Monsieur Classe éco,
QU'est-ce que cela veut dire, "trop cher", pour un billet de TGV? ça ferait une belle composition d'économie, ça!
Cher Stéphane,
Voilà une bonne question. Le tarif des billets de trains est un problème qui a a suscité une littérature économique abondante, dans laquelle les ingénieurs économistes français se sont distingués avec toutes leurs compétences. C'est un sujet qui en irrigue bien d'autres et permet de tirer bien des leçons générales. Voici donc quelques idées autour de ce sujet.
La grande vitesse, ça coûte cher
En Grande-Bretagne, le projet "high speed 2" de train à grande vitesse a vu son coût prévisionnel augmenter de 8 milliards de livres sterling, et ce n'est qu'un début, ni quelque chose de spécifiquement britannique. L'économiste Bent Flyvbjerg a constaté, en récapitulant les divers types de projets d'infrastructures, que le ferroviaire générait les plus grands écart entre le budget initial et les dépenses finales : +45% en moyenne. Le train à grande vitesse, cela coûte cher.
Pour quel avantage? A quelques exceptions bien spécifiques près (comme la ligne Paris Lyon, un des rares succès du concept), pas grand chose. Une bonne part du gain de temps de trajet résulte de la réduction du nombre d'arrêts, et du fait d'éviter de passer dans des zones urbaines, ce qui limite inéluctablement l'applicabilité. Bien souvent, la mise en place de trains à grande vitesse permet de faire payer un prix bien plus élevé (pour justifier l'investissement lié à la construction de la nouvelle ligne) pour un gain de vitesse médiocre.
Sur de longues distances, le train à grande vitesse ne présente que deux avantages par rapport à l'avion : les gares sont en général situées en centre ville, contrairement aux aéroports; prendre le train évite de subir l'insupportable théâtre sécuritaire infligé aux passagers des avions, qui oblige les passagers à se présenter toujours plus en avance pour avoir une chance d'attraper leur avion. Ces deux facteurs cumulés sont l'avantage concurrentiel du train à grande vitesse, mais cet avantage s'amenuise régulièrement. En espérant réduire les coûts, on construit de plus en plus souvent les gares pour trains à grande vitesse en rase campagne, dans des cauchemars architecturaux abusant de toits en verre qui garantissent courants d'airs et froid glacial en hiver, et température de serre en été; Et on peut craindre le jour ou un terroriste aura l'idée de commettre un méfait abondamment médiatisé dans un train à grande vitesse. A partir de ce jour-là, comme c'est déjà le cas dans l'Eurostar, il faudra arriver en avance pour prendre le train et subir le même interminable rituel, réduisant encore l'attrait du train.
L'avantage environnemental du train à grande vitesse est aussi très discutable; et tout ce qui est mis dans la grande vitesse n'est pas investi dans les trains de banlieue, ou de courte distance, qui croulent réellement sous les passagers, mais qui ne permettent pas aux élus locaux de dire qu'ils ont amené la grande vitesse en ville (parfois, en micheline diesel) et de faire une belle inauguration. Améliorer les trains existant, en particulier là ou il y a de réels besoins, de manière incrémentale, serait bien plus rentable que la multiplication de trains à grande vitesse coûteux et d'intérêt limité.
La grande vitesse, c'est opaque
Non seulement la création d'une ligne à grande vitesse est l'occasion d'une hausse des tarifs pour l'usager (sans rapport avec le gain de temps), mais le plus souvent, cela coïncide avec le changement de technique de tarification et la mise en place d'un "yield management" sophistiqué. Le yield management est cette technique, en voie de généralisation, consistant à moduler les tarifs afin de maximiser le remplissage et le prix payé par les passagers.
Il y a de bonnes raisons de penser que les systèmes de tarification unique sont inefficaces et injustes, et de préconiser un certain degré de discrimination tarifaire; Mais la généralisation de ce mécanisme et son application dans diverses activités ne sert pas tant à adapter le tarif aux besoins individuels qu'à obscurcir le choix du consommateur. Jamais de la vie vous ne pourrez obtenir les prix bas placardés partout, les rares billets vendus à ces prix disparaissent dans la minute après leur mise en ligne. Ces prix affichés ne servent qu'à "réduire le prix perçu" (selon le jargon du secteur), obtenir les premières places des sites internet de comparaison de tarifs, et vous attirer en comptant sur le fait qu'une fois ferré, vous n'aurez pas le courage de faire demi-tour.
Au lieu de tarifs adaptés aux différents usages, ces techniques s'appuient sur nos biais cognitifs pour nous faire payer le plus possible. Les compagnies ferroviaires ne sont pas les seules coupables de ce genre de pratique. Les compagnies d'assurance qui changent chaque année la composition de leurs offres de services; les loueurs de voitures et leurs prix bas jamais accessibles; les compagnies d'aviation low-cost et leurs listes interminables d'options; les prix sur amazon à la tête du client (au sens propre du terme); de plus en plus de secteurs adoptent ce genre de pratique.
La concurrence et l'évolution technologique ne réduisent pas cette opacité tarifaire mais l'encouragent. Après tout, si je ne sais pas être moins cher que mes concurrents, le mieux est de le cacher derrière un brouillard tarifaire et compter sur le malaise du consommateur face à la profusion des offres. Comme cela permet de truster les bonnes places des comparateurs automatiques de tarifs, cette technique tend à se généraliser.
Le résultat, c'est que vous seriez bien en peine de savoir combien coûte un trajet en train grande vitesse, comme d'ailleurs bien d'autres choses. Etrangement, nos législateurs prétendument soucieux de l'intérêt des consommateurs ne se préoccupent absolument pas de l'opacité tarifaire, préférant se focaliser sur des problèmes inexistants ou de moindre importance. Il est vrai qu'en matière de trains à grande vitesse, ils n'ont pas tellement intérêt à ce que les usagers découvrent le prix de leurs fantaisies. L'amour des industriels en place pour les consommateurs embrouillés n'a d'égal que celui des politiques pour les électeurs ignorants.