Nouvelle du jour : la France n'est plus la cinquième puissance économique mondiale, elle a été dépassée en 2014 par le Royaume-Uni. C'est le déclin, ma bonne dame! Encore un désaveu criant pour le gouvernement, sommé de s'expliquer! Le ministre de l'économie doit se battre pour sauver l'honneur national, aller chercher la croissance avec ses petits bras musclés!
Et bien, non.
La drogue et les prostituées
Souvenez-vous. Eurostat, l'organisme statistique européen, a émis des directives imposant, à partir de cette année, de comptabiliser les activités illégales - trafic de drogue, prostitution - dans le calcul du PIB des pays européens. L'INSEE française est peu favorable à cette évolution. Pas parce que ces activités sont "immorales" et devraient être exclues du PIB, mais parce qu'on a bien du mal à les comptabiliser correctement, que le calcul est trop entaché d'erreur. Elle a donc décidé d'appliquer les recommandations européennes au minimum.
L'ONS Britannique a agi différemment, et leurs estimations des activités illégales sont assez larges. Résultat, le PIB britannique a augmenté de 5% l'an dernier sous l'effet de cette révision du mode de calcul. Mais cela devrait être révisé à la baisse au cours des prochaines années, parce que leurs estimations semblent excessives. Par exemple, Ils ont en effet estimé (sur la base de vieux sondages et de données en provenance des Pays-Bas) qu'il y a 60 879 travailleurs du sexe en Grande-Bretagne, effectuant 1300 prestations annuelles, au tarif moyen de 67,16 livres sterling. Vous avez bien lu : cela signifie que le chiffre d'affaires moyen dans la prostitution est de 100 000 livres sterling par an; cela signifie aussi qu'en moyenne, il y a suffisamment de prestations effectuées pour que chaque britannique (mâle) aille aux prostituées 4 fois par an.
En soi, cette intégration de l'économie criminelle a ajouté 0,5% au PIB britannique; mais prises toutes ensemble, et cumulées depuis 2009 (date à laquelle la correction doit être prise en compte) ces changements de méthodes de mesure ont abouti à augmenter de 5% le PIB britannique en 2014.
Ce n'est pas le lieu de débattre de l'opportunité d'intégrer ces éléments dans le calcul du PIB ou de s'interroger sur la meilleure façon de le faire : il nous suffit de constater premièrement que ces changements de calcul interviennent régulièrement, et dans des proportions parfois importantes (voir le PIB du Ghana ou du Nigeria, qui ont été réévalués de plus de 60% récemment sans que les citoyens de ces pays ne se sentent particulièrement plus prospères). Mais surtout, dès lors que cette révision a augmenté le PIB britannique de 5%, cela relativise beaucoup l'écart de 4.5% mesuré aujourd'hui entre France et Grande-Bretagne.
L'euro qui baisse
L'autre facteur conduisant à ce changement, c'est la baisse de l'euro par rapport à la livre sterling depuis un an. Au passage d'ailleurs, ce n'est pas la première fois que cela arrive. En 2000, suite à la baisse de l'euro en 1999 après sa création, le PIB britannique avait déjà dépassé temporairement le PIB français. Normalement, on utilise des correctifs (la parité de pouvoir d'achat) pour éviter les problèmes de ces évolutions des taux de change et des prix intérieurs dans les différents pays, mais ces correctifs ne sont pas parfaits.
Là encore, Après s'être plaint des années de ce que l'euro était trop fort et que cela pénalisait l'économie française, on voit mal en quoi il faudrait déplorer la situation actuelle. Sauf à vouloir se plaindre tout le temps quoi qu'il arrive.
On s'en fiche un peu, en fait
L'obsession nationale des classements et des notes est un travers national affligeant. Après tout, en prenant une perspective plus large, on pourrait noter qu'être la sixième (ou cinquième, dans l'épaisseur du trait) économie mondiale quand on a la 20ième population mondiale, c'est une belle performance. A terme, le rattrapage économique de pays plus peuplés que la France devrait nous faire encore reculer au classement - le Brésil, en particulier, pourrait rapidement nous dépasser et dépasser la Grande-Bretagne.
Si le monde entier devient plus riche, c'est une bonne nouvelle en général, et c'est une bonne nouvelle pour notre économie : cela fait encore plus de pays susceptibles d'inventer des techniques et des produits qui nous seront utiles, et encore plus d'acheteurs potentiels pour nos produits. De même, si les tendances démographiques se poursuivent, la France devrait avoir à terme plus d'habitants que l'Allemagne, donc un PIB total plus élevé, nous lui passerons devant. Nous ne nous en porterons pas mieux pour autant.
On pourrait évidemment souhaiter que les politiques économiques de la zone euro soient moins stupides; cela nous vaudrait une croissance plus forte. Il n'est pas franchement certain que l'exemple britannique soit celui qu'il faut suivre pour autant. Indépendamment de cette histoire de prostituées et de drogue, les deux économies françaises et britanniques se retrouvent au même point aujourd'hui après la crise.
Mais passer une journée à gémir sur notre déclin, commenter des classements sans signification, critiquer le gouvernement sur des choses sur lesquelles il n'a aucune prise, c'est un rituel national qui n'a pas de prix. Dommage : s'il était comptabilisé dans le PIB, on remonterait au moins à la cinquième place mondiale.