L'austérité, qu'est-ce que c'est?

Hier, c'était journée de grève européenne "pour l'emploi et la solidarité, contre l'austérité". Le mot d'ordre : "l'austérité, cela ne marche pas". Mais au fait, qu'est-ce que c'est exactement, l'austérité? Est-ce que ça marche? Et pourquoi on continue d'en faire, si cela ne marche pas?

Les conséquences budgétaires d'une récession

Tous les pays connaissent des cycles économiques, des phases d'expansion, et de récession. Supposons qu'un pays connaisse une récession. Alors, très vite, le budget de l'Etat va se dégrader, la dette et le déficit public vont augmenter. Il y a deux raisons pour cela:

- la première, la plus importante, c'est que la récession réduit les revenus, les bénéfices, cause des faillites donc réduit les recettes fiscales. Dans le même temps, les dépenses publiques risquent d'augmenter, parce que toute une série de dépenses (notamment sociales) vont augmenter : plus de chômeurs signifient plus d'allocations chômage à verser, par exemple.

- la seconde, c'est que si la récession arrive après une euphorie financière soutenue par le crédit bancaire (bulle immobilière, par exemple) le système bancaire du pays risque de souffrir, car les crédits qu'il a accordés ne vont pas tous être remboursés. Or, une suite de faillites bancaires, c'est pour une économie nationale, l'équivalent d'un arrêt cardiaque. Pour éviter cela, le gouvernement peut ne pas avoir d'autre choix que de prendre à sa charge les dettes des banques, ce qui augmente la dette publique d'autant. C'est la situation dans laquelle se trouve actuellement l'Irlande par exemple - ou la France et la Belgique avec Dexia.

Dans leur étude exhaustive des crises financières, les économistes Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff ont constaté que la combinaison de ces effets aboutissait historiquement, en moyenne, à une hausse de 20 points du ratio de dette publique sur PIB.

L'austérité, une possibilité parmi d'autres

Face à cette dégradation des finances publiques, le gouvernement a trois options :

- La première est la plus simple : ne rien faire. Cela signifie, laisser le budget public en l'état, laisser les dépenses augmenter de manière automatique, ne pas chercher à compenser la baisse des recettes fiscales en augmentant les taux d'imposition, laisser le déficit se creuser. Le budget de l'Etat joue alors le rôle d'amortisseur de la récession - les économistes utilisent le terme de "stabilisateurs automatiques". Pour les entreprises, les commandes publiques, insensibles à la conjoncture, permettent de maintenir une activité raisonnable. Pour les salariés, les allocations chômage aident à passer le cap de la récession.

- La seconde consiste à chercher à contrebalancer activement l'effet de la récession. Le gouvernement décide alors d'un plan de relance, combinaison de baisses d'impôts et de hausses des dépenses. L'objectif est alors d'accélérer la sortie de récession, de chercher à éviter que le chômage ne s'installe. A en juger par le tract de la journée de grève, c'est clairement cette option qui est souhaitée par les syndicats européens.

- la troisième option consiste à donner la priorité, en situation de récession, à la réduction des déficits et de la dette publique. Donc, augmenter les impôts, réduire les dépenses publiques, pendant la récession. L'austérité, c'est cette dernière option. Ce dernier choix est justifié par la volonté de rétablir la confiance des agents économiques et des investisseurs. L'idée ici est que les déficits et la dette publique inquiètent les prêteurs, qui refusent de prêter au gouvernement, sauf à un coût élevé qui va creuser encore plus les déficits; que les entreprises n'investissent pas à cause de l'incertitude générée par l'état des finances publiques. L'austérité est alors le prix à payer pour rétablir cette confiance, montrer que le gouvernement est sérieux et ne va pas laisser ses finances se dégrader indéfiniment.

Il faut donc se méfier du vocabulaire : par utilisations abusives, l'austérité est devenue un terme vague, synonyme en gros de "mesures antisociales" ou "politiques libérales". Si l'Etat saisit les trois quarts des recettes des entreprises pour rembourser la dette publique, c'est de l'austérité, mais pas franchement une politique libérale. Et oui, cela a été pratiqué, en Roumanie au début des années 80.

Avec cette définition, il est clair que les gouvernements européens, en ce moment, pratiquent des politiques d'austérité; dans la zone euro et dans d'autres pays, comme la Grande-Bretagne.

Qu'est-ce qui est le mieux, l'austérité ou la relance?

 Quelle est la meilleure option? c'est un débat éternel. Pour un économiste qui préfère l'austérité, vous en trouverez toujours un autre pour préconiser la relance. C'est que la seule bonne réponse est : ça dépend.

- les partisans de l'austérité n'ont en pratique pas beaucoup d'exemple de succès à apporter. Le moins mauvais est celui de la Lettonie, dans laquelle l'austérité a conduit à une diminution de 20% du PIB, puis un redémarrage de la croissance. Même si indiscutablement la Lettonie s'en sort moins mal que ne le prédisaient les adversaires de l'austérité, ce n'est pas brillant, et ressemble à cette technique consistant à détruire l'économie nationale en se réjouissant ensuite de ce que la reconstruction crée des emplois.

- Dans l'ensemble, une petite économie ouverte, dans un contexte mondial favorable, qui dispose de sa propre monnaie et peut donc faire une dévaluation, peut bénéficier d'une politique d'austérité. Ce n'est très clairement pas le cas des pays de la zone euro aujourd'hui, qui n'ont pas de politique monétaire autonome, et qui font tous de l'austérité en même temps.

- Pour les autres, l'austérité peut, au lieu de rétablir la confiance, conduire à une spirale de récession. Tout dépend de ce que les économistes appellent "l'effet multiplicateur", c'est à dire l'impact sur le PIB national de la hausse des impôts ou de la baisse des dépenses. Si l'effet multiplicateur est important, au lieu de réduire l'endettement public, l'austérité a un effet tellement négatif sur les finances publiques que la dette et les déficits publics s'envolent, rendant nécessaire encore plus d'austérité. Une récente publication du FMI a, sur ce sujet, indiqué que les multiplicateurs avaient systématiquement été sous-évalués au cours des dernières années, conduisant à des prévisions bien trop optimistes sur les effets de l'austérité.

- Mais, pour les pays européens, la recherche d'alternatives à l'austérité ne peuvent se faire qu'en commun. L'austérité n'est pas poursuivie par les pays européens pour satisfaire les marchés financiers, comme semblent l'indiquer les revendications syndicales. Elle est un gage donné à la Banque Centrale Européenne, et aux autres pays européens. Parce que les alternatives à l'austérité signifient, d'une manière ou d'une autre, que les pays du coeur de l'Europe financent la relance dans les autres pays. Mais cela suppose un degré d'intégration européenne qui n'existe pas. L'austérité est le résultat de ce blocage, indépendamment de son efficacité ou de celle des alternatives.

Le dilemme européen

En somme, les syndicats européens ont raison sur un point : l'austérité en Europe ne fonctionne pas. Mais les solutions qu'ils préconisent, relance européenne, mutualisation des dettes publiques, redistribution européenne, consistent à faire comme si les problèmes étaient résolus. Les salariés qui ont manifesté hier seraient les premiers à protester si leurs efforts de productivité conduisaient à financer la relance économique dans les pays voisins. Le problème européen reste toujours le même: ce qui pourrait marcher économiquement n'est pas politiquement possible, ce qui est politiquement réaliste ne fonctionne pas économiquement.