Ils campent contre Dilma

Crédits : Renor Oliver Filho

São Paulo, 12h. Sur l'avenue Paulista, équivalent brésilien de nos Champs-Elysées, plusieurs tentes colorées se dressent vers le ciel nuageux. Ces tentes, ce sont celles des manifestants qui s'insurgent contre la Présidente Dilma et son parti, le PT (Parti des Travailleurs). 

Le 16 mars, Dilma a annoncé la nomination de l'ex-président Lula comme Ministre de la "Casa Civil" (NDLR : l'équivalent du Premier Ministre en France). Une décision qui a provoqué la colère d'une bonne partie du peuple, pour qui Lula est désormais un "voleur". Au coeur de plusieurs scandales de corruption, ce dernier est poursuivi par la justice pour des histoires de gros sous. Pour beaucoup, sa présence au gouvernement apparaît donc comme une aberration inacceptable, sonnant le glas d'un parti politique déjà mort.

Sa nomination a alors fait l'effet d'une bombe. Depuis le 16 mars, les manifestations anti-gouvernement ont pris un nouveau tournant. Certains opposants ont radicalisé leur action, affirmant leur attention de rester camper sur leurs positions. Au sens propre du terme. Armés de pancartes, de T-shirts aux couleurs du Brésil et de sifflets, ils ont planté leur tente sur le bitume. "Moi, je suis arrivé parmi les premiers, je suis là depuis mercredi, m'explique Ricardo, 24 ans. Au début, nous étions seulement huit à camper. Maintenant, nous sommes trente. Ca montre que le peuple se mobilise et que c'est lui qui commande".

Depuis plusieurs semaines, des tentes jonchent le sol de la Avenida Paulista. Sur la tente, le message se dirige à Dilma : "Tchao chérie".

Depuis plusieurs semaines, des tentes jonchent le sol de la Avenida Paulista. Sur la tente, le message se dirige à Dilma : "Tchao chérie".

Entre union politique et divergences internes 

Ici, tout le monde parle politique. Et seulement politique. "Je ne sais rien des gens, ni de leur famille", précise Carla. Mais je sais que nous sommes tous très différents. Au niveau de l'âge, par exemple, ça va de 18 à 65 ans. Et puis il y a aussi des gens issus de classes sociales différentes". Le combat politique. Tel est donc le noyau, le point de ralliement de ces campeurs urbains, venus des quatre coins du Brésil. Leur leitmotiv : tous unis contre Dilma, le PT et la corruption.

La corruption. C'est le mot, celui avec un grand M, dont découlent tous les autres maux : le manque d'emploi, la dette publique, l'inflation galopante, l'augmentation du taux de criminalité …. Pour les campeurs, la corruption est le vers au coeur de la pomme, le fléau du système politique national. Le ton blasé, l'air réfléchi, l'un d'entre eux me confie : "La corruption est une épidémie, elle est dans toutes les têtes. C'est elle qui crée l'injustice et qui transforme les plus faibles en voleurs". C'est contre elle, au nom de son abolition, que les campeurs érigent leur tente et portent leur drapeau depuis plusieurs jours.

Ricardo est l'un des campeurs présents depuis les premiers jours de l'opération.

Ricardo est l'un des campeurs présents depuis les premiers jours de l'opération.

Et pourtant, au coeur même de la lutte, des divergences se dessinent. Si, pour tous, le but final est le même, la question des moyens suscite des discussions. Faire chuter le gouvernement, oui. Mais comment ? Alors que la plupart des militants prônent la destitution de Dilma, d'autres recommandent l'intervention de la police militaire. Une option bien plus radicale, qui provoquerait une restructuration complète du système politique national. Une solution extrême, donc, mais également bien plus controversée, rappelant au peuple brésilien une sombre page de son histoire. Pendant plus d'une vingtaine d'années (1964-1985), le pays a en effet connu une dictature militaire drastique, placée sous le signe de la peur et de la torture. Pour beaucoup, la solution militaire reste ainsi un tabou difficile à envisager.

Des kilos de biscuits 

En dépit des divergences politiques, l'ambiance est bonne, plutôt joyeuse et détendue. Et pourtant, pour la majorité, la fatigue commence à se faire sentir. "Je n'ai pas fermé l'oeil de la nuit, il y a trop de bruit", me confie l'une des militantes. Quelques minutes plus tard, une autre femme nous rejoint. Préoccupée, elle déplore le manque de confort et la précarité des conditions matérielles. A nos côtés, la plupart des campeurs sont assis sur le bitume. Ils se partagent une demi-douzaine de chaises en plastique et l'usage de quelques prises électriques.

Quelques mètres plus loin, un petit groupe de militants gravitent autour d'une table en plastique. Ils déballent des bouteilles d'eau, préparent du café et mangent des biscuits. A leurs pieds, des sacs chargés de nourriture jonchent le sol, sans compter les stocks en réserve. "Viens, je vais te montrer tout ce que l'on a", me dit Ricardo, m'ouvrant les portes de l'une des tentes. La quantité de nourriture est impressionante : de quoi faire tenir plusieurs dizaines de personnes pendant un bon moment. "Tout ça, ça vient du peuple. Ce sont les gens qui nous donnent à boire, à manger". En effet, tout au long de l'après-midi, des groupes de passants s'arrêtent, les bras chargés de bouteilles d'eau, de fruits et de gâteaux secs. "Par contre, on n'accepte pas l'argent, me prévient l'un des campeurs. Sinon, on a l'impression de profiter et on devient suspect. Pour nous, l'argent est trop associé à la corruption", poursuit-il, l'air embarrassé.

Les campeurs passent beaucoup de temps autour de cette table en plastique.

Les campeurs passent beaucoup de temps autour de cette table en plastique.

L'intérieur de l'une des tentes.

L'intérieur de l'une des tentes.

Jusqu'à ce que Dilma s'en aille 

19h. Alors que la nuit tombe, plusieurs militants ramassent leur affaires et s'apprêtent à quitter le campement. Les plus vieux préfèrent passer la nuit dans un vrai lit. Certains rentrent simplement chez eux quelques heures, le temps de recharger les batteries. Et d'autres s'apprêtent à commencer une nouvelle semaine de travail. Les au revoir sont rapides, quasi-inexistants. Chacun sait qu'il revient le lendemain. "On va être là tous les jours. On va rester jusqu'à ce que Dilma quitte le gouvernement. On ne partira pas tant qu'elle ne sera pas partie. Elle va partir" m'assure Carla. Sinon quoi ? "La révolution générale". A l'instar de ses compagnons de lutte, elle n'envisage qu'une solution : la défaite du gouvernement. Sur le bitume, aussi bien que sur leurs positions, ces manifestants à plein temps sont décidés à camper. Pour un bon moment encore.

 

Marie Gentric pour Fanny Lothaire