Ce dimanche 17 avril, le pays du football a connu un match bien particulier, opposant partisans et adversaires de l'impeachment. Un véritable match politique, donc, dont la ville de São Paulo a été l'un des principaux terrains d'affrontement. L'Avenida Paulista, équivalent de nos Champs-Elysées, a concentré les "pro-impeachment". Les "anti-impeachment" se sont quant à eux regroupés à Vale do Anhangabaú, dans le centre de la ville. Deux lieux bien différents… pour deux ambiances totalement distinctes.
Avenida Paulista : du jaune, du vert et une euphorie agressive
Dès le début de la journée, le ton est donné sur l'Avenida Paulista. Alors que le vote des députés ne commence qu'à 14h, les premiers manifestants défilent dès 10h. Certains dansent, jouent de la musique et tapent sur des casseroles.
Vers 13h30, la foule commence à se former. Vêtus aux couleurs du Brésil et arborant fièrement le drapeau national, les partisans de l'impeachment hurlent leur haine du gouvernement. "Dehors Dilma" ! Ils se concentrent massivement autour des écrans installés par la FIESP (Fédération des Industries de São Paulo) pour retransmettre en direct la session parlementaire. Sur une scène temporaire, elle aussi dressée par la FIESP, un animateur s'époumone dans un micro, motivant les manifestants à grand renfort de populisme. "Le Brésil n'est pas de gauche, le Brésil n'est pas du PT (NDLR : Parti des Travailleurs, actuellement au pouvoir). Le Brésil appartient au peuple, aux Brésiliens. Dehors le PT. Dehors Dilma. C'est ça, c'est ça dont vous devez vous rappeler !" La foule en liesse lui répond, hurle, applaudit et siffle joyeusement.
Les organisateurs commentent scrupuleusement la session parlementaire. Ils saluent le discours de plusieurs députés, se félicitant d'avoir mis la pression à certains d'entre eux. Et n'hésitent pas à couper la retransmission dès qu'un député témoigne son appui au gouvernement. "Ceux qui votent contre l'impeachment paieront le prix dans les urnes" hurle l'animateur depuis la scène. Avant d'enchaîner : "Que tous ceux qui sont d'accord avec moi sautent et lèvent les mains en l'air". Et ça fait son effet : les manifestants s'agitent. Le résultat n'est pas encore tombé, la victoire de l'impeachment demeure incertaine, mais, pour la grande majorité, ils sont convaincus d'avoir gagné le match. "Heureux", "Joyeux", "Confiant", "Optimiste", "Plein d'espoir". Tels sont les mots qui reviennent en boucle dans leur discours.
Pour eux, l'impeachment est synonyme de reconstruction démocratique et de renouveau. "Aujourd'hui est un jour de célébration. Nous sommes en train de changer les choses grâce à la pression populaire. C'est un moment historique. A partir d'aujourd'hui, nous entrons dans l'histoire en tant que peuple résistant. L'heure a sonné, c'est le début de temps nouveaux" annonce l'animateur, prophétique. Avant de demander à la foule de sauter et de lever les mains en l'air, encore une fois.
Vale do Anhangabaú : du rouge, des grillades et de tristes sourires
Dans le centre de la ville, à proximité du théâtre municipal, le jaune fluo fait place au rouge vif. L'ambiance est moins tape à l'oeil, plus tranquille. Plus soucieuse aussi, et plus défaitiste. Certains manifestants se sont allongés sur l'herbe. Des vendeurs ambulants proposent des grillades sur le pouce. L'atmosphère est champêtre, on dirait presque un pique-nique géant. Mais un certain défaitisme se fait sentir. "Triste", "impuissant", "indigné", "dégoûté" sont les mots qui reviennent le plus.
Parmi la fumée des grillades, des drapeaux anarchistes, LGBT et ouvriers flottent dans les airs. Etudiants, défenseurs du PT, manifestants se revendiquant politiquement neutres... les profils sont hétéroclites. Le mot d'ordre n'est pas le soutien du gouvernement mais le refus de l'impeachment, considéré comme un coup d'Etat. C'est ce qu'explique Osara, 59 ans : "Je ne suis pas en faveur de Dilma, ni de Lula. Je suis simplement contre l'impeachment. Moi, je suis en blanc, en faveur de la démocratie et de la paix".
Entre les arbres, un écran et une scène temporaires ont été installés. Mais cette fois, pas d'animateur enflammé chargé d'exciter la foule. La session parlementaire est retransmise dans son ensemble, sans commentaire ni coupure. A la tristesse ambiante, se mêle une certaine colère. "Fasciste" scande la foule aux députés qui se prononcent en faveur de l'impeachment. Certains manifestants vont jusqu'à leur adresser des doigts d'honneur à distance.
Vers 19h, alors que le résultat final n'est pas encore tombé, les manifestants anti-impeachment sont (déjà) conscients que la défaite est imminente. Deux heures plus tard, l'issue de la sessions parlementaire donne raison à leur pessimisme. Ils ont perdu le match. Tout du moins, la première mi-temps. Reste à voir ce que réserve la deuxième moitié du jeu, désormais entre les mains du Sénat.
Marie Gentric pour Fanny Lothaire