"Interdit aux moins de 12 ans avec avertissement". C'est la classification choisie par la commission de classification du CNC pour La Vie d'Adèle, d'Abdellatif Kechiche, sorti il y a deux semaines. Une décision qui a pu surprendre, puisqu'à plusieurs reprises, la Palme d'or présente des scènes de sexe très explicites, aux configurations diverses (masturbation, 69, anulingus, etc) et s'étirant sur plusieurs minutes. Pourquoi le CNC a-t-il décidé que des adolescents de moins de 16 ans avaient le droit de regarder ces images au cinéma ? J'ai posé la question à Gauthier Jurgensen, membre de la commission du CNC et rédacteur à Allociné.fr.
Comment s'est prise cette décision ?
Une vingtaine de membres de la commission de classification du CNC se sont réunis. Nous avons débattu, longtemps, puis voté, comme à l'accoutumée.
Cette classification correspond au flou qui règne autour du film. Tout le monde sait qu'il y a quelques scènes très crues, longues. Les actrices ont confirmé que c'était simulé, mais je comprends que compte tenu de leurs positions et de la durée de la première scène, on se pose la question. Le spectateur est effectivement un peu piégé par ces images. Après, nous avons la garantie qu'il s'agit de deux adultes consentantes, et qu'elles ont simulé, d'où l'interdiction aux moins de 12 ans. L'avertissement signale principalement la longueur des scènes de sexe.
L'Inconnu du lac, d'Alain Guiraudie, sorti cet été, présente lui aussi plusieurs scènes de sexe explicites. Pourquoi est-il interdit aux moins de 16 ans ?
Les scènes dont vous parlez sont clairement non simulées dans L'Inconnu du lac, ce qui pose une différence fondamentale avec La Vie d'Adèle. Par ailleurs, l'objectif du film d'Abdellatif Kechiche n'est pas d'exciter le spectateur. Les gens ne vont pas voir La Vie d'Adèle pour faire les voyeurs, en se disant "je vais être émoustillé" et après, "j'aurai envie de faire l'amour". L'Inconnu du lac est un film sur la sexualité, tandis qu'Adèle raconte la découverte de l'amour d'une façon plus générale.
Dans La Vie d'Adèle, on voit des sexes féminins en gros plan, rasés intégralement, ce qui implique que le clitoris des personnages surgisse à plusieurs reprises. Ce n'est pas un critère de classification - de 16 ans ?
Comme vous, je me suis posé la question : n'est-ce pas machiste d'être plus tolérant envers La Vie d'Adèle que L'Inconnu du lac, c'est-à-dire envers la nudité et la sexualité féminines plutôt que masculines ? Mais au fond, je ne pense pas. D'abord, dans La Vie d'Adèle aussi, on perçoit un sexe masculin en érection [celui de Thomas, le premier amour d'Adèle, furtivement]. Ensuite, et surtout, le sexe n'est pas filmé de la même manière dans les deux films. La vision du sexe est brutale dans L'Inconnu du lac, Guiraudie mêle sexe et mort. Il sera beaucoup plus compliqué pour un jeune adolescent de comprendre, et pour les adultes de lui expliquer, ce qu'est la sexualité après qu'il a visionné de telles images.
Si La Vie d'Adèle avait été interdit aux moins de 16 ans, une partie du jeune public pouvant s'identifier à Adèle en aurait été privé. Ce paramètre a-t-il joué dans la décision de la commission ?
L'idée qu'un film soit prisé d'un public, et notamment d'une catégorie d'âge donnée, n'entre pas en compte. Ni pour des raisons économiques, ni pédagogiques. Que La Vie d'Adèle soit une Palme d'or ne joue pas non plus. Je précise enfin que le fait que les deux films dont nous avons parlé soient centrés sur des amours homosexuelles n'a aucune influence sur notre décision finale.