Et voici encore un délicieux spectacle que nous propose l'ensemble des Folies Parisiennes au théâtre de l'Athénée, son refuge... parisien: "Là-Haut", opérette loufoque de 1923 sur une musique de Maurice Yvain mais écrite par deux maîtres du genre, Yves Mirande au livret -autant dire à l'histoire- et Albert Willemetz aux textes des chansons, textes si ciselés qu'on osera l'appeler (nous l'assumons) le La Fontaine des Années Folles. Avec beaucoup plus de jeux de mots que le grand Jean...
"Le Diable à Paris", "Pas sur la bouche", "Trois jeunes filles nues"
Qu'est-ce qui nous pousse à aller voir un spectacle plutôt qu'un autre -en dehors de quelques obligations professionnelles? Trois raisons: la fidélité, le souvenir, l'expérience. Clarifions. La fidélité: Les Frivolités parisiennes est une troupe qui, dans la lignée des Brigands, nous a souvent séduit ces dernières années en remettant à l'honneur le répertoire de l'opérette des années 20-30. De Normandie (chronique du 22/10/2020) au Diable à Paris (14/1/2021) en passant par des auteurs plus célèbres, Albert Roussel et son Testament de la tante Caroline (11/6/2019) Le souvenir: le nom de Maurice Yvain, un des plus célèbres de ce temps-là, est lié à Alain Resnais et son Pas sur la bouche (un des grands succès d'Yvain) Ah! Sabine Azéma et Audrey Tautou, Lambert Wilson (si drôle) et Pierre Arditi, Jalil Lespert, Isabelle Nanty, le délicieux 23 Quai Quai Quai Malaquais, et encore Daniel Prévost et le merveilleux Darry Cowl en madame Foin, la concierge.
Les rimes brillantes de Willemetz, les airs "Années Folles" d'Yvain
Et puis l'expérience: livret de Là-haut d'Yves Mirande, chansons d'Albert Willemetz, ce génie de la rime (facile, mais pas si facile à inventer) et le souvenir (c'était il y a 15 ans) du bonheur que nous avions eu, sous la houlette d'Olivier Minne et Francis Perrin, nous les animateurs de France 2, à jouer et chanter Trois jeunes filles nues des mêmes Willemetz et Mirande, pour le plaisir de vous, spectateurs, si nombreux à nous regarder...
Willemetz donc, l'inépuisable Willemetz, dont un des bonheurs de Là-haut tient au brillant des rimes, des coq-à-l'âne, de cette écriture si simple apparemment et d'une telle drôlerie, qui nous fait rire d'un franc rire sans malice, qu'on voudrait en répéter toutes les trouvailles. Mais il ne faut pas, pour vous qui découvrirez Là-haut...
Certes il y a aussi la qualité de la musique d'Yvain, dont les airs se ressemblent (la marque d'une époque, le swing, les rythmes "Années folles") en étant à chaque fois différents; et le livret de Mirande, habilement tricoté et détricoté. Sur une idée loufoque qui nous a fait immédiatement courir à l'Athénée et partager la joie réelle, enthousiaste et... bruyante d'un public nombreux.
Le Paradis, que c'est long, que c'est sage!
Jugez-en: dans des décors (malheureusement contemporains et sans grâce) de maison bourgeoise, Evariste Chanterelle (belle présence et voix veloutée de Mathieu Dubroca) est attendu par sa femme et ses amis qui lui ont réservé un anniversaire-surprise. Chanterelle, séducteur hâbleur, et qui trompe allègrement madame (Emma, Judith Fa) feint (mal) l'étonnement: gâteau, bougies (33, comme un Autre...), champagne, mais une "fausse route" due à une cacahuète malencontreuse l'envoie au... Paradis.
Au Paradis où l'on s'ennuie beaucoup car, comme le dit Woody Allen, l'éternité, c'est long, surtout vers la fin. Où l'on est accueilli par les anges du Seigneur qui chantent sans fin les mêmes cantiques, les mêmes lyrics (épatant groupe de jeunes femmes ravissantes... quand elles sont en robe, Faustine de Monès, Stéphanie Guérin, Mathilde Ortscheidt, Marion Vergez-Pascal, qui passent leur temps (long) à fumer) mais aussi par Saint Pierre, survolté, sur les nerfs, dépressif, surtout quand, voyant arriver Chanterelle qui n'a aucune raison d'être là, il devine bien sûr que ce séducteur à la chemise ouverte comme celle de BHL (La vertu est morte. Fermez bien la porte...) va troubler la tranquillité mortellement ennuyeuse du divin séjour.
Permission de minuit pour l'ange-gardien Frisotin
Dans une autre opérette de la même époque le Diable descendait à Paris. Ici les Parisiens montent au ciel... pour en redescendre aussitôt car, à peine a-t-on le dos tourné que madame se fait draguer par son cousin et la jalousie de Chanterelle explose. Saint Pierre, par une générosité que lui impose le librettiste, accepte, pour ce mort qui a déjà compris où il avait mis les pieds (Y a-t-il le gaz et l'eau / Là-haut?/ Y a-t-il des lavabos / Là-haut?), une permission de minuit, à condition qu'il soit accompagné par son ange-gardien (qui est aussi celui de sa femme mais on n'est plus à ça près), Frisotin (inénarrable Richard Delestre) qui, en costume jaune, veille à suspendre les adultères à coup de trompette désaccordée)
"Là-haut", délicieusement loufoque
C'est loufoque, très rythmée, absurde parfois, très "années 20" (où l'on se moquait de tout et voulait à tout prix faire la fête), gentiment anticlérical, pas vraiment "metoo" -Emma est toujours éperdument amoureuse de celui qui l'a trompée à qui mieux mieux (Car je l'aime encor / D'un amour si fort) et s'il est bien triste d'être veuve c'est parce que Que c'est morose! On ne peut plus porter de robes roses.
Evidemment il ne faut pas être trop rationnel: pourquoi, dans ce paradis de l'ennui où les émotions, depuis 2000 ans, n'existent plus (dixit Saint Pierre), Evariste continue-t-il à en éprouver, sans parler de Frisotin qui, quoique ange-gardien, sera, lui aussi, chamboulé par les sentiments (il est vrai, en remettant les pieds sur la terre. Et pire: à Paris)? On prête plutôt l'oreille à la moindre formule (N'allez pas vous frapper / Quand on viendra frapper), à des jeux délicieusement troussés (Aime-moi, Emma / Mon Emma vois mon émoi) comme aux conseils donnés à une certaine religieuse, Anna, timide: Ose, Anna. On a honte quand on y repense mais, sur le coup, ça fait rire.
Pastiche de Houellebecq et hommage à Paris
Il y a aussi, dans la musique, des moments de vrai lyrisme où Yvain passe du jazz à des phrases de grande ampleur (imitées d'un Gounod ou d'un Saint-Saëns), peut-être parodiques ou peut-être non, avec une variété de tons d'un vrai petit maître. On est sensible aussi à des réparties: Mais enfin, Saint Pierre, souvenez-vous de votre jeunesse - Oh! vous savez, ma carrière de saint a commencé de si bonne heure; comme aux délirants couplets de Frisotin qui, ayant parodié La Fontaine et Verlaine (c'est dans Willemetz et Mirande) poursuit par Houellebecq (Les neuroleptiques.../ Les anxiolytiques...) et Renaud.
Judith Fa est une charmante Emma, aux aigus bien placés mais un peu stridents. Jean-Baptiste Dumora un bougonnant Saint Pierre en survêtement aussi désabusé que ronchon. Le cousin Marcel d'Olivier Podesta et la Maud de Clarisse Dalles (amoureuse secrète d'Evariste dont Mirande ne fait pas grand-chose!) complètent avec talent la distribution, portée par une mise en scène dynamique de Pascal Neyron et la direction pleine de sève de Nicolas Chesneau (l'ensemble des vents est toujours d'une belle qualité)
On ne vous dira évidemment pas comment tout cela retombe... sur ses pieds ou sur la terre. Mais Willemetz et Yvain en sont convaincus, et ce seront les mots de la fin: Le premier, le seul, le vrai paradis / C'est Paris / Où le ciel est bleu / Par temps gris.
Est-ce toujours vrai?
Là-haut, musique de Maurice Yvain, livret d' Yves Mirande, lyrics d'Albert Willemetz, mise en scène de Pascal Neyron, avec la troupe des Frivolités Parisiennes, direction musicale de Nicolas Chesneau. Théâtre de l'Athénée, Paris, les 22, 24, 29 et 31 mars à 20 heures, le 27 mars à 16 heures.
Spectacle créé au théâtre royal de Compiègne où les Frivolités Parisiennes sont en résidence. Ils ont bien de la chance, les Compiègnois...