"Coxinhas". Ici, au Brésil, l'expression revient sans cesse. Dans les journaux, sur les réseaux sociaux, au coeur des manifestations …. elle est partout. Petite explication.
A l'origine, la "coxinha" désigne une friture brésilienne typique, originaire de l'état de São Paulo. Pour faire simple, c'est une sorte de beignet fourré à la purée de pomme de terre et au poulet. Sans oublier l'éventualité d'un supplément de fromage, pour agrémenter le tout. Question design, la coxinha a la forme d'une goutte d'eau, destinée à rappeler la "coxa" (à prononcer cocha, qui signifie "cuisse") de la poule. D'où son nom, qui signifie littéralement "petite cuisse de poulet".
La coxinha, cette cuisse de poulet conservatrice
Mais, depuis les manifestations de juin 2013 (NDRL : manifestations populaires massives en réaction à l'augmentation du prix des transports), la célèbre "petite cuisse de poulet" a adopté une connotation politique dans tout le pays. Désormais, la "coxinha" désigne également toute personne présentant des tendances politiques et morales conservatrices.
La coxinha, c'est celui qui est obsédé par l'idée de correction, préoccupé par son apparence, sa carrière et son statut social. C'est celui qui vit en accord avec les valeurs de l'ordre en place et qui défend fermement ces mêmes valeurs. C'est celui qui s'identifie étroitement au capitalisme et aux idées du libre marché.
Inutile, donc, de préciser que la "coxinha" est une appellation négative, chargée de mépris et de dédain. La plupart du temps, elle est utilisée par les Brésiliens de gauche, progressistes, pour se référer à leurs homologues de droite, conservateurs.
Des policiers aux anti-Dilma, tous "coxinhas"
Mais quel est donc le lien entre une vulgaire cuisse de poulet et une idéologie politico-sociale conservatrice ? Pour comprendre cette curieuse association, remontons quelques années en arrière.
Au cours de la décennie 1980, en plein coeur de la dictature brésilienne, les policiers de São Paulo avaient pour habitude de se rendre dans de petits bistrots pour y déguster des coxinhas bon marché. Les policiers ont ainsi été les premiers à écoper du fameux surnom, qui s'est ensuite étendu à toutes les personnes préoccupées par la sécurité et la volonté de conserver l'ordre en place. Ci-dessous, la caricature du célèbre dessinateur brésilien Latuff représente par exemple des coxinhas protégeant les valeurs de la famille et de la religion chrétienne. Nostalgiques de la dictature militaire (1964-1985), elles désirent un retour aux traditions et la restauration d'un ordre autoritaire.
Dans le contexte actuel, les "coxinhas" renvoient aux manifestants qui demandent la destitution de Dilma. En grande majorité Blanche et aisée, cette tranche de la population est notamment accusée par les "anti-coxinhas" d'utiliser la corruption comme prétexte pour renverser le gouvernement socialiste actuellement au pouvoir. Selon ces derniers, l'élite brésilienne utiliserait ainsi l'impeachment comme une manoeuvre politique pour conserver son statut social et ses privilèges.
Contre le poulet, la charcuterie
Au coeur de cette guerre gastronomico-politique, les "coxinhas" ne sont pas en reste puisqu'elles ont rapidement trouvé un surnom à leurs détracteurs : les "mortadelas" (mortadelles). Charcuterie italienne importée en Amérique Latine au cours du XXème siècle, la mortadelle est aujourd'hui très populaire au Brésil. Si populaire qu'elle est abondamment distribuée, entre deux tranches de pain, lors des manifestations organisées en faveur de Dilma. D'où le surnom donné aux pétistes (NDLR : personnes en faveur du Parti des Travailleurs (PT) de Dilma) par leurs homologues de droite.
Entre poulet et charcut', c'est donc un match culinaire féroce qui se joue actuellement. Espérons que l'addition ne soit pas trop salée.
Marie Gentric pour Fanny Lothaire