excitation » pupillaire pourrait avoir un caractère inné.
Et la peur des serpents ?
Néanmoins, ces résultats ne sont pas vraiment concluants. On pourrait en effet émettre l’hypothèse que si le bébé réagit plus vivement aux images d’araignées qu’aux images de fleurs, c’est tout simplement parce qu’il fait une distinction entre les catégories « animaux » et « non animaux » (suggérant un éventuel mécanisme de « détecteur de vie »).
Afin de contrôler cette hypothèse, les chercheurs ont donc mené une autre autre expérience. Ils présentent cette fois-ci à un groupe de bébés des images de poissons et à un autre groupe de bébés des images de serpents avant de mesurer la dilatation de leurs pupilles :
Une fois encore, les auteurs constatent que la pupille des bébés qui regardent les images de serpents se dilate plus (et de façon significative) que la pupille des bébés qui regardent les images de poissons. Au sein même de la catégorie « animaux », il y a donc une différence d’attention visuelle entre les serpents et les poissons, suggérant une réponse physiologique plus importante à la vue des reptiles.
Les auteurs concluent que les résultats de leur étude suggèrent que l’être humain puisse être « génétiquement programmé » pour éviter les araignées et les serpents. Ou tout au moins, qu’il existerait des mécanismes génétiques issus de l’évolution qui sous-tendraient cette peur spécifique. D’un point de vue évolutionniste, cela pourrait vouloir dire en effet que nos ancêtres auraient été confrontés à des piqures mortelles d’araignées qui à l’époque étaient une véritable menace pour leur survie. Ils auraient donc appris à en avoir peur pour être capables de les détecter plus rapidement. Pour des raisons inhérentes à la survie de l’espèce humaine, cet apprentissage aurait été finalement inscrit dans les gènes, même si aujourd’hui ces animaux ne représentent plus une menace pour l’être humain.
Critiques de l’étude
Ces résultats sont à prendre avec précaution. Comme dans n’importe qu’elle étude scientifique, il existe en effet des limites méthodologiques qui relativisent la portée des données obtenues. Les auteurs en soulignent d’ailleurs quelques-unes, dont une importante :
- Même si en 6 mois de vie un bébé n’a pas eu beaucoup d’opportunités d’apprentissage, rien ne nous dit qu’il n’a pas déjà appris à se méfier des araignées et des serpents (par imitation par exemple).
J’ai repérée aussi d’autres limites non avouées par les auteurs :
- Le faible nombre de participants (16 bébés en tout), ce qui restreint statistiquement la fiabilité des résultats. Et surtout :
- Les résultats de cette étude suggèrent seulement que les nourrissons âgés de 6 mois sont visuellement plus sensibles aux images d’araignées et de serpents qu’aux images de fleurs et de poissons, et qu’ils les détectent plus rapidement. Cela ne veut pas forcément dire qu’ils en ont plus peur (la réponse de stress n’est en effet pas forcément synonyme de peur, on dit d’ailleurs que le réponse de stress est « non spécifique » : les modifications biochimiques du stress sont toujours les mêmes, quelle que soit la nature des éléments qui le déclenche). Si les bébés réagissent avec une excitation accrue à la vue d’une araignée et d’un serpent, cela pourrait tout simplement signifier que ces images sont inhabituelles dans leur environnement. On sait en effet que les stimuli nouveaux sollicitent en général plus d’attention que les stimuli fréquents. Il ne serait donc pas étonnant que les bébés soient plus réactifs aux araignées et aux serpents, ceux-ci étant en général côtoyés plus rarement qu’une fleur ou un poisson. Pour contrôler cette hypothèse, il serait d’ailleurs intéressant de reproduire cette étude en remplaçant les images d’araignées et de serpents par des animaux tout aussi rares, mais pas du tout dangereux ou n’étant a priori pas effrayants.
- Même si l’on fait l’hypothèse que ces comportements d’évitement ont un substrat génétique, on ne peut pas dire que ce sont des comportements « réflexes » ou « primitifs » (comme le réflexe rotulien ou le réflexe pupillaire en réaction à la lumière par exemple). En effet, contrairement à ces derniers, la crainte des araignées et des serpents ne concerne pas tous les êtres humains (seulement environ un tiers de la population). De plus, il est possible de diminuer, voire « d’éteindre » cette peur via des procédures thérapeutiques telles que la « désensibilisation systématique », ce qui suggère que cette peur serait plutôt acquise.
Pour conclure : ne prenez pas les résultats des études scientifiques au pied de la lettre !
Comme pour la plupart des études scientifiques, même celles dont la méthodologie est bien menée, il est donc ici difficile de donner une réponse tranchée à la question posée par la problématique : « la peur des araignées est-elle innée ou acquise ? ». Les résultats de cette recherche ne font que nous en donner des éléments de réponse. Il faut également se méfier de la façon dont certains médias s’approprient les résultats des études scientifiques, parfois de façon trop simplifiée. Le site d’information de la Cité des Sciences et de l’Industrie a par exemple repris cette étude en titrant : « L’arachnophobie, peur congénitale » et en concluant un peu rapidement à mon goût que « L’arachnophobie et l’ophiophobie semblent donc bien ancrées dans nos gènes (…). ». Ou comment un raccourci fini par se transformer en fausse information…
Référence :
Hoehl, S., Hellmer, K., Johansson, M. et Gredebäck, G. (2017). Itsy Bitsy Spider...: Infants React with Increased Arousal to Spiders and Snakes. Frontiers in Psychology, 8.