Les manifestants anti-gouvernement sont unis contre le PT et la corruption. Leur but ultime : renverser le système politique actuellement en place. Mais alors que la majorité d'entre eux prônent la solution de l'impeachment, certains revendiquent l'intervention de la police militaire. Rencontre avec les opposés des opposants.
Ricardo : "L'intervention militaire, le dernier wagon de la locomotive"
Au milieu des tentes colorées, Ricardo s'affaire. Le visage ouvert et la démarche assurée, il passe de groupe en groupe et discute avec les autres campeurs. Sur son T-shirt, un petit logo attire immédiatement l'attention. "SOS Forces Armées" : tel est le message affiché sur sa poitrine.
Ricardo fait partie de cette tranche minoritaire de l'opposition anti-gouvernement favorable à une prise de pouvoir militaire. "Si Dilma ne quitte pas le pouvoir, si aucune élection n'est organisée, si rien ne se passe, il ne reste qu'une seule solution : l'intervention militaire. Cette option représente le dernier wagon de la locomotive". Pour Ricardo, le Brésil est dans une impasse, au coeur d'un noeud de problèmes. Et pour sortir de cette conjoncture exceptionnelle, il convient d'employer des moyens d'exception. "Le pays est foutu, on est dirigés par des voleurs. Le Brésil est riche mais sa population est pauvre. Aujourd'hui, le Brésilien est un mendiant assis sur une pile de diamants. La situation est devenue un cas de police donc on a besoin d'une intervention de la police militaire". A ses yeux, les militaires sont les seuls à pouvoir lever le voile sur les problèmes de corruption, les seuls capables de renouveler le système. Conformément au règlement prévu par la Constitution, ils ont 90 jours pour réorganiser la vie politique, la laver de tout soupçon et la remettre en règle, avant la tenue de nouvelles élections présidentielles et parlementaire. Ferme et convaincu, Ricardo est aussi lucide. A demi-mots, il reconnaît le caractère osé de ses propos. "Oui, il y a le risque de retomber dans une dictature militaire. Mais c'est un tout petit risque. Il est bien plus dangereux de garder les choses en état et de laisser le gouvernement détruire le pays". Pour lui, l'intervention militaire doit être une parenthèse, une simple pause, nécessaire mais temporaire. Un passage obligé pour permettre une "rénovation totale" de la vie politique.
Carla : "Les Brésiliens ont peur d'une nouvelle dictature militaire"
Carla est aux couleurs de son pays, vêtue de jaune et vert de la tête aux pieds. Porte-parole du mouvement anti-corruption #NasRuas, créé en 2011, elle revendique la destitution de la présidente Dilma.
Lorsqu'elle évoque le gouvernement, Carla le fait sous forme de liste. Une longue liste de reproches, soigneusement élaborée par ordre de priorité. "Bien sûr, le problème majeur est la corruption. Mais il y a aussi l'incompétence : le gouvernement ne sait pas administrer le pays. La preuve, on paie énormément d'impôts mais le chômage et l'inflation sont très élevés. Où passe donc tout notre argent ?" Aux critiques générales, se joignent également des accusations plus personnelles, plus virulentes, directement adressées à Dilma. Quand elle évoque la présidente, Carla garde son ton calme mais laisse transparaître une certaine colère, aux confins de la haine. "Dilma est ridicule. Ses discours improvisés sont aberrants, elle ne sait pas parler anglais. On dirait une malade mentale, elle nous fait honte". Selon Carla, Dilma et son parti utilisent la machine administrative pour se maintenir à la tête de l'Etat, en nommant des gens qui les protègent. Omniprésent et omnipotent, le PT (Parti des Travailleurs) apparaît désormais comme quasi-inébranlable. D'où la nécessité de le toucher à la racine, en évinçant Dilma via la procédure de l'impeachment. La loi 1079, en vigueur depuis 1950, et la Constitution nationale prévoient toutes deux la possibilité de destituer le/la président(e) de la République. Pour Carla, cette option est la meilleure. "Je sais que certains sont plus radicaux et demandent l'intervention de l'armée pour que le Parlement et le Congrès tombent aussi. Mais la plupart des Brésiliens ont peur que les militaires ne restent au pouvoir et ne mettent en place une nouvelle dictature militaire, similaire à celle que le pays a déjà connue". La destitution s'affirme donc comme la solution la plus démocratique, la plus rassurante, mais également la plus plausible. "Pour beaucoup, la probabilité d'une intervention militaire est nulle. Or, personne ne lutte pour quelque chose qu'il juge impossible". A défaut d'être révolutionnaire, l'impeachment a donc le mérite de motiver les troupes. Raison et pragmatisme, tels semblent être les maître-mots de Carla.
Marie Gentric pour Fanny Lothaire