Pourquoi les sondeurs du Michigan se sont-ils plantés?

Jusqu'ici, la course démocrate représentait un îlot de stabilité dans une élection 2016 complètement dingue. Puis Bernie Sanders a gagné le Michigan. Une énorme surprise, dans un état que tous les sondages donnaient pour acquis à Hillary Clinton.

Jugez en vous même. Les 4 et 5 mars, ARG donnait Hillary Clinton gagnante de 24 points. Le 6 mars, Fox News lui donnait jusqu'à 37 points (!) d'avance. Lundi 7 mars, Monmouth University réduisait l'écart à 13 points en faveur de Clinton. Même la légende des sondeurs américains, Nate Silver de FiveThirtyEight - qui avait réussi à prédire les vainqueurs de tous les états en 2012 - donnait Hillary gagnante "à 99%".

Le soir de l'élection, Bernie Sanders l'a emporté 49,8% contre 48,6% pour Hillary.

Comment autant d'excellents sondeurs ont-ils pu se planter? Quelques éléments de réponse:

Une anomalie en 2008

Comment fonctionne un sondage? La question peut paraître bête, mais elle est importante, car contrairement à ce que l'on pourrait penser, les sondeurs n'interrogent pas un échantillon représentatif de la population. Ils cherchent un échantillon représentatif de ceux qui votent.

Pour le déterminer, une seule solution. Regarder l'électorat des élections précédentes. Or, dans le Michigan, les primaires démocrates de 2008 étaient très étranges. En raison d'un conflit avec la législature du Michigan, le parti démocrate avait retiré à l'état ses délégués à la convention. Plusieurs candidats - dont Barack Obama - ne s'y étaient même pas présenté. Le résultat: dans une élection sans enjeu seulement 600 000 électeurs étaient allé aux urnes (1,2 millions cette année).

Cette "anomalie" électorale a rendu les modèles utilisés par les sondeurs en 2016 complètement caducs et amplifié leurs erreurs.

Téléphones fixes contre téléphones portables

Chaque année, de moins en moins de personnes possèdent une ligne fixe. Or les instituts ne peuvent pas toujours appeler des téléphones portables pour des raisons de coût. Conflit des générations oblige, les sondeurs ont tendance à contacter une population plus âgée que la moyenne.

Certains instituts "ajustent" leurs résultats en appelant des téléphones portables. Le sondage de Monmouth par exemple - le moins éloigné des résultats réels - avait appelé 444 téléphones fixes et 260 portables. Mais la plupart d'entre eux n'ont pas pris cette peine. Pourquoi?

En janvier, le sondeur Steve Mitchell expliquait: "Très franchement, c'est plus facile de faire des sondages pour les primaires, parce que les électeurs sont plus âgés et appeler des lignes fixes donne de bons résultats." Les urnes lui ont donné tort.

La supposition selon laquelle l'électorat des primaires est plus âgé que lors de l'élection générale est fausse en 2016. L'électorat jeune, très largement favorable à Bernie Sanders, se mobilise de plus en plus. Pour sonder du Sanders, il faut sonder du smartphone.

Independents day

Autre erreur des instituts: La mobilisation des électeurs indépendants a été sous-estimée. C'est un électorat très favorable à Sanders qui a été ignoré, car les non-alignés attendent d'ordinaire les élections générales pour aller voter. Mais le Bern touche de nombreux indépendants cette année. Beaucoup sont venus voter pour lui dès les primaires.

Sanders bénéficie donc a priori d'un bonus dans les primaires ouvertes comme l'Ohio et l'Illinois - mais pas en Floride ou seuls les inscrits démocrates peuvent voter.


Il n'y a donc pas eu de "Berniemania" qui aurait renversé une avance de 30 points, car il n'y a jamais eu d'avance de 30 points.

La "surprise" n'est due qu'à des erreurs statistiques. Les instituts de sondage avaient collectivement mal compris la nature de l'électorat mobilisé. Les jeunes et indépendants étaient sous-représentés, au profit d'un électorat de démocrates inscrits, plus âgé, favorable à Clinton.

On ne verra probablement plus de sondages aux erreurs aussi importantes. Aucun autre état ne repose sur des modèles statistiques affectés par une anomalie comme celle du Michigan en 2008. Mais en amplifiant les erreurs pour les rendre flagrantes, le Michigan force sondeurs et campagnes à revoir leurs modèles pour le reste des primaires.

Même sans "Berniemania", c'est une excellente nouvelle pour Sanders. Il prouve qu'il est compétitif dans des états jusqu'ici donnés acquis à son adversaire. Clinton reste favorite - elle a même accru son avance en terme de délégués hier - mais elle ne peut plus considérer les primaires comme gagnées d'avance.

T.L