Quel sera l'impact de la loi Macron sur la croissance française?

La réponse est simple : zéro.

Cette réponse ne dépend pas du contenu exact de la loi. Elle est directement issue de ce que les économistes savent sur les déterminants de la croissance. Elle vaut pour toutes les réformes, pour tous les pays développés. Pourquoi? Cela appelle un rappel des déterminants de la croissance.

Conjoncture et croissance

Il y a deux façons d'augmenter la croissance d'un pays. La première apparaît lorsqu'un pays se trouve en situation de sous-emploi, elle-même due à une demande insuffisante. L'idée ici est la suivante. A un instant donné, étant données ses caractéristiques, une économie peut produire un certain niveau de PIB en utilisant ses ressources disponibles. On appelle cela son PIB potentiel. Néanmoins, pour diverses raisons, une économie peut subir un choc qui l'éloigne de ce PIB potentiel. Imaginez par exemple que les pays vers lesquels la nation exportent connaissent des difficultés; cela va poser des problèmes aux exportateurs, qui vont devoir baisser les prix de leurs produits, pour trouver d'autres débouchés. Mais cela va prendre du temps : et entre-temps, ils vont avoir du mal à vendre leurs produits et cela peut entraîner des faillites, et du chômage. Les chômeurs vont eux-même acheter moins, ce qui va provoquer d'autres problèmes ailleurs, etc.

Ce genre de fluctuation, et ce qu'il faut faire dans ce cas-là, est le domaine de la politique conjoncturelle: la solution consiste à augmenter la demande globale jusqu'à revenir au plein emploi. C'est plus facile à dire qu'à faire, c'est l'un des sujets ou les polémiques économiques sont les plus virulentes. La position que vous trouverez dans les manuels d'économie sur le sujet, sera que toutes les fluctuations ne sont pas mauvaises, que la politique monétaire de la banque centrale est en général le meilleur instrument à utiliser dans ce domaine. Quand on vous parle d'impact de l'austérité sur la croissance, de "multiplicateur", c'est de cela qu'on parle. Prenez le graphique suivant, via Philippe Waechter, qui indique l'évolution du PIB depuis 2000:

 

  PIB

On y voit nettement apparaître l'impact de la crise de 2007-2008, et le fait que l'économie française ne s'en est pas remise (ce qui signifierait être revenu à la tendance). De combien est le décalage entre le potentiel et l'actuel? En gros, 3.5% de PIB annuel. Cela veut dire que si une politique expansionniste ramenait l'économie française à son potentiel en un an, la croissance serait pendant cette année là de 3.5% de plus que la tendance actuelle (aux alentours de 0.5%); on aurait donc, pendant un an, 4% de croissance, puis on reviendrait à la tendance de long terme.

Politiques structurelles

Mais la loi Macron, les réformes structurelles, n'est pas sensée jouer sur la demande, mais sur l'offre. L'idée ici est d'augmenter le PIB potentiel de l'économie française. Et cela peut effectivement avoir un impact sur la croissance. En effet, plus une économie est loin de son potentiel, plus sa croissance devrait être forte. C'est ce phénomène qui explique les croissances très fortes des pays émergents, ou dans les pays qui se reconstruisent après un conflit ou une catastrophe naturelle. On appelle cela la croissance transitionnelle. L'idée ici est qu'un pays, à son potentiel, va disposer d'un certain stock d'infrastructures, de capital, etc. Au delà de ce point, il n'est pas nécessaire d'investir plus : un bâtiment supplémentaire coûtera plus qu'il ne rapporte. Avant d'atteindre ce potentiel, par contre, il est rentable d'investir beaucoup. Lorsque l'Europe est détruite en 1945, revenir à la situation d'avant guerre nécessite de construire énormément d'usines, de bâtiments, etc. La croissance est donc forte. De même, à partir du moment ou la Chine entame sa transition, il y a de nombreux besoins d'investissement. Plus on est loin du potentiel, plus ce phénomène est important, plus la croissance sera élevée, elle ralentira ensuite au fur et à mesure qu'on se rapproche du potentiel.

Si des réformes rendent l'économie française plus efficace, elles augmentent le PIB potentiel, ce qui augmentera la croissance. De combien? la réponse est, pas beaucoup. Si vous voulez la version algébrique, vous pouvez aller suivre ce lien. Le chiffre clé est le suivant : un pays rattrape environ 2% de son décalage par rapport à son potentiel chaque année. Ce chiffre a été toujours constaté dans les études empiriques sur la croissance économique.

Pour un ordre de grandeur, prenons les chiffres actuels de l'économie française. On suppose, comme le graphique ci-dessus, que la tendance de croissance soit de 1.8%. Le PIB actuel est d'environ 2100 milliards d'euros par an. Comme on l'a vu ci-dessus, c'est en dessous du potentiel, on devrait être environ à 2 200 milliards sans l'impact de la crise. Prenons alors la formule qui permet de calculer la croissance transitionnelle :

croissance = (1 + croissance tendancielle)(0.02(PIB potentiel/PIB actuel) + (1-0.02)) - 1

Dans laquelle 0.02 est le rythme de rattrapage (2%). Le PIB potentiel est de 2200, le PIB actuel de 2100. La croissance française devrait donc être actuellement de 1.89% par an. C'est plus que la tendance (1.8%) parce qu'on est en dessous du potentiel.

Maintenant, supposons que l'on mène des réformes qui sont susceptibles d'augmenter le PIB potentiel français de 100 milliards d'euros. Ce serait énorme : même les auteurs de "changer de modèle" ne proposent pas un impact aussi grand de leurs réformes. Le PIB potentiel français deviendrait alors 2300 milliards. Ce qui nous donnerait, avec la même formule, une croissance de 1.90% par an.

0.01% de plus par an. Ce chiffre est en dessous de la marge d'erreur du calcul du PIB, ce qui veut dire qu'il serait indétectable par l'INSEE. Et nous avons supposé ici des réformes d'ampleur phénoménale. En supposant que la loi Macron augmente le PIB potentiel français de 20 milliards d'euros, ce qui est déjà extraordinairement optimiste, vous pouvez comprendre le pronostic : les réformes n'ont, dans nos pays, en pratique aucun effet sur la croissance.

A quoi servent les réformes, alors?

Ce n'est pas une raison pour y renoncer; après tout, les petits ruisseaux font les grandes rivières, et il peut y avoir d'autres bonnes raisons (améliorer la qualité des services par la concurrence, augmenter l'emploi) qui rendent les réformes souhaitables.

Mais il faudrait arrêter de vendre les réformes sur la croissance qu'elles peuvent générer. Ce qui peut augmenter rapidement, et significativement, la croissance française aujourd'hui, c'est la politique conjoncturelle. Et celle-ci dépend pour moitié de la BCE, donc pas du gouvernement français; l'autre moitié est la politique budgétaire, contrainte comme on le sait par l'obligation signée auprès de l'Europe de réduire les déficits.

Les réformes structurelles ne peuvent au mieux qu'avoir des effets décevants sur la croissance, dans le meilleur des cas. Et dans la pratique, les réformes ont des effets imprévisibles : certaines ont un effet très négatif. Qui peut savoir, par exemple, si la loi renseignement ne va pas anéantir tous les effets positifs attendus de la loi Macron en pénalisant le secteur des nouvelles technologies?

En attendant, les politiques, les experts qui promettent que la croissance peut revenir grâce à des réformes "courageuses" doivent être traités comme le père Noel : si vous avez plus de 6 ans, évitez de trop y croire.